Scènes

Valse pour Monica

Un film sur Monica Zetterlund ? Voilà l’occasion pour le public français de découvrir la diva du jazz suédois et une chanteuse plus que prometteuse, Edda Magnason.


« Monica Z. » (titre original de « Valse pour Monica) » a remporté un vif succès auprès du public suédois (n°1 au box office 2013), qui est resté très attaché à cette icône du jazz vocal. Ce biopic, sans doute un peu lisse, ne séduira pas autant le public français, mais il a le mérite de faire découvrir une chanteuse à la personnalité complexe et au style singulier. Quant à son interprète Edda Magnason, elle est tout simplement formidable.

Une fois n’est pas coutume, vous allez lire une chronique de film, qui plus est inspiré par une star du jazz suédois, Monica Zetterlund (1937-2005). Sorti en France dans l’indifférence presque générale en mars dernier [1], c’est une « biographie venue du froid » qui n’a rien à envier aux films américains du même genre consacrés à Johnny Cash ou Ray Charles.

A la fin des années cinquante, Monica Zetterlund, jeune Suédoise très déterminée à quitter sa province pour devenir chanteuse de jazz, se lance dans une carrière qui la conduira de Stockholm à New York, où elle approchera Miles Davis, Ella Fitzgerald et surtout Bill Evans. Elle chantera en duo avec Harry Belafonte pour Martin Luther King et se produira régulièrement dans le très populaire Steve Allen Show. Elle a également joué dans des comédies musicales et des séries, fait des apparitions remarquées dans les années 70 auprès des monstres sacrés Liv Ullman et Max von Sydow, dans les films d’Ingmar Bergman et reçu un prix pour son interprétation dans Les Émigrants de Jan Troell. Pourtant, Monica Zetterlund n’a pas eu pas une vie facile : mère célibataire dans les années soixante, elle a connu beaucoup de revers, sombré dans la dépression et l’alcoolisme, et connu une fin tragique en 2005 dans l’incendie de son immeuble.

En se concentrant sur ses débuts, le Danois Per Fly ne raconte sans doute pas la véritable histoire de Monica Zetterlund, mais plutôt un parcours hors du commun, une vie d’artiste avec des hauts et pas mal de bas. L’intérêt est de faire découvrir au public français celle qui demeure très populaire en Suède, avec une discographie importante d’une vingtaine d’albums. Le film, un peu trop académique, souligne cependant le combat difficile d’une artiste prête à tout sacrifier à la musique. Monica Zetterlund a dû lutter en premier lieu contre son père Bengt qui, pourtant trompettiste amateur, était très opposé à sa carrière. D’origine modeste, elle a d’abord été standardiste, mais très tôt de gloire rêvé en dépit des obstacles : mal aimée, jamais à sa place, voulant tout maîtriser, elle est passée à côté de sa vie de femme et de mère. Une apparence légère et enjouée, un réel talent comique dissimulaient une fêlure réelle. Si elle a connu assez vite un certain succès populaire, elle a eu beaucoup plus de mal à convaincre les milieux artistiques intellectuels - la figure du cinéaste Vilgot Sjöman évoque irrésistiblement Bergman.

Les deux atouts majeurs du film sont le charisme de la magnifique Edda Magnason et la puissance des séquences musicales. L’actrice interprète avec conviction la diva suédoise à qui elle ressemble… en mieux. Chanteuse elle-même, elle est dotée d’une voix superbe, même si elle a dû adopter un timbre plus grave et prendre l’accent du nord, Monika Z étant née à Hagfors [2].

Le film se concentre donc sur les premières années de la carrière de Monica : repérée par Leonard Feather, elle débarque à New York pour chanter au Swing 46 dans le trio d’une de ses idoles, le pianiste Tommy Flanagan. Elle fait, à sa grande surprise, connaissance avec le racisme ordinaire : elle est trop blanche, trop blonde pour chanter avec des noirs ! L’une des scènes décisives est sa brève (et imaginaire ?) rencontre avec Ella Fitzgerald : après avoir tenté d’interpréter « Do You Know What It Means To Miss New Orleans ? », elle se fait remettre à sa place par Ella, qui lui conseille de s’en tenir à ce qu’elle connaît, à l’instar de Billie Holiday dans cette chanson. Revenue au pays, Monica ne s’avoue pas vaincue ; elle décide d’adapter les standards dans sa langue natale, idée lumineuse qui la rendra célèbre. Car, même sa cuisante déconvenue à l’Eurovision 1963, où elle représente son pays et obtient le score humiliant de zéro, n’affectera en rien l’attachement de ses compatriotes à son égard. Cette histoire d’amour est encore vraie aujourd’hui puisque le film a remporté dès sa sortie un grand succès en Suède, surpassant de loin les blockbusters américains.

La grande rencontre musicale de Monica fut celle de Bill Evans, qui lui offrit son « Waltz For Debby » en 64. On la voit, émue, chanter au Lenox Lounge [3]. Les chansons sont habilement intégrées au récit, et les standards sont le prétexte à une expression personnelle, précise et convaincante. La BO du pianiste Peter Nordahl est soignée, et ce sont des musiciens scandinaves qui accompagnent Edda Magnason, sauf pour les séquences américaines. Elle chante en anglais au début du film : « It Could Happen to You », « I Cant Give You Anything But Love », puis très vite choisit le suédois pour « New York » ou le planétaire « Take Five » de Desmond/Brubeck. Un des thèmes récurrents est « Sakta In Go Genom Stan », qui n’est autre que le délicieux « Walkin My Baby Back Home » de Nat King Cole (1961).

Les amoureux du jazz et des années soixante verront avec plaisir ce film qui allie mélancolie et swing dans un cocktail séduisant et rétro. Les autres apprécieront un beau portrait de femme et de musicienne, splendidement incarnée. Edda Magnason, ou A Star Is Born ?

par Sophie Chambon // Publié le 21 avril 2014
P.-S. :

[1A l’exception de France Musique qui, partenaire de sa sortie a recommandé le film dans certaines de ses émissions : « Open Jazz » d’Alex Dutilh et « Cinéma Song » de Thierry Jousse. Yvan Amar a même présenté le 7 mars dernier dans son « Jazz Club » un concert d’Edda Magnason avec Peter Nordahl enregistré à l’Institut suédois de Paris.

[2Edda Magnason vient d’Ystad, dans le sud, la ville de l’inspecteur Wallander, pour les amateurs des polars d’Henning Mankell.

[3C’est Randy Ingram, dont on peut écouter en ce moment l’album Sky/Lift, qui joue le rôle du pianiste dans la fameuse interprétation de cette valse.