Entretien

Valentin Ceccaldi

Rencontre avec le violoncelliste, compositeur et arrangeur orléanais, à la veille de la sortie d’Atomic Spoutnik, troisième volet des grands orchestres du Tricollectif.

Photo : Léna Tritscher

Valentin Ceccaldi est un amoureux des disques à l’appétit insatiable. Avec Atomic Spoutnik, il a imaginé une envolée poétique aux confins du cosmos et réussi le pari de réunir les membres du collectif au complet, sur la scène du théâtre de Vanves le 4 février. Rencontre avec un musicien épris de liberté, débordant d’humour et de sensibilité.

- Quelles ont été vos premières expériences musicales ? Comment vous êtes-vous orienté vers le jazz et les musiques improvisées ?

Je suis né dans une famille de musiciens, mon grand-père, mon père et mon frère sont violonistes. Jusqu’à l’âge de 17 ans, j’ai étudié au conservatoire et c’est ensuite grâce aux rencontres, en particulier grâce aux membres du Tricollectif, que je me suis lancé dans la musique. Pendant un stage dédié aux musiques improvisées avec la contrebassiste Elise Dabrowski, j’ai découvert des champs d’expression auxquels je n’avais pas accès au conservatoire.
Au premier abord, il y a une notion de grande liberté qui peut résonner avec certaines valeurs que je partage. Ensuite le tout est d’organiser, de structurer l’ensemble, c’est un long travail. Ce qui entre en jeu, c’est le paramètre d’être soi.

- Le choix du violoncelle s’est imposé à vous dès le début, de manière évidente ?

Ce choix est dû en grande partie au hasard. Enfant, de trois à sept ans, je jouais de la batterie et quand je suis entré au conservatoire, il n’y avait plus de place au cours de percussions, j’ai donc intégré la classe de violoncelle. Une autre part est surement due à cet amour des cordes que j’ai reçu en héritage.

Valentin Ceccaldi par Michel Laborde

Je n’ai jamais réfléchi en tant que violoncelliste. Mon père dirige une école de musique dans laquelle mon frère et moi allions jouer du jazz et du rock. Comme je jouais du violoncelle, je n’avais pas d’autre choix que d’aborder les morceaux avec mon instrument. J’ai aussi joué de la basse, mais finalement je suis rapidement revenu au violoncelle, qui était l’instrument que je maîtrisais le mieux. Plus tard, j’ai eu envie d’avoir un instrument électrique. J’ai fait appel au luthier orléanais François Vendramini, qui a conçu une guitare accordée comme mon violoncelle, en quinte, avec 4 cordes, dont je joue à l’horizontale et que j’ai appelée horizoncelle. J’en joue surtout dans le groupe de Théo Ceccaldi, Freaks.

JE CHERCHE AVANT TOUT À ME SURPRENDRE, À RÉVÉLER CERTAINES SONORITÉS GRÂCE À DES TECHNIQUES ÉTENDUES, DES FROTTÉS, DES TAPÉS, ASSEZ RARES CHEZ LES VIOLONCELLISTES, MAIS PRATIQUÉS PAR BON NOMBRE D’IMPROVISATEURS

- Votre nouveau disque Atomic Spoutnik paraîtra le 4 février. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

A l’origine, je m’étais intéressé aux textes d’Antonin Artaud et j’avais en tête de collaborer avec l’acteur Denis Lavant, mais le projet ne s’est pas concrétisé. A ce moment-là, on sortait un disque avec un des groupes du collectif, Walabix, et le label nous a proposé que la pochette soit faite par André Robillard. J’ai eu la chance de le rencontrer par la suite, on a passé du temps ensemble et il m’a semblé plus poétique que cet homme vivant soit au cœur de l’oeuvre, sur scène avec nous, plutôt qu’un comédien qui interprète des textes choisis.
J’ai été frappé par la personnalité d’André Robillard. Il a une présence magnifique, d’une grande profondeur, que j’ai voulu retranscrire dans Atomic Spoutnik. Cet homme incroyable, peintre, dessinateur, figure emblématique de l’art brut, fait des fusils en pièces de récupération « pour tuer la misère ». D’une certaine manière, Atomic Spoutnik est une ode à André Robillard.

