Chronique

Zhenya Strigalev

Never Group

Zhenya Strigalev (sa), Tim Lefebvre (eb), Eric Harland (dm)

Label / Distribution : Whirlwind

Né en Russie, installé en Angleterre, Zhenya Strigalev joue sur ce disque avec des musiciens américains. Se moquant parfaitement des nationalités, sa musique se proclame, en effet, d’un seul territoire souverain, celui qu’énonce le speaker dans la cocasse introduction : le jazz (swing, be bop, musique expérimentale, jazz moderne, etc). Dans son aspect le plus tonique toutefois : son alto en décompose chaque ingrédient et évoque les grandes figures de l’instrument (un Lee Konitz sous amphétamines ou encore un Steve Coleman enjoué et non dénué d’humour). Sa sonorité droite trace des lignes de crête claires et efficaces qui s’appuient avec gourmandise sur une section rythmique lui servant de moteur. Car, tout en participant de l’histoire de cette musique, cette dernière contribue incontestablement à une ouverture vers des pratiques plus actuelles.

Parfaitement homogène et génératrice d’un groove naturel aussi efficace que décontracté, elle entraîne le saxophoniste à dépasser son propre potentiel et conduit l’auditeur dans un état d’euphorie particulièrement stimulant. A la basse électrique, Tim Lefevbre injecte un funk bondissant et moelleux fait de riffs survitaminés. Par une navigation à l’intérieur des gammes, il crée une tension permanente et oblige chacun à trouver une solution pour sortir des sentiers battus. En adepte d’une culture tous azimuts, aussi à l’aise auprès de David Binney, Wayne Krantz, Uri Caine que Elvis Costello ou David Bowie (sur Blackstar), il peut également rester bloqué sur des notes profondes et édifier des murs hypnotiques directement inspirés du monde de la danse électronique (jungle, drum & bass, dub) que les relances incessantes du batteur viendront briser.

Car, de son côté, Eric Harland s’adosse parfaitement aux excès de son camarade. D’une culture ancrée dans les racines de la Great Black Music, il a officié auprès de McCoy Tyner, Charles Lloyd ou Dave Holland et propose un swing puissant et efficace qui ne se refuse pas, au besoin, à des progressions binaires. Leur association complice est toute en apesanteur ; typiquement américaine ; elle renoue avec une immédiateté de jeu qui n’est pas sans rappeler celle d’une jam session.

C’est d’ailleurs sur ce point que pêche principalement ce Never Groupe. Constitué d’une succession de vignettes plus ou moins longues, parfois franchement dispensables, et complétées par quelques invités (Bruno Liberda, Matt Penman, John Escreet et Alex Bonney) dont les interventions sporadiques n’apportent rien, l’absence réelle de propos finit par lasser. Un disque inutile donc mais parfaitement réjouissant. Et vice versa.