Entretien

Yves Robert

Interview tendre et ludique.

Rencontre avec Yves Robert, grand tromboniste et musicien inclassable, autour de son dernier enregistrement « In Touch - 48’ de tendresse ».
Durant ces vingt dernières années, il aura multiplié les rencontres avec Sclavis, Portal, Marais, Ducret, Pifarelly pour ne citer qu’eux et aura monté des projets brillants où se joue une musique joyeuse, mélodique et accessible.
Il fallait donc un côté un peu ludique à cette interview. Devant Yves Robert se trouvent des petits papiers qu’il tire au hasard et où sont inscrits des mots cachant les questions qu’il doit deviner.

1er papier : Bum

Y : Bum, c’est Cyril Atef, la moitié de Bumcello. Autrement on ne l’appelle jamais comme ça !
J’ai un rapport assez particulier avec la batterie. J’ai toujours préféré les batteurs qui avaient un discours personnel et très caractérisé, car pour moi le son du groupe dépend beaucoup du batteur.
Un des premiers groupes que j’ai faits en 1989 était avec Bruno Chevillon et Aron Scott qui avait un jeu extrêmement puissant et fluide.
Après je ne voyais pas avec qui continuer, alors j’ai cherché du côté des percussionnistes. J’ai travaillé avec Xavier Desandre, puis avec Alfred Spirli, un mélange entre un percussionniste et un clown. Il fait du bruit, des rythmes avec des objets. Tout d’un coup il y a une situation qui est en jeu ; c’est ça qui me plaisait.
J’ai rencontré Cyril dans Olympic Gramophon où j’avais été invité pour faire un ou deux bœufs. J’ai eu envie de jouer avec lui.
N’importe quelle rythmique chez lui devient un chant à part entière et c’est ce que j’utilise dans « In Touch ». La façon dont il joue est très claire et précise, pour moi c’est un régal.

Qu : Il y avait aussi le fait que ce ne soit pas un batteur de jazz ?

Y : Oui…mais ce n’est pas vraiment un problème. Ceci dit, j’ai un peu de mal avec les batteurs où tout le son baigne de façon systématique dans la cymbale. Ca type beaucoup trop le son et ça le tire vers le jazz. Là j’avais besoin de quelque chose de plus sec.
Souvent dans le jazz on est un peu bavard, on n’aime pas le silence. Pour moi, c’est bien de travailler sur le minimum efficace.
Les techniques modernes permettent ça, la définition de la musique peut-être plus large. Je cherche à avoir un discours essentiel sur le trombone, que rien ne soit gratuit, rien ne soit délayé.

2ème papier : Georges Chanot (1883)

Y : Je ne vois pas…Ah si, c’est le luthier du violoncelle, non ?

Qu : C’est le violoncelle de Vincent Courtois. Tu avais déjà joué avec lui ?

Y : On s’était croisé plusieurs fois, mais on a collaboré dans l’ONJ de Didier Levallet. On s’est pris d’amitié et on a eu envie de travailler ensemble.

Qu : Pourquoi ce choix ?

Y : Pour changer de l’habituel basse-batterie. Le violoncelle et le trombone, c’est un truc spécial.
Le violoncelle est un peu l’équivalent en cordes du trombone au niveau registre, et presque au niveau conception de l’instrument.
Ce sont deux instruments qui peuvent faire des glissandos, et qui ont presque la même fonction : ce sont des succédanés de parole masculine. J’ai eu l’idée de travailler là dessus, tout ça ramené à la sensualité.

3ème papier : Ecriture

Y : Ecriture Musicale, composition ?

Qu : Oui, sur ce projet.

Y : Je commence à être assez à l’aise de l’écriture, avec l’idée de la relation entre ce qui est joué - donc ce qui est entendu et ce qui est sur le papier.
Ce n’est pas quelque chose de très évident, surtout au niveau de notre pratique. Parce qu’il faut savoir ce qu’on note, et ce qu’on n’a pas envie de noter.
Par exemple sur certains morceaux de « La Tendresse », je n’ai pas écrit de rythmes pour pouvoir jouer de manière très fluide.