- Depuis combien de temps mûrissez-vous ce projet ? Vous aviez imaginé un spectacle avant même d’enregistrer l’album ?

Il y avait tout d’abord l’envie de monter un orchestre, un spectacle dans lequel tous les membres du Tricollectif seraient présents sur scène. Les musiciens, Théo Ceccaldi, Roberto Negro, Florian Satche, Guillaume Aknine, Adrien Chennebault, Gabriel Lemaire, Quentin Biardeau et Jean-Brice Godet, mais aussi Robin Mercier, auteur et récitant, Jean-Pascal Retel qui signe l’univers graphique et vidéo du collectif, Guillaume Cousin aux lumières et Mathieu Pion, l’ingénieur du son avec qui on travaille depuis des années. Le disque ne pourra jamais restituer la pleine dimension sonore et visuelle du spectacle, mais c’est un outil nécessaire. Ce n’est pas dans l’air du temps, et pourtant j’adore les disques, ouvrir les boîtiers, les mettre dans ma platine. Je suis profondément amoureux de ces objets, j’en achète beaucoup. C’est mon côté boulimique de musique.
Atomic Spoutnik a été conçu pendant une longue période. Enregistré en juin 2015, l’album verra le jour en février 2017. La prise de son dans une disposition live à la Scène Nationale d’Orléans - c’est là que le spectacle a été créé - a permis la meilleure transcription possible. Selon moi, et pour beaucoup de musiciens sans doute, l’enregistrement marque une forme d’aboutissement, il permet de fixer une partition à un certain moment et de faire circuler la musique.

- Que signifie le titre Atomic Spoutnik ?

Le choix du titre est intimement lié à l’univers d’André Robillard, passionné par l’espace et les planètes, et ses dessins de « spoutniks », qui rappellent le premier satellite russe envoyé en orbite. « Atomic » fait référence à cette notion d’infiniment grand, mais aussi à l’infiniment petit, de la taille d’un atome.

Valentin Ceccaldi et Sylvain Darrifourcq par Christian Taillemite

ON JOUE BEAUCOUP SUR LES CONTRASTES DANS LE SPECTACLE, DES DÉTAILS INFIMES LAISSENT PLACE À DES EXPLOSIONS MAXIMALISTES

- C’est le troisième volet des Grands Orchestres du Tricot, à la suite de Tribute to Lucienne Boyer et Jericho Sinfonia. Dans quelle mesure avez-vous marqué cette création de votre empreinte ?

Dans Tribute to Lucienne Boyer, j’ai seulement fait quelques arrangements. Théo Ceccaldi et Roberto Negro ont signé les arrangements des autres morceaux. Cette fois, l’approche est différente, j’ai imaginé tout le parcours du début à la fin. Mais l’œuvre a pu exister uniquement grâce à toutes les personnes présentes. La magie d’André Robillard qui illumine le spectacle mais aussi tous les participants, que ce soit les techniciens ou les artistes sur scène. Au moment de la conception, j’ai apporté la forme et le récit composé, auquel se sont ajoutés les textes écrits par Robin Mercier et les films de Jean Pascal Retel.
Les pistes numérotées sont simplement des repères sur le disque. Atomic Spoutnik est une entité, une seule grande pièce, comme peut l’être un film ou un livre. Je suis de plus en plus attiré par cette forme d’immersion, la possibilité de plonger dans un univers homogène pendant toute la durée d’un spectacle.

- Votre approche de la musique est-elle essentiellement cérébrale, abstraite ?

La musique que j’aime doit autant parler à mon corps qu’à mon esprit. Ce qui implique d’intégrer les deux notions quand je me projette dans l’écriture d’une pièce. Je ne me penche pas devant une feuille blanche en pensant à tel ou tel concept, j’imagine le déroulé de manière instinctive, avec des moments abstraits enchaînés à des moments plus explosifs, puis d’autres qui peuvent paraître statiques, sans jamais oublier l’essentiel : faire naître des sensations.

