Chronique

Yaron Herman

Alter Ego

Emile Parisien (ts, ss), Logan Richardson (as), Yaron Herman (p), Stéphane Kerecki (b), Ziv Ravitz (dms)

Label / Distribution : ACT

Dans la discographie de Yaron Herman, ce « quintet » constitue un nouveau groupe. Pourtant, le pianiste a simplement réuni autour de lui des musiciens avec lesquels il a eu de nombreuses occasions de jouer dans divers contextes ; cette connivence s’entend à travers la cohésion du groupe. On y retrouve avec plaisir certains artistes qui semblent posséder le don d’ubiquité tant ils multiplient les participations à des projets passionnants, sous leur nom ou en tant que sidemen. C’est donc une équipe « très en jambes » qui sert la musique protéiforme d’Alter Ego, et Herman a eu le bon goût de capitaliser sur cette verve en offrant à ses partenaires de belles occasions d’exprimer leur talent, qui plus est dans des registres variés.

Alternant l’épure et le bouillonnement, les formats courts et moyens, les conversations intimes et les effets de masse, il dépeint à travers ces douze titres ses réactions face à d’importants événements de sa vie récente. Destinée à exprimer des sentiments variés, la musique est forcément hétérogène ; ici, elle se pare d’ambiances tour à tour enjouées et mélancoliques. La cohérence d’ensemble est due au soin constant apporté à la dimension mélodique des thèmes et des improvisations. Dans ses notes de pochette, Yaron Herman explique qu’il a fait en sorte d’écrire la musique qui était en lui, sans se soucier des attentes ou de la manière dont elle serait perçue. Riche idée, au vu du résultat. Le groupe entier s’est visiblement inscrit dans cette logique, et la sincérité des intentions transparaît dans la musicalité que chacun imprime au fil des plages.

Emile Parisien et Logan Richardson ne jouent ensemble que sur quatre miniatures, mais cela nous laisse le temps de constater à quel point ces deux brillants saxophonistes savent rester en retrait, privilégiant au cours de ces « rencontres » les jeux de chassé-croisé, le soutien mutuel et les alliances de timbres. Ce n’est pas ici qu’on les entendra croiser le fer, mais nulle frustration pour autant : d’une part, ces séquences sont passionnantes, et d’autre part, chacun bénéficie d’espaces généreux pour construire de longues interventions sur les titres plus longs. La belle écriture de « La confusion sexuelle des papillons » inspire à Parisien un solo intense au soprano où l’on reconnaît bien son phrasé fait de petites phrases esquissant un cadre expressif, ces lignes conductrices sur lesquelles il finit par laisser libre cours à sa vélocité, faisant jaillir de son saxophone de longs chapelets de notes bouillonnantes. Sur « Atlas And Axis », il prend le contre-pied de cette esthétique qui lui est propre et souffle dans son ténor de belles phrases apaisées. Richardson donne quant à lui la pleine mesure de son inspiration sur « Homemade » et surtout « Madeleine », qu’il orne d’un chorus admirablement construit.

Stéphane Kerecki et Ziv Ravitz fournissent un accompagnement souple et créatif, tout en légèreté dans les séquences intimistes (« Heart Break Through »), puissant et régulier sur les titres plus enlevés (« Mojo »), et usent de leur grande capacité à créer ou souligner des atmosphères, comme sur le très cinématique « Sun Bath » ou le surprenant « Mechanical Brothers » (dont le son a bénéficié d’un traitement singulier, dans une veine qu’on nommera électro-rock pour faire simple).

Le temps d’un « Your Eyes » simple et mélodique, Yaron Herman s’exprime seul au piano. Un peu plus loin, il interprète avec Emile Parisien une reprise sensible et épurée de l’hymne national israélien, « Hatikva ». Ailleurs, il se partage entre exposé des thèmes, accompagnements, solos splendides et ponctuations subtiles. Mais si l’on ne peut que louer son jeu limpide et les idées qu’il fait naître sous ses doigts, c’est avant tout son remarquable travail global qu’on retiendra ici : instrumentiste passionnant, il montre plus que jamais que c’est à travers ses choix, son écriture, ses agencements et sa volonté de mettre en avant une démarche collective qu’il s’épanouit aujourd’hui. Pour notre plus grand plaisir.