C’est comme s’il y avait un texte dont à tout moment les musiciens peuvent s’écarter. On réagit sur ce texte : « A ce propos, j’ai un truc à te dire, à jouer. Ca me fait penser à ça, donc je le joue ».
Il est question de relation, de confiance et puis d’intimité : « Tiens puisque tu es là, je te dis ça à toi ». L’idée, c’était un dialogue entre le violoncelle et le trombone.
Quand je donne un morceau aux musiciens je leur dis : « il est question de ça dans ce morceau, donc vous improvisez de telle manière, vous avez tous un rôle à jouer ».
C’est une forme d’écriture où je dirige, une mise en situation de la musique. J’y tiens beaucoup.
L’essentiel, c’est le récit. C’est pour ça que ça donne une espèce de fluidité, parce que l’idée, c’est la tendresse par rapport au temps qui passe et à la structure des morceaux. On est tendre avec l’écriture. On joue doucement, on accélère, on ralentit. C’est le projet le plus fluide que j’ai jamais fait.
C’est aussi par ce qu ’ECM est distribué par Universal, une partie de la Générale des Eaux.
Donc je voulais faire quelque chose d’aquatique par rapport à ça !

Qu : Il y a un côté religieux je trouve

Y : Je n’ai pas eu l’impression de faire une musique transcendantale.
J’ai voulu faire une musique proche de soi. C’est vrai que j’ai traité les souvenirs de ce qu’on avait entendu, c’est pour ça qu’il y a des thèmes qui reviennent, qui sont traités en filigrane, en ombre.
C’est recueilli, oui …mais ce n’est pas une musique triste, ni nostalgique.

4ème papier : ECM

Qu : Pourquoi être aller enregistrer chez eux ?

Y : Parce que Manfred Eicher m’a demandé d’envisager un disque avec violoncelle !
Bon tout le monde rêve d’aller enregistrer chez eux. C’est fait dans des bonnes conditions, c’est diffusé au niveau européen, c’est assez classe…

Qu : Je pensais au départ que c’était parce que tu avais besoin d’un son propre…

Y : Ca ne c’est pas fait dans ce sens là. J’avais déjà enregistré chez eux avec Louis Sclavis et Einer Goebbels. On a joué un jour à Munich et il m’a demandé de faire un disque pour lui.
J’imagine qu’il en avait l’intention depuis quelques années. Je me suis demandé pourquoi il me demandait à moi. J’ai donc cherché ce qui pouvait correspondre au territoire d’ECM et à mon idée de la musique.

Qu : As tu eu des exigences précises sur le son ?

Y : Non. Lui en a par contre. Il veut mixer dans un studio avec la reverb Lexicon qu’il connaît très bien.
Moi je m’en fous un peu. C’est plutôt la relation de confiance avec l’ingénieur du son qui est importante.

5ème papier : Hiver

Y : C’est par rapport à l’Eté ?

Qu : Je me disais que « La Tendresse » était complètement différent de « l’Eté [1] ».

Y : Pas tellement. Dans l’Eté, ce qui est en jeu c’est une énergie, un enthousiasme. C’est un territoire ludique, et les morceaux sont des déclencheurs de ça.
Quand je prends comme sujet la tendresse, je travaille sur le souffle : on se joue dans le creux de l’oreille et c’est d’un niveau énergique moindre. Mais pour moi ça reste chaleureux.
Ce n’est pas un virage à 180 degrés. C’est comme si j’étais comédien : j’ai un rôle dans un film et puis j’en ai un autre après.
John Zorn avait dit qu’il fallait jouer d’une manière différente dans chaque groupe. Je touche du doigt cette réalité là qui me va bien.

6ème papier : Télé Z

Qu : Alors que d’autres préfèrent monter sur une scène sans avoir pensé à l’ordre des morceaux, toi tu joues un programme.

