Scènes

L’ONJ Barthélémy à Marseille


La nouvelle mouture de l’Orchestre National de Jazz s’est installée provisoirement pour un seul soir (hélas), à Marseille le 21 novembre dernier, au Grim (Groupe de Recherche et d’Improvisation musicales) dans le temple des musiques improvisées, chez Jean-Marc Montera.

A ceux qui risquent d’être étonnés que le Grim ait choisi de recevoir l’ONJ, on répondra que cette nouvelle formule, mise au point par Monsieur Claude, a choisi de montrer un ensemble éclaté, expérimental et néanmoins ludique. C’est que le guitariste nous revient en compositeur fécond et chef d’orchestre brillant dans son dernier projet bondissant et lyrique, au croisement d’innombrables références.

Dans cette nouvelle aire de jeu évoluent librement des jeunes talents guidés par cette musique intelligente et complexe, jubilatoire et réfléchie, tous motivés pour s’embarquer dans cette aventure. Dans le regard des plus jeunes, par exemple du guitariste Alexis Thérain , se lisent un respect et une admiration sans borne mais tous avouent leur satisfaction d’être à bonne école. Car l’Onj de Barthélémy est un véritable laboratoire expérimental où les musiciens engagés, sur le métier, remettent leur ouvrage avec délectation.

Ce soir, ils jouent sans aucune sono dans le studio Montevidéo, mais en parfaite cohésion, après seulement quelques répétitions, attentifs à prendre leur place au sein de cette nouvelle architecture qui commence à voir le jour .

L’orchestre est un outil majeur pour l’exposition de cette musique complexe et exubérante, auprès d’un public large et curieux sinon vraiment averti mais que Claude Barthélémy espère éveiller à tout un imaginaire créatif.

C’est qu’il aime les ORCHESTRES, balinais, symphoniques, les big bands, pourvu que se voient et s’entendent polyphonie et concertation. Un monde idéal en fait, "de musiciens-amoureux, investis qui font les choses en bonne intelligence et savent que la musique est aussi un jeu parfait où tout le monde gagne lorsque la partie est belle ».

Le programme déroule l’histoire du jazz revue par l’ « écrivain de musique » , depuis les origines dans le Deep South, les terres du Mississipi et de la Louisiane, du blues rural aux fanfares de la Nouvelle Orléans .

Le montage barthélémien caractéristique fait d’accélérations, de changements de cadences, de déséquilibres permanents, de collages parfois abrupts, brosse aussi sous nos yeux « une véritable planet music savante et joyeuse », balaie les régions françaises du Nord au Sud, navigue dans une géographie bigarrée des continents, de l’Afrique à l’Asie sans oublier l’Amazone. Au fond, pour le citer encore, « le jazz n’est-il pas une manière de folklore urbain réinventé sans cesse par des gens venus de partout » ?

Difficile pour le public de ne pas apprécier cette cohérence dans la discontinuité même. La musique ne s’arrête jamais, et tout au long de cet happening ébouriffant, s’intercalent des intermèdes truculents, rafraîchissants ou déconcertants : comme d’habitude, Médéric Collignon, aux anges, facétieux et rigolard, entoure Geoffroy Tamisier, trompettiste ligoté poursuivi par les saxophonistes déchaînés. Avec le Seb Llado Trio c’est l’instant de grâce, le délice d’un tromboniste tout en finesse qui fait entendre le doux velours de « sa » musique, composée tout spécialement pour ce nouveau groupe qui s’est découvert en interne, avec Didier Ithursarry à l’accordéon,et Nicolas Mahieux à la basse.

De toute façon chaque instrument a sa part de récompense, car Claude en chef de bande, écrit dans un langage original pour ses musiciens. C’est bien le seul moyen de tenir un groupe que de s’intéresser à ce que ses musiciens sont capables de donner, et de faire en sorte qu’ils apprennent toujours quelque chose en musique. Des thèmes forts, éclatants , aux titres toujours humoristiques et poétiques, Queue fer, Admirabelamour, déclinés en trio, en quartet (Quartet chti), en quintet sans souffleur avec de furieux solos de Barthélémy à la guitare (on s’ attendait tout de même à ce qu’il nous la joue « guitar hero » avec sa Gibson). Et, bien entendu, quand l’orchestre au complet avec les cuivres et les anches éclatants de vitalité, fait sonner cette musique dans le très remarquable Wazo le public est à point pour « la transe en danse ».

Une légèreté travaillée, du grand art.
Si ce n’était à Marseille qu’un avant-goût du travail de l’orchestre, gageons que nous allons avoir en France un Onj mémorable !