Chronique

Vincent Courtois

WEST

Vincent Courtois (cello, guide-chant), Benjamin Moussay (p, clav, jouets, celesta), Robin Fincker (ts, cl, bcl), Daniel Erdmann (ts)

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

Vincent Courtois est homme d’image. Pas seulement si l’on repense à la bande originale du dessin animé Ernest et Célestine, qu’il a composée, mais parce que sa musique est résolument cinématique, évocatrice. Le violoncelliste empruntait sur L’Imprévu une insoutenable légèreté toute rohmerienne ; pour Mediums, également en compagnie de Daniel Erdmann et Robin Fincker, il sondait l’étrangeté inquiétante des films de la Hammer. Avec WEST, il se lance dans un road movie à travers des espaces infinis, et pas n’importe lesquels puisque ce sont les mers et les lagunes qui trament cet album (sorti, comme il se doit, sur le label La Buissonne). Qu’on se rassure pourtant, aucun risque d’entendre ici le moindre chant de marin. Il s’agit plutôt d’un embarquement vers de grandes étendues contemplatives, avec leurs remous soudains. Pas de ciré hirsute vantant Bonne-Espérance. S’il y a un chant, c’est celui des sirènes, dans l’archet plus que jamais sensible affrontant seul des tumultes qu’on croirait tout droit sortis d’une partition de Kodály (« 1852 mètres plus tard » - un mille marin, donc). Un morceau repris en toute fin d’album, comme un retour au bercail.

Courtois use de tous les timbres voyageurs du violoncelle, que les pizzicati transmutent subtilement en kora ou en guitare pleine de blues, l’espace d’un instant. Toute traversée se fait en solitaire. Ce cap à l’Ouest n’échappe pas à la règle, même s’il embarque çà et là quelques compagnons de voyage, tel Federico Casagrande sur At The End of The Day, enregistré en compagnie du violoncelliste. Il y a d’abord le pianiste Benjamin Moussay, présent sur près de la moitié des morceaux, et dont l’imaginaire puissant se confronte à merveille à celui son hôte. La petite pluie fine de noroît qui s’égraine sur un « Nowhere » à la quiétude étale permet aux deux musiciens de développer des atmosphères où chaque détail compte. A l’inverse, la construction très recherchée de « West » permet à la multiplicité des voix de ballotter l’auditeur dans des turbulences jubilatoires, entre une boucle obstinée de clavecin et un archet en errance.

Puis les saxophonistes Ermann et Fincker les rejoignent, et l’atmosphère est alors à la divagation. Hallucinations en mer ? « Freaks » allume au large des lampions de petit bal languide et WEST se teinte de réminiscences en provenance de Mediums. Moussay rejoint Fincker sur « Tim au Nohic », et le gros temps s’annonce : le morceau est court, comme un grain soudain, mais incarne le pic d’intensité de l’album, si ce n’est son sommet. Les différents claviers se frottent, s’affrontent, se fracassent sur le jeu conquérant des cordes pendant que le ténor tente d’émerger des flots. Puis le calme revient après la tempête et Erdmann pose (« Désarçonné ») un souffle rocailleux sur l’embellie.

Courtois poursuit la construction patiente et attentive d’un univers absolument singulier. En témoigne l’ivresse de « Sémaphore » où, par le jeu des re-recordings, il joue face à lui-même. Ce disque est une île au milieu de l’immensité, une île qui, à défaut d’être déserte, referme de nombreux trésors. Délaissons le nord des boussoles. WEST est la direction à prendre.