Chronique

Y. Rousseau

« Poète, vos papiers ! »

Label / Distribution : Le Chant du Monde

On connaît encore très mal une partie de l’œuvre de Léo Ferré, et le projet du contrebassiste Yves Rousseau, en quartet avec deux chanteuses, présente l’intérêt de faire découvrir les mots de ce poète anarchiste, ce rebelle toujours en éveil. Que reste t-il justement de Léo près de quinze ans après sa mort survenue un 14 juillet, dernier acte de résistance républicain(e ?) pour ce monégasque ? Des « tubes », une sacrée gueule, des mimiques impayables, une saine colère…

C’est à partir du recueil Poète, vos papiers !, publié en 1956, qu’Yves Rousseau a créé la matière dense de cet album cohérent. Il a composé des musiques originales sur certains textes du recueil, repris des chansons déjà interprétées par Ferré, et écrit les arrangements pour l’ensemble du disque : dix-sept textes exhumés, peaufinés par le contrebassiste, qui nous les propose dans une version mise en voix par les jeunes Claudia Solal et Jeanne Added. Chant récité ou énonciation sculptée en musique, on découvre ainsi la grande beauté des textes de celui qui fut l’interprète des « poètes maudits ». Les arrangements allient les timbres délicats du violon de Régis Huby et du saxophone soprano de Jean-Marc Larché dès le splendide « Préface », sur « Le mannequin » ou sur « A un prochain cadavre » ; ils font aussi la part belle à la batterie assénée de Christophe Marguet sur « A toi » ou sur le final rageur, qui s’accorde avec le thème du « Testament ».

Une douce innocence, du respect et une humilité certaine dans le rendu de ces voix féminines - avec parfois, cependant, quelques défaillances. Pourquoi avoir choisi deux chanteuses qui, sans l’abattage de Catherine Sauvage, pour ne citer qu’une des extraordinaires interprètes de Ferré, ne sont pas assez contrastées dans leur expression ? Si on se souvient de Ferré, de son extraordinaire présence sur scène, de la violence de certains textes éructés, de l’authenticité de son investissement, le résultat de cet album doucement féminin, dont la musique s’accorde à cette fragilité lumineuse et presqu’enfantine, a de quoi surprendre.

Le propos d’un tel album était ambitieux autant que périlleux, car Ferré a ses fidèles qui penseront à comparer, comme dans toute tentative de ce genre. Il était donc sage de ne pas longer les rivages des « tubes » de Léo - la tentative aurait échoué à coup sûr -, car ce travail soigné n’est pas assez iconoclaste pour surprendre et convaincre vraiment. On a donc, ici, heureusement choisi d’aborder une terra nettement plus incognita, ce qui fait tout l’intérêt de ce disque. Alors malgré tout, soutenons ce projet encouragé par la passion d’Alain Raemackers (du label Chant du monde, premier label de Ferré) qui n’a jamais hésité à aider toute entreprise servant ses deux idoles musicales, Zappa et Ferré !