Chronique

Yom & The Wonder Rabbis

With Love

Yom (cls), Manuel Peskine (Rhodes, synth, effects), Sylvain Daniel (b, effects), Sébastien Lété (dr).

Label / Distribution : Buda Musique

Ce n’est pas sans humour que Yom, comme il le dit lui-même, « tourne le dos à la tradition » : avec une clarinette devenue bâton d’amour et baguette magique, il se fait super-héros en jaune et noir sur fond rose. Le poster qui accompagne le disque, paru chez Buda Musique, emprunte à l’esthétique du comic pour présenter Yom et ses Wonder Rabbis, venus répandre l’amour sur une terre dévastée. Si les couleurs des dessins n’ont pas grand-chose à voir avec celles de la musique - quoique… - l’idée générale est identique : traverser un paysage en ruine et lui redonner vie.

Toujours aussi souple et véloce, Yom poursuit un voyage de plus en plus personnel. Après New King of Klezmer Clarinet, ancré dans la tradition klezmer, et Unue, où il explore déjà des terrains plus intimistes, le clarinettiste de génie, s’il conserve le même jeu mélodique, se tourne cette fois vers le rock et la transe. Road trip le long du Danube, With Love parcourt l’Europe de l’Est et salue son héritage musical tout en s’en appropriant le suc pour créer une forme nouvelle. Fait de lentes montées en puissance, d’explorations psychédéliques et de martèlements propices à la transe à façon trip-hop, le disque s’écoute les yeux fermés, le corps en mouvement, ouvert au souffle psyché quasi-tribal.

On pense à Portishead, Massive Attack, Radiohead, Faithless, Limousine… Mais si l’électronique ponctue l’album entier, c’est la clarinette qui est mise en avant. On serait même tenté de dire, et c’est le seul regret, que les quelques passages uniquement brodés d’effets électroniques sont en-dessous des autres, parce qu’ils amènent une couleur de trop, le rose. Alors que le voyage est en nuances de noir et gris, sombre sans être pessimiste, ces effets apportent une touche un peu trop sucrée, l’esquisse d’un « happy end ». Or, personne ne connaît la fin du voyage, car il n’en a probablement pas, et même s’il en avait une, elle n’a que peu d’intérêt. Le centre est ailleurs, au cœur de la traversée elle-même, dans le flux des échanges entre Yom, les claviers de Manuel Peskine, la basse de Sylvain Daniel (DPZ, ONJ Yvinec) et la batterie de Sébastien Lété. Comme dans le rock, les quatre instruments forment un tout, il n’y a pas de structure conversationnelle - ou presque. C’est un même souffle lent qui visite Tchernobyl (« Picnic in Tchernobyl ») et Constantinople (« Highway to Constantinople »), dessine des paysages plats, longe le Danube rouge (« Along the Red Danube ») et chante un « Kaddish for Superman ». Yom réussit l’exploit de produire une musique à la fois propice à la mélancolie et ouverte sur l’avenir, témoin de panoramas désertiques et porte-parole des bourgeons à venir. Détournant les codes du klezmer avec humour et respect, il crée son propre langage, entre rock et psyché, un chant mélodique - laissez-vous traverser.