Chronique

You

Isles

Héloise Divilly (dms), Guillaume Magne (g), Isabel Sörling (voc)

Label / Distribution : Label Vibrant

L’île de la Réunion ne s’est pas appelée comme ça parce que des gestionnaires cravatés ont un jour décidé d’y créer un festival de Powerpoint.
C’est parce que d’un caillou volcanique colonisé est né l’un des plus formidables mélange des cultures qui soit, dans une harmonie qui n’a rien de béat. Il en reste forcément quelque chose dans la musique, comme la matière minérale sèche qui se dépose quand on fait bouillir de l’eau pure. La batteuse Héloïse Divilly en est un pur produit : née sur l’île de la Réunion, elle en a appris les rythmes avant de venir au CNSM. Fille d’un poète irlandais installé à la Réunion depuis les années 70, sa double culture est forcément kaléidoscopique ; le genre de produit improbable qui donne quelque chose de magnifique pourvu qu’on ne s’y perde pas. Ce fruit, c’est YOU, paru sur le Label Vibrant, toujours ravi de contribuer à une poésie cosmopolite : en témoigne le joyeux « Elisa », chanté moitié en anglais, moitié en créole sur un rythmique guillerette et solide et jamais enfermé dans une esthétique « world » fermement rejetée.

Pour brouiller un peu plus les pistes et s’amuser à voyager, le trio compte une chanteuse suédoise et un guitariste métropolitain. D’ailleurs, sur le long « Faute de soleil, mûri dans la glace », Isabel Sörling chante en suédois un texte empreint d’une certaine féérie, cotonneux comme un rêve et se livrant totalement aux éléments. A côté d’elle, Guillaume Magne s’occupe de textures souvent caniculaires, comme pour mieux se saisir des paradoxes. Le propos de Isles n’est pas d’opposer Nord et Sud, ni de jouer sur les identités. Au contraire, dans « I Dreamt A Quadrangular Stone » qui permet à Sörling d’exprimer toute sa puissance, c’est la douceur de la concorde qui est convoquée dans un texte de Vincent Divilly bienveillant et plein d’images. Il en va de même dans le très hendrixien « You » qui célèbre l’amitié du trio avec un penchant pour le blues tout à fait bienvenu.

Isles est un objet étonnant, et pour tout dire très attachant. Hybride jusque dans son style, on peut le définir comme proche de la pop (« Telling About Large Time ») mais en même temps radicalement délié de toutes sortes de formats. Héloïse Divilly y démontre une approche très élastique de son drumming, capable d’épouser l’univers de ses compagnons et d’instiller mille couleurs pastel qui savent toujours s’unir agréablement. Le genre de projets qui dans un monde parfait passerait sur les radios pour chantonner gaiement. Ce monde n’est pas idéal, hélas, mais ce disque parviendrait à nous faire croire qu’il est des îles lointaines où l’inverse est possible.