Chronique

John Coltrane

The Olatunji Concert

John Coltrane (ts, as), Pharoah Sanders (ts), Alice Coltrane (p), Jimmy Garrison (b), Rashied Ali (d), Algie de Witt (bata drums), possibly Juma Santos (perc).

Label / Distribution : Impulse !

Avril 1967 : trois mois avant sa mort, John Coltrane enregistre un de ses tous derniers concerts, en indépendant, à New York, au Centre culturel africain créé par son ami, le batteur nigérian Olatunji. On découvrit il y a quelques années ces pièces uniques où Pharoah Sanders, Jimmy Garrison, Rashied Ali, Alice Coltrane, Algie DeWitt et sans doute Jumma Santos, interviennent de façon décisive.

Cette séance ne conclut pas l’ascension du soleil noir de la galaxie jazz mais souligne l’évolution constante, inéluctable de son engagement. S’entendent ainsi la frénésie, la fulgurance et aussi une certaine libération dans la restitution des deux seuls titres de l’album. Dans sa poursuite mystique, Coltrane ne pouvait qu’être intéressé par Ogundé, thème du folklore afro-brésilien, « negro spiritual en dialecte africain » qu’il traduit en une longue supplication que les stridulations aiguës de Pharoah Sanders, la fusillade au piano d’Alice, et le pilonnage ininterrompu de Rashied Ali rendent presque intolérables. Coltrane a inventé un nouveau langage, utilisant polytonalité et multirythmes pour raconter la déportation d’hommes des rivages africains vers ceux du Nouveau Monde.

Puis il reprend une fois encore « My Favorite Things » qu’il transfigure dans une performance qui n’a plus rien à voir avec les autres versions créées régulièrement depuis qu’il s’est emparé du thème en 1960 pour Atlantic. Le jazz est une musique improvisée qui ne devrait jamais se répéter. Pourtant, Coltrane était obsédé par la circularité. Il étire à plaisir le standard de Rodgers & Hammerstein, le disloque sur plus de trente minutes. Il n’a jamais cessé de jouer ce thème, le découvrant à chaque fois, comme pour la première fois. Il explore inexorablement les marges, conscient du décalage entre ce qu’il a déjà réalisé, et ce qui lui reste encore à créer. Il a « cette obsession du plein, mais non de la saturation ». Après une longue introduction presque calme du fidèle Jimmy Garrisson à la basse, Coltrane - au soprano, avec un son particulièrement aigre -, souffle pour faire reculer la fin, s’engage dans un vertige sans limites, sa musique s’intégrant avec le reste de l’univers.

Plus de quarante ans après sa mort, son œuvre demeure l’aventure musicale absolue. Coltrane voulait déclencher l’émotion, atteindre le cœur et l’âme du public, aller contre l’idée de transparence et de contrôle pour plonger au cœur d’une origine que l’on ne connaît pas. « Heart of darkness » … A chaque disque, il repoussait ses limites vers une nouvelle frontière. « Le jazz a un goût pour l’inachèvement ». On le comprend peut-être mieux à l’écoute de l’enregistrement de The Olatunji concert.