Chronique

X_Brane

Penche un peu vers l’angle

Bertrand Gauguet (as, ss), Jean-Sébastien Mariage (elg), Mathias Pontevia (dr)

Label / Distribution : Amor fati

Il arrive que tout tienne dans le nom : l’esthétique, le propos, l’ambition. C’est le cas d’X_Brane, trio formé par Bertrand Gauguet aux saxophones alto et soprano, Jean-Sébastien Mariage à la guitare électrique et Mathias Pontevia à la batterie horizontale. Sous ses consonances de science-fiction, l’appellation indique qu’on a affaire à une musique aux dimensions cachées.

X_Brane renvoie à la théorie des cordes. Selon cette très sérieuse hypothèse scientifique, le monde ne se limiterait pas aux trois dimensions spatiales que nous percevons. Il en serait doté d’un nombre supérieur. Ces dimensions seraient cependant indécelables, car enroulées sur elles-mêmes et situées à des échelles des milliards de fois plus petites que l’atome. Dans cette théorie, les branes sont des objets composés de plusieurs dimensions dont la variable x indique le nombre. Enfin, il faut envisager ici les briques fondamentales de matière constituant l’univers comme des cordelettes vibrantes, d’où le nom de la théorie.

La musique d’X_Brane est donc à appréhender sous ce point de vue général, surtout si l’on se réfère au titre de l’album, Penche un peu vers l’angle, qui sonne comme une invitation à changer la position de notre viseur auditif. Il faut tendre l’oreille. Apparaissent alors ces fameuses dimensions cachées, se révèlent des reliefs dissimulés, des paysages ondulants. Cette musique est mue par une énergie noire, c’est-à-dire une force de prime abord invisible, mais bel et bien à l’œuvre. Avec ses souffles granuleux de saxophone, ses cymbales jouées à l’archet et ses peaux de tambour frottées, ses notes de guitares électriques égrenées avec une science aiguë de la retenue, le trio déploie une musique de l’espace, du micro-événement, de l’évolution lente, de la texture.

Certes, l’univers d’X_Brane n’est pas totalement inouï. Il est l’héritier du minimalisme et de l’improvisation européenne. Il s’inscrit aussi dans la famille réductionniste désormais en expansion. Son originalité est, là encore, à chercher du côté de la théorie des cordes, dont l’une des grandes ambitions est de parvenir à unifier la relativité générale et la physique quantique. De même que les scientifiques cherchent à établir un lien entre les lois qui régissent les forces de l’univers et les propriétés spécifiques des particules élémentaires, les musiciens d’X_Brane jouent une musique qui élabore un continuum entre différents courants historiques. Dans ce Penche un peu vers l’angle s’entendent ainsi des mouvements à la manière des compositions romantiques du XIXe, des réminiscences atonales des musiques contemporaines, des répétitions à la mode minimaliste, des éclairs électriques rock, des lambeaux de jazz, des pulsations tribales. Dans leur quête, Gauguet, Mariage et Pontevia produisent un art de l’imbrication et de la dérive des matières d’où surgissent d’étonnantes lumières. Une musique de nouvelle et grande dimension, en effet.