Chronique

Volume !

Sex sells… Blackness Too ?

Après l’excellent « Peut-on parler de musique noire ? », le nouveau numéro de la revue Volume !, consacrée aux musiques populaires, « Sex sells… Blackness too ? » s’interroge sur la « stylisation des rapports de domination dans les cultures populaires et postcoloniales », un dossier coordonné par Malek Bouyahia, Franck Feitas et Karima Ramdani. Qu’est-ce à dire ?

À travers des exemples empruntés au hip hop, au reggae, au rap et au R&B, des chercheurs explorent les relations de pouvoir à l’œuvre dans les représentations des chanteurs.ses, des danseurs.ses et des musiciens.nnes, dans une perspective postcoloniale. Il s’agit en fait d’étudier la manière dont des artistes noirs.es et d’origine maghrébine subvertissent et/ou reproduisent, en utilisant leur image et leur corps, une identité qui leur a été assignée, comme : « les Noires ont une sexualité débridée », ou « les Maghrébines sont musulmanes ». Comme si une femme d’origine maghrébine était nécessairement musulmane. Chaque groupe ethnique se voit imposer une identité qui repose sur des clichés, et il s’agit de voir comment, dans la culture populaire musicale, ces préjugés sont détournés et/ou confirmés (volontairement ou non). C’est tout l’enjeu de la perspective postcoloniale : réfléchir aux rapports entre « moi » (le point de vue du dominant, c’est-à-dire l’homme blanc) et « l’Autre » (le Noir, l’Arabe, etc) dans les sociétés décolonisées, le plus souvent brassées par de multiples immigrations.

Par exemple, Karima Ramdani étudie le cas des « video girls », ces femmes noires et/ou d’origine maghrébine qui se trémoussent à côté des chanteurs en adoptant des positions lascives dans les clips de rap et de R&B, ainsi que celui des chanteuses « beurettes » : Amel Bent, Wallen, Lil’Kim ou encore Queen Latifah. Retour à une origine souvent fantasmée, revendication d’indépendance mais, en même temps, revendication d’une sexualité et d’une famille tout à fait normées… Chacune à leur manière, elles se débattent avec les catégories dans lesquelles elles sont enfermées. Peut-on parler d’émancipation à leur sujet ou bien de reproduction des schémas sexistes, hétéro-normatifs et coloniaux à leur endroit ? Par exemple, peut-on dire d’une femme qui danse à moitié nue dans un clip, et par là revendique sa corporéité noire, qu’elle est moralement répréhensible, ou bien qu’elle est émancipée ? Est-elle dans une logique de possession de son corps par l’exhibition (un peu comme les Femen) ou bien dans une logique d’assujettissement au regard masculin ? La conclusion de Karima Ramdani est que la véritable subversion n’est possible que si les armes utilisées n’ont pas déjà été inventées par les dominants. Or, c’est rarement le cas.

De nombreux autres exemples sont explorés dans ce numéro, comme ceux de Mariah Carey (Gérôme Guibert, dans « The Emancipation of Mimi ? Le tournant communicationnel de Mariah Carey et la question du féminisme », à propos de la revendication de ses origines raciales afro-américaines et de la sexualisation de son image à partir de la seconde moitié des années 1990), de Michael Jackson (Isabelle Stegner-Petitjean dans « “The Voice in the Mirror” : Michael Jackson, d’une identité vocale à sa mise en image sonore », qui explore les techniques de voix et d’enregistrement de l’artiste), ou de la chanteuse de rap Missy Elliot (Patricia Hill Collins dans « “Get Your Freak On”, Images de la femme noire dans l’Amérique contemporaine », un extrait traduit par Emmanuel Parent de son livre en anglais Black Sexual Politics, 2004, à propos de la construction d’images de la féminité noire qui enferme les femmes noires dans un stéréotype racial et justifie leur discrimination dans une Amérique hantée par l’histoire de l’esclavage).

Chaque fois il s’agit de déconstruire, c’est-à-dire de mettre au jour les processus de construction d’une image figée qui oppose un « moi » à un « Autre » et justifie les logiques racistes. Volume ! fait le lien entre cette réflexion sur l’identité et les musiques populaires, et permet de comprendre comment celles-ci véhiculent des tensions portées par celles-là et, pour le lecteur, de ne pas être dupe des logiques commerciales et politiques qui exploitent ces tensions et ces contradictions : en faisant croire au public ce qui n’est pas, en grossissant les images, en s’engouffrant dans les peurs, les marchands de musique détournent ces questions identitaires à des fins lucratives.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 7 janvier 2013
P.-S. :

Volume ! La revue des musiques populaires, Editions Seteun, 2011
Prix : 19 €
300 pages
Format 21 x 21 cm