JE SUIS PROFONDÉMENT ATTACHÉ À UNE APPROCHE SENSITIVE DE LA MUSIQUE

- Votre musique est empreinte d’énergie débridée et de délicatesse. L’improvisation joue un rôle majeur dans votre conception de nouvelles formes ?

Dans Atomic Spoutnik, il y a des plages d’improvisation, mais elles sont toujours dirigées d’un point A vers un point B, des passages où la musique est contée de manière narrative, et d’autres qui ont pour vocation de brouiller les pistes, où chacun peut se faire son idée de l’univers. On se demande : qui est ce personnage, où va-t-il ? La projection dans l’espace peut être perçue de deux manières différentes. Il représente à la fois l’infiniment loin et l’espace intérieur. Je souhaite offrir au public l’espace disponible à ses propres projections, une évasion possible de la réalité ou de la société, face à quelque chose qui nous fascine probablement tous.

- Quels auteurs contemporains vous ont influencé ?

Il y a les compositeurs Charlie Haden et Carla Bley, les minimalistes américains comme Philip Glass, des musiciens comme John Cage, qui a transfiguré la manière de percevoir l’œuvre musicale et des improvisateurs comme Joëlle Léandre, qui a changé une époque. L’écoute de A Love Supreme de John Coltrane a été un moment très intense. Avec cet album, on entre dans un récit, une histoire, une suite. Le cinéma est aussi une grande source d’inspiration, et notamment des cinéastes comme Leos Carax et Costa-Gavras.

Valentin Ceccaldi en 2012 par Christian Taillemite
Valentin Ceccaldi

- Vous avez multiplié les collaborations et joué dans de nombreuses formations : Toons, In Love With, Garibaldi Plop, Freaks, Walabix, Marcel et Solange, parmi d’autres. Vous êtes sur scène presque tous les soirs et votre agenda est bien rempli pour les mois à venir. Ce foisonnement contribue-t-il à votre impulsion créative ?

J’ai besoin d’être dans l’action permanente et je suis heureux de commencer cette nouvelle année avec autant de choses si différentes. Tous ces projets sont à chaque fois ceux que j’ai choisis et je reste très disponible, plein d’énergie, parce que l’envie est là. Je joue au Triton ce soir un répertoire issu de l’album God At The Casino, aux côtés de Manuel Hermia (saxophone) et Sylvain Darrifourcq (batterie). Prochainement, je vais participer à la nouvelle création du chanteur Xavier Machault, ce qui change de mes habitudes. La semaine prochaine, je serai dans une pièce théâtrale musicale, intitulée Contre les Bêtes. Le texte est de Jacques Rebotier.
Il y a quelques jours, j’étais en répétition avec Leila Martial, avec qui je travaille depuis plusieurs années pour mettre au point notre duo Fil. On partage de beaux moments, où chacun de nous peut s’exprimer au plus juste. Il y a une vraie exigence, on est curieux de plein de choses tous les deux, on cherche à donner un sens à ce duo, sans se mettre de barrières. L’enregistrement de ce premier répertoire est prévu le mois prochain.

- Vous vous êtes fait une solide réputation au sein de la famille du jazz francophone ces dernières années. Comment envisagez-vous l’avenir ?

Nous vivons des moments incroyables, avec mon frère Théo Ceccaldi. Nous avons une complicité extrêmement rare. Jouer ensemble dans une dizaine de projets, être perpétuellement stimulés par de nouvelles rencontres, c’est exceptionnel ! Cela dépasse nos attentes, qui n’étaient pas du tout celles d’aujourd’hui il y a trois ou quatre ans. La notoriété en soi n’est pas importante, elle est significative si elle résonne chez les personnes qui nous entourent, écoutent un de nos disques ou viennent nous voir en concert.