Chronique

Yolkorama été 2009

Tour d’horizon des trois albums Yolk de l’été.

Tour d’horizon des trois albums Yolk de l’été. Deux points communs : singularité et qualité.

Le catalogue Yolk accueille depuis toujours à la fois les disques signés des membres du collectif éponyme [1] et ceux des amis, comme Geoffroy Tamisier ou Print. Avant de se recentrer sur les membres du collectif, au moins pour un temps [2], le label nantais publie trois disques de ces « friends » (comme l’indique la pastille présente sur les pochettes).



Print & Friends
Around K

Print : Sylvain Cathala (ts), Stéphane Payen (as), Jean-Philippe Morel (b), Frank Vaillant (dm) & Friends : Laurent Blondiau (tp, bugle), Michel Massot (tu, tb), Jozef Dumoulin (elp), Gilles Coronado (g)

Parmi les amis fidèles de Yolk, on retrouve Print, mené par Sylvain Cathala. Pour ce nouveau disque, ce quartet s’est mué en octet en invitant quatre « Friends » (c’est décidément une histoire de copains !) : Gilles Coronado, Josef Dumoulin, Michel Massot et Laurent Blondiau. Cathala peut ainsi donner la pleine mesure de son talent. Huit morceaux, autant d’histoires riches, originales, nocturnes. La force du compositeur est d’offrir une musique toujours en mouvement, aux mélodies et aux rythmes complexes sans que jamais le versant intellectuel et complexe enlève quoique soit au bonheur de l’auditeur. Pas de froideur ou de complication gratuite. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les arrangements pour les deux cuivres, la contrebasse omniprésente de Jean-Philippe Morel ou les soli de Laurent Blondiau. Cette musique est cinématographique ; il se passe une foule de choses qu’on découvre écoute après écoute. La richesse naît des lignes entremêlées — celles de la guitare et du Rhodes, celles des saxophones. A la batterie, tout en décalages rythmiques subtils, Frank Vaillant n’assoit pas la musique mais la propulse. La cohérence est évidente ; tout colle parfaitement, on sent le répertoire et le groupe ont une histoire commune, que tout ce monde se connaît. Il faut se laisser porter ici par le travail sur les sonorités, tensions et les détentes, par le son de groupe, l’investissement des musiciens. Avec Around K, Print version octet tient son album le plus abouti, et ce n’est pas peu dire quand on connaît la qualité des précédents disques.



Olivier Thémines Trio
Miniatures

Olivier Thémines (cl), Kit Le Marec (vib), Guillaume Hazebrouck (p)

La Compagnie Frasques est à l’honneur avec deux disques signés de ses membres. Le premier est l’œuvre du trio d’Olivier Thémines, ici à la clarinette, accompagné par Kit Le Marec au vibraphone et Guillaume Hazebrouck au piano. Le titre de l’album (Miniatures) est très révélateur de son contenu : vingt vignettes empreintes de dramaturgie et d’étrangeté entre jazz et musique de chambre qui n’excèdent pas 4’30, autant de petites saynètes musicales imaginaires, comme une bande son de balade cinématographique (impression renforcée par les titres explicites). L’alliage rare clarinette-piano-vibraphone permet des sonorités feutrées, subtilement restituées par Gérard de Haro, notamment sur la reprise de « Glaciation » (Ran Blake) : les musiciens laissent les sons prendre leur temps, se propager, s’épanouir puis s’éteindre. Ici, pas de précipitation. L’équilibre entre les instruments est parfait, les rôles alternant d’un morceau à l’autre, voire à l’intérieur d’une même pièce. Le tout évoque parfois les Filmworks de John Zorn par la couleur instrumentale, la durée, le rythme, la construction mélodique ou les subtilités cachées. On en redemande.


Guillaume Hazebrouck Sextet
Frasques

Guillaume Hazebrouck (p), Sébastien Rouiller (as, ss), Sébastien Boisseau (cb), Laurent Vanhée (cb), Kristof Hiriart (voc), Nicolas Larmignat (dm)

Le second disque de la Compagnie Frasques émane du sextet de Guillaume Hazebrouck. Même sobriété dans le graphisme que pour le trio de Thémines : une photographie issue des collections du Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône. Pour ce qui est de la musique, Frasques nous emmène à la découverte de l’univers intimiste du pianiste, à l’origine de l’ensemble des compositions. Ici la beauté mélodique se teinte d’une nostalgie étrange. Pour être jazz (« En avant d’eux-mêmes », « Progresse »), ces pièces n’en ménagent pas moins des surprises, et collent parfaitement à la spécificité des textes choisis. En effet, ce sextet peu courant (saxophones, piano, voix, deux contrebasses et une batterie - sait enrichir le propos : « Le passager du tramway », extrait de la Métamorphose de Kafka et porté par la diction parfaite de Kristof Hiriart, évoque en même temps les cahots incontrôlables du tramway qui dépassent le personnage, et la situation quasi obsessionnelle, oppressante de ce dernier. Ailleurs, la musique s’offre des éclats et dérapages (« Coquille d’œuf », « Midi ») mettant en valeur les qualité d’instrumentistes des six musiciens. Parmi eux, Nicolas Larmignat semble survoler le disque : sa batterie est partout, souligne ici, illustre là, dynamite ou se fait câline. Son travail sur « Marine » est exceptionnel de justesse. Mais on aurait tort de négliger l’apport des contrebasses (Sébastien Boisseau et Laurent Vanhée), fondamental au regard de la couleur orchestrale, la richesse et le dynamisme de l’œuvre. Quant à Hiriart, sa voix lui autorise toutes les inventions. Enfin, les saxophones de Sébastien Rouiller créent, en se mariant avec le piano et la voix, un liant qui parachève la cohésion de l’ensemble. Un voyage solitaire qu’on voudrait garder pour soi tant il touche l’auditeur au plus intime. Un voyage qui, on l’espère, ne s’arrêtera pas là…

par Julien Gros-Burdet // Publié le 30 octobre 2009

[1Matthieu Donarier, Daniel Casimir, Alban Darche, Sébastien Boisseau et Jean-Louis Pommier.

[2Lire l’interview d’Alban Darche.