Portrait

Point de vue collectif

Le collectif Hask se bouge…


Le collectif de jazzmen Hask gère depuis dix ans une structure de production autonome, au service d’une musique claire et exigeante. Portrait.

Thôt par Eric Garault / Mephisto

Genèse d’une ambition : Hask germe à Montreuil, banlieue ouvrière du nord-est de Paris, au début des années 90. Au départ, quatre musiciens pointus : Hubert Dupont (contrebassiste), Guillaume Orti (saxophoniste), Benoît Delbecq (pianiste) et Steve Argüelles (batteur), réunis autour d’un lieu, Les Instants Chavirés. Ils s’y produisent régulièrement, mais ne jouent presque jamais ensemble. Leur entente est ailleurs : plutôt que de
monter un groupe à quatre, ils vont dès le début multiplier les formations, passer de l’une à l’autre, inviter des musiciens proches d’eux pour des aventures musicales sans lendemain, ou au plus long cours. Démarche logistique et logique, au vu du contexte : au cours des années 80, avec l’explosion du big business culturel, le paysage musical s’est distendu. Le jazz est devenu un no man’s land immense, démuni de repère autre que les gondoles des disquaires (world, funk, soul…). La démarche nominaliste des quatre musiciens a le mérite de la clarté : à chaque groupe sa couleur musicale, son identité propre. Quand l’un d’eux veut jouer une autre musique, il crée un autre groupe. Un autre nom. Autour des Instants
Chavirés, les ensembles se multiplient et se succèdent, au gré des projets : Kartet, Décor, Recyclers…

En 1991, Steve Coleman, saxophoniste noir américain et militant pour une musique libérée des circuits commerciaux, les reçoit à une master-class qu’il organise au Canada. Pragmatique, il leur conseille de rassembler leur galaxie de groupes dans un ensemble. En un mot, de constituer un collectif. Coleman a monté le sien quelques années plus tôt : il l’a appelé M’Base, nom qui évoque l’Afrique, le retour à la base. A la source. Selon ses mots, M’Base n’est pas « un club avec cotisation et cartes de membres », mais « un ensemble de musiciens liés par une manière commune d’aborder la création musicale ». L’idée semble faire son chemin puisqu’en 1993, Hask voit officiellement le jour. Ses bureaux sont à Montreuil, près de la place Jacques Duclos, coin de banlieue abordable pour une association à but non lucratif. Local exigu, mais équipé de fax et de PC. Ici, Julie Martigny et Stéphanie Knibbe, dynamiques attachées de production, se chargent d’organiser, gérer, mener à bien et faire connaître leur calendrier d’évènements musicaux. Ce n’est pas une sinécure : la musique que Hask promeut, le jazz improvisé, est réputé difficile. Elles opèrent, de plus, dans un contexte musical plutôt frileux et récessif. Julie explique « On avait monté un festival annuel, la Nébuleuse du Hask, où on invitait des musiciens de toute l’Europe à venir se produire avec des groupes maison. La dernière édition a mis fin à l’expérience : on ne pouvait même pas payer les artistes ! Ils sont tous motivés, prêts à jouer gratuitement, pour le plaisir et pour défendre leur musique, mais ce n’est pas tenable sur le long terme. On a trouvé une nouvelle solution, plus viable : une affiche réunit désormais les mêmes musiciens, dispersés dans différents lieux ». Cette organisation en réseau, centrée sur le petit bureau de Montreuil a l’avantage de la souplesse. Le site Internet du collectif, ainsi qu’un bulletin papier bimestriel, disponible gratuitement sur demande, réunit les concerts programmés à l’attention des amateurs de la Hask
musique.

Principal événement à venir : le quatuor Thôt, emmené par le saxophoniste Stéphane Payen, qui monte son nouveau répertoire en formation élargie à l’Estaminet de Magny-les-hameaux. Le leader de Thôt, T-Shirt, short et barbiche en broussaille, est le cinquième homme de Hask depuis deux ans déjà. Le benjamin du collectif a tout du prodige, la modestie en plus : il faut éplucher son CV pour apprendre qu’à trente ans il est professeur de musique à l’EMMA de Bondy, qu’il écrit toutes les compositions de son groupe, répète avec quatre autres… Passionné, il prend sur ses heures libres pour parler de Hask et du concert à venir, issu d’une commande d’Etat et de l’aboutissement d’un projet personnel. « C’est incroyable d’être dans Hask. J’ai appris la musique avec eux, j’ai commencé par les admirer et maintenant j’y suis. C’est un rêve de gosse qui prend forme ! ». Il s’explique sur la musique qu’il joue, regrette qu’elle soit perçue comme élitiste, difficile : « Je travaille des heures sur les morceaux pour les rendre simples, accessibles. Les étiquettes qu’on colle sur le jazz ou l’improvisation ne riment à rien. Venez nous écouter, vous verrez ! ». Il raconte son travail sur la musique, bien loin des lieux communs sur l’improvisation paresseuse : « Chaque morceau est écrit note par note. Chaque musicien apprend les partitions de tous les instruments. Dans ce cadre très strict, très dense, les rôles glissent d’un musicien à l’autre, au gré des sensations. Je vais jouer la partition de la guitare, le guitariste va jouer celle du sax, etc. L’idée, c’est que plus on a d’infos, plus on s’y retrouve ».

Stéphane Payen attend ce concert depuis deux ans : son quartet Thôt reçoit sept autres musiciens, de Hask ou d’autres collectifs français et belges (Aka Moon, Nocturn, ARFI). Bien entendu… Il se rebaptise ! Ce sera « Thôt agrandi », pour l’occasion. Les préoccupations politiques de Stéphane vont à l’alourdissement des charges pour les intermittents du spectacle, réclamées et obtenues par le MEDEF : « on est onze musiciens, avec la nouvelle loi on paye comme si on était douze ». La politique lui importe, il agit comme musicien, en constituant des espaces de liberté, en en refusant d’autres. « L’autre jour, un responsable culturel a organisé une soirée où il a traité les musiciens comme des chiens. Mon idée de la politique, ça a été de l’envoyer se faire voir, lui et les projets qu’on avait ensemble ». Une politique du spectacle
radicale !

Thôt agrandi, en concert-résidence le 5 octobre à Magny les Hameaux (20h30), place du 19 mars 1962, rens. 01 30 23 44 28 - Collectif Hask, 15 Rue Kleber, 93100 Montreuil.

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