Chronique

Wadada Leo Smith Golden Quartet

Éclipse (Jacques Goldstein)

Label / Distribution : La Huit Edition/Orkhêstra

« Listen to the film and watch the music », voilà le pari que s’est fixé La Huit Edition avec cette série de films musicaux captés au festival Banlieues Bleues. La série s’intitule « Freedom Now » et chaque réalisateur a l’entière liberté de filmer la musique à sa guise.

La dernière livraison donne de la production actuelle un échantillon intéressant et contrasté dans les approches. Chaque film est confié à un cinéaste pour qui la musique est un authentique sujet de travail. La carte blanche qui leur est confiée permet de dépoussiérer les codes plus ou moins figés de la représentation de la musique filmée, problème qui se pose également au théâtre. L’image est souvent privée de sens quand on regarde de la musique enregistrée en concert.

Jacques Goldstein s‘est attaché à suivre le Golden Quartet de Wadada Leo Smith en 2005. Il filme dans un beau noir et blanc, avec une grande précision, isolant chaque musicien - qu’il met ainsi en valeur (Vijay Iyer aux claviers électroniques, John Lindberg à la basse et Ronald Shannon Jackson à la batterie) ; il ne donne pas beaucoup d’images d’ensemble mais s’attache plutôt à rendre perceptibles les différentes phases de jeu, le jazz en train de se faire. Le quartet est totalement absorbé dans son jeu : le titre du DVD, Eclipse, convient parfaitement : Wadada Leo Smith pense que le musicien a la responsabilité de faire tout oublier au spectateur, lors de ce moment d’intensité partagée qu’est le concert.

Entre chaque morceau, de courts extraits d’interview (on retrouve celle-ci dans le bonus), nous éclairent non sur le parcours véritable de Smith, mais sur sa conception de la musique : tout part du blues, « un état d’esprit qui permet de naviguer de la tristesse à la joie, une musique confiante en elle même, la sensation ultime ». Wadada Leo Smith, qui a grandi dedans, ressent cet ancrage tradtionnel et en même temps le vit dans une toute autre dimension.

Comment évoquer la personnalité de ce trompettiste d’exception ? Figure importante de la Great Black Music, il a participé aux travaux du groupe expérimental majeur de l’AACM de Chicago, fondé en 65 (Association for the Advancement of Creative Musicians). Mais avec ce Golden Quartet, dont le nom est finalement explicite, il a atteint une plus grande sérénité, il se fait moins intransigeant, moins solitaire. Maturité - ou sagesse - qui se ressentent dans ses créations aux aspects bleutés qui peuvent faire songer à Miles.

Sa musique systémique, qui s’éloigne désormais du free jazz d’Ornette Coleman, ne correspond plus vraiment à la dénomination « jazz » mais plutôt à celui de « creative music ». Le jazz, en effet, s’est codifié au cours des années ; il a écrit son histoire propre. Et même s’il est grande partie improvisé, il se distingue de l’improvisation libre, sans idiomes, sans styles, qui développe un vrai langage, une vision d’un monde différent.

Le travail du réalisateur révélera à beaucoup la personnalité de Wadada Leo Smith et ravira les amateurs de la Great Black Music, heureux de suivre un magnifique concert de ce musicien majeur.