Y : Un programme, c’est un itinéraire de jeu. On sait qu’après telle borne, il y en a une autre qui arrive. Donc on chemine, et pour moi ça donne pas mal de libertés.
A la fois une sécurité -ça va arriver, et une liberté - ça peut arriver quand l’autre décide.
Il me faut un sujet, c’est pour ça que j’aime les programmes. On peut tout à fait être sur une scène, faire les fous : regardez comme on est beau, comme on joue bien !
Ca ne me suffit pas. S’il y a un sujet, un état d’esprit, on ne sortira pas du concert dans le même état qu’on y est rentré. Je suis là pour transmettre une histoire et dans ce sens là j’ai besoin d’un programme.

7ème papier : Projet

Y : Le prochain projet qui va avoir lieu à Banlieues Bleues le 11 mars, c’est Orphée. En sextette, avec chant (Charlène Martin) , saxophone (Christophe Monniot), orgue (Emmanuel Bex), synthétiseur (Xavier Garcia) et batterie (Cyril Atef).
Les lignes de forces vont être le son de la voix chantée, le son du trombone lyrique par rapport à cette voix. J’essaye d’aller vers quelque chose de magique. Il va être question d’amour, ce sera plus sexe peut-être. Il va y avoir des bandes d’ambiance aussi : la relation musicale au son concret.
Je suis entrain de l’écrire, ce n’est pas très clair encore.
Je fais aussi un duo avec un comédien : Jean Marie Maddeddu. C’est un comédien du travail de rue, donc là c’est sur le langage, la parole, le son de parole et de la langue, la musique du trombone, la parole du trombone. Un projet très vocal : on discute ensemble. Personne ne comprend rien - nous y a compris, mais tout le monde se marre !

8ème papier : No Jazz

Y : Le groupe ?

Qu : Justement non !

Y : Si je fais du jazz ou non, c’est ça ? Tu penses que j’en fais ?

Qu : C’est l’étiquette qui se rapproche le plus de ta musique finalement. Mais ce mot là tu en penses quoi maintenant, il t’ennuie ?

Y : C’est vrai que c’était un problème pendant longtemps, mais j’ai décidé que ça n’en était plus un.
Je fais ce que j’ai envie de concevoir. Les musiciens sont finalement prêts à tout, il n’y en a pas beaucoup qui disent « non ».
Ce n’est pas du jazz, c’est avant tout de la musique conçue par des instrumentistes qui ont l’habitude d’improviser. Ca s’appelle jazz de fait, mais si on me dit que c’est de la world imaginaire je veux bien, ou du post classique ou du post conservatoire, pourquoi pas ! Ce qui m’intéresse c’est que ça puisse être entendu sans à priori.
Ca marche assez bien en fait.

par Charles de Saint-André // Publié le 13 janvier 2003
P.-S. :

En Concert :

  • 19 Janvier 2003, à la Grange Dîmière (Fresnes)dans le cadre de Sons d’hiver : « La Tendresse » Yves Robert Trio Fresnes.
  • 24 Janvier 2003, au Sunset : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 25 Janvier 2003, au Sunset : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 30 Janvier 2003, au Cri du Port (Cité de la Musique de Marseille) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 18 Février 2003, aux Trinitaires (Metz) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 19 Février 2003, au Pannonica (Nantes) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 20 Février 2003, au Pannonica (Nantes) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 27 Février 2003, à L’AJMI (Avignon) : Yves Robert Trio « La Tendresse »
  • 11 mars 2003, dans le cadre de Banlieues Bleues : Création d’Yves Robert « Orphée »
  • 2 Avril 2003, au Centre Athanor (Guerande) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 4 Avril 2003, au Quartz (Brest) : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 5 Avril 2003, au Théatre Municipal de Saumur : Jacques Pellen / Riccardo Del Fra / Yves Robert
  • 2 Mai 2003, à la Foire de Paris dans le cadre de la 4ème Fête des Jazz : Yves Robert Trio « La Tendresse »
  • 4 Mai 2003, au Festival du Mans : Yves Robert « Orphée »
  • 29 Mai 2003, au Festival de Coutances : Yves Robert Trio « La Tendresse »

[1Le précédent disque d’Yves Robert sorti en 1999 chez Deux Z