Entretien

Ziv Ravitz

Sortir de sa zone de confort

Photo © Laurent Poiget

Ziv Ravitz est un batteur à part dans l’univers musical moderne. Que ce soit en petite ou plus grande formation, chacun de ses projets est porteur d’une grande richesse mélodique, dont il est pleinement acteur dans sa manière d’intégrer l’instrument à l’ensemble. Rencontre avec l’un des batteurs les plus mélodieux de la scène actuelle.

- Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je suis né et j’ai grandi en Israël. Après avoir fini l’armée, j’ai déménagé aux États-Unis pour étudier au Berklee College of Music, à Boston, où j’ai suivi une double maîtrise en interprétation et composition. Après avoir été diplômé de Berklee, j’ai déménagé à New-York, où je réside encore aujourd’hui.

- Ce qui vous distingue de bon nombre de batteurs, c’est la musicalité de votre jeu. Quelle est votre approche de l’instrument ?

Je n’aborde pas la batterie comme une simple fonction dans un groupe, mais comme un outil d’expression pour la musique. Je participe à la mise en forme de celle-ci, j’accentue l’harmonie et la mélodie au besoin, je l’aide à bouger là où elle doit aller. Nous faisons tous partie de la musique. Des musiciens au public. Nous partageons la responsabilité de la canaliser comme elle doit l’être. Il ne s’agit pas de ce que j’ai à dire à la batterie mais plus de ce que la musique a besoin que je fasse.

Je travaille mes cymbales avec un forgeron à Brooklyn

- La façon dont vous utilisez les cymbales est également inhabituelle : leurs sonorités se confondent avec les toms et ne semblent pas seulement là pour ponctuer une mesure …

Je prends beaucoup de temps et de soin pour choisir mes cymbales, je les travaille avec un forgeron à Brooklyn pour les accorder à mon goût. J’ai aussi un réglage spécial pour les toms afin de rendre l’ensemble aussi unifié que possible en tant qu’unité organique.

Photo © Christophe Charpenel

- D’où part une composition ? d’un rythme ou d’une mélodie ?

Je suppose que ça commence comme pour n’importe quel musicien. Être batteur ne signifie pas que j’entends la musique seulement à travers le prisme de la batterie mais bien à travers la musique. Parfois, cela commence à partir d’un rythme, parfois à partir d’une mélodie, parfois de la progression d’accords, ou encore à partir d’un concept. La musique est bien plus que mon instrument et quand je compose (à l’aide d’une guitare, un piano, une trompette ou sur papier), la musique reste la priorité.

- Être musicien, tourner dans le monde entier, c’est être un peu nomade. Ce doit être une expérience enrichissante, mais n’est-ce pas aussi un peu dur ?

Je voyage beaucoup pour jouer de la musique, en effet. Quelquefois plusieurs jours pour un seul concert. Cela peut être dur, mais la plupart du temps ça dépend juste de la façon de prendre ce moment. En soi tout peut être difficile ou pénible, même les choses que l’on aime. Je suis parfois loin des gens que j’aime et je passe beaucoup de temps seul, mais je sais que c’est pour le bien de la musique. Partager la musique avec les gens est plus qu’un travail pour moi, et si le prix à payer est une vie nomade pour le moment, alors je prends. Je suis sûr qu’il y aura un moment où ce ne sera plus mon choix, alors je bougerai moins et trouverai une manière différente de m’exprimer.

- Un musicien peut-il aider à ouvrir le dialogue entre les cultures ?

Bien sûr ! La musique est la seule langue internationale. Nous parlons tous le même langage dans cet espace, et cela dépasse tous les obstacles. Je le vois à chaque fois que nous jouons. On rencontre des personnes de différentes cultures et l’on réalise que nous sommes tous pareils dès que nous partageons ces lieux, ces sentiments. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous identiques, mais en musique c’est d’autant plus évident !

Photo © Christophe Charpenel

- Vous travaillez aussi en studio, en mixage ou en mastering. Est-ce un besoin de maîtriser le processus de création du début à la fin ?

C’est vrai. Je fais pas mal de mixage et de mastering pour beaucoup de gens. C’est une autre façon pour moi de faire de la musique. J’ai appris beaucoup de choses dans le processus de mixage et de mastering, comment être un meilleur musicien mais aussi un meilleur auditeur. J’aime ça, et plus qu’un besoin, c’est plutôt une autre passion. Plus les facettes et le potentiel d’un art sont profondes, plus elle sont comprises. Je fais aussi beaucoup de photographie, pour la même raison.

- Nous avons le sentiment que les musiciens avec qui vous collaborez sont comme une famille pour vous, que l’aspect humain compte autant que l’aspect artistique, est-ce le cas ?

C’est tout à fait vrai. Je crée des liens profonds avec les gens avec lesquels je joue parce que je crois vraiment que l’art est la vie. Si vous avez un lien fort avec les gens avec qui vous jouez, la musique sera plus profonde et plus cohérente pour l’auditeur. Le public n’a pas nécessairement la notion des règles harmoniques ni les clés de la théorie musicale. Mais il sait une chose à coup sûr, c’est ce que la musique lui fait ressentir, il connait la condition humaine et les sentiments. Nous devons donc faire un avec cela aussi, et cela nécessite également une connexion personnelle.

Nous sommes ce que nous jouons et nous jouons ce que nous sommes

- Il vous est souvent arrivé de jouer sans basse, que ce soit pour votre album solo Images From Home ou avec Yaron Herman. C’est plutôt rare pour un batteur, qui est d’abord considéré comme la moitié de la section rythmique.

J’adore les groupes qui demandent aux membres de sortir de leur zone de confort en les obligeant à aller plus loin que ce qu’on attend d’eux, et de leur seule « fonction » originale au sein du groupe. Les formations sans basse poussent les musiciens à trouver cette fréquence et cette fonctionnalité dans le domaine de leur propre instrument.

Photo © Michel Laborde

- D’autres disques sous votre nom sont prévus, ou s’agissait-il d’un seul album ?

Je vais enregistrer un autre album cette année. Mais le projet est toujours secret… (sourire)

- Pouvez-vous nous parler du projet avec Geneva Camerata ? Comment cela a-t-il commencé et quel est votre rôle dans ce projet ?

Il s’agit d’un projet hybride entre le jazz et la musique classique. J’ai été contacté par David Greilsammer (le directeur de l’orchestre) pour rejoindre ce projet avec Yaron Herman parce qu’il connaît notre travail ensemble. C’est un merveilleux projet, c’est réellement magnifique. Nous sommes tout juste sur le point de faire une tournée de trois semaines avec l’orchestre.

- Vous avez déclaré « nous jouons ce que nous sommes ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Nous sommes la musique que nous jouons et la musique que nous jouons est nous. Chaque choix que nous faisons dans notre vie, y compris nos choix musicaux sur scène, ou ce que nous choisissons d’écouter, provient de qui nous sommes en tant que personnes et de ce que nous avons expérimenté jusqu’à présent. Je suis la somme de tout ce que j’ai vécu jusqu’ici sur cette terre, ainsi que mon héritage et mon arrière-plan multiculturel, qui participent à cela. Alors je crois que nous sommes ce que nous jouons et que nous jouons ce que nous sommes.