Entretien

Brussels Jazz Orchestra

Entretien avec le leader du Brussels Jazz Orchestra

Entre deux répétitions et avant d’emmener son orchestre en France, Frank Vaganée, co-fondateur, directeur artistique et saxophoniste du Brussels Jazz Orchestra (BJO) prend le temps de s’asseoir avec Citizen Jazz et de parler du passé, du présent et du futur du cet orchestre-phare.

  • Comment est né cet orchestre ?
© Jos L. Knaepen

Serge Plume, Marc Godefroid, Bo Van der Werf et moi-même avons monté le BJO en 1993 parce que beaucoup de musiciens n’avaient pas l’occasion de jouer dans un big band. On a joué une semaine sur deux aux Sounds [1] pendant 2 ans. C’étaient plus des répétitions publiques que des concerts, car on ne répétait jamais, à part en vitesse, une heure avant le concert. C’était un peu chaotique, mais amusant.

Le public était là, pour voir quelque chose de nouveau et différent. Au fur et à mesure, l’orchestre a commencé à être invité à des festivals. En 1996, on a reçu une petite subvention, mais c’est en 1999 qu’on a commencé à recevoir des subventions plus conséquentes de la part du gouvernement flamand [2]. Cette subvention nous a permis d’entreprendre de véritables projets et de nous produire plus souvent dans des festivals, des centres culturels ou des salles de concerts en Belgique et à l’étranger. Au début, les musiciens jouaient dans le BJO gratuitement, par pure passion, pour s’amuser. Ces subventions nous ont permis d’évoluer.

Aujourd’hui, le BJO donne 20 à 22 concerts par an, avec une pointe à 26 l’année dernière, et nous nous produisons de plus en plus à l’étranger. Même si ce n’est pas facile, avec 16 musiciens, c’est essentiel, car la Belgique est trop petite pour supporter un tel groupe : on ne peut pas jouer 10 fois sur les mêmes scènes. Jusqu’à présent on a pu jouer dans plusieurs pays européens, et fait une tournée aux Etats-Unis. Nous avons aussi lancé le concours international de composition, afin de hisser notre profil à l’étranger.

  • Comment s’est passée la tournée américaine ?

Elle a été un grand succès. On a été accueillis de manière très enthousiaste par tous les publics. C’était aussi une bonne expérience pour le groupe, humainement.

  • Votre répertoire évolue vers des compositeurs contemporains, alors qu’au début vous jouiez du Duke Ellington, par exemple.

Musicalement, je pense qu’il est très important d’apprendre à jouer la tradition, puis de faire quelque chose de personnel avec ce qu’on a appris. C’est pour ça qu’on a joué Ellington, Thad Jones ou Bill Holman, au début.

Financièrement, c’est aussi plus facile, car compositions et arrangements sont déjà là, il n’y a pas besoin de les payer. Depuis que nous avons un soutien financier, nous pouvons nous orienter vers de compositeurs contemporains, mais cela a toujours été notre objectif.

© Jos L. Knaepen
  • Comment s’est produite la rencontre avec Kenny Werner ?

Il y a six ans, en 1997, Kenny jouait en duo avec Toots Thielemans au Middelheim Festival [3]. A l’époque, je le connaissais seulement à travers sa musique. Après ce concert, il y avait une jam session à laquelle Kenny a joué. Il m’a entendu, a été surpris par mon jeu et m’a ensuite dit qu’il fallait que j’aille à New York. J’y suis allé un an plus tard.

  • Comment s’est monté le projet de CD ?

Kenny Werner a longtemps joué au Village Vanguard avec le Mel Lewis Orchestra et il a beaucoup composé et arrangé de musique pour big band, d’où notre intérêt à collaborer avec lui.

Le BJO a invité Kenny pour la première fois en 1999, encore au Middelheim Festival. En retour, il nous a conviés à jouer avec lui à l’occasion de la conférence de l’International Association for Jazz Education (IAJE), qui avait lieu cette année-là à New York. C’a été un grand succès et le début de la carrière internationale du BJO.

L’IAJE a vraiment été un moment très important, car c’est une rencontre entre musiciens et professionnels, qui nous ont tous dit avoir apprécié notre musique.

Finalement, on a enregistré Naked in the cosmos en février 2002, c’est-à-dire le même mois où a été publié notre précédent CD, The music of Bert Joris !

  • Comment décrirais-tu la musique de Kenny Werner ?

Quelle que soit la musique que l’on joue, il faut qu’elle soit de qualité et qu’elle intéresse les musiciens, sinon elle ne sonnera jamais bien. L’orchestre aime beaucoup jouer la musique de Kenny : elle est entre le traditionnel et quelque chose de complètement différent, elle couvre un vaste espace. Aussi, il est ouvert à de nouvelles choses.

Chacun de ses morceaux est comme un livre, plutôt qu’une seule histoire. Les morceaux de Bert Joris, au contraire, sont très axés sur la mélodie et ont un début, un milieu et une fin bien définis. Tu peux chanter les morceaux de Bert. La musique de Kenny est, d’une certaine manière, plus aventureuse. Elle est très différente, en tous cas.

© Jos L. Knaepen
  • Comment s’est déroulée votre collaboration en studio ?

Quand on joue avec Kenny, il ne s’inquiète pas de chaque petit détail, il ne cherche pas à ce que le moindre accent soit parfait, mais s’intéresse plutôt au cours général des événements. Il n’est donc pas arrivé avec des partitions super détaillées : les morceaux sont en partie le résultat d’un travail collectif au moment de l’enregistrement. Par exemple, Martijn Vink, le batteur du BJO, a suggéré un rythme différent à celui initialement prévu pour le premier morceau de l’album et Kenny a accepté sa suggestion. Il est ouvert à ce genre de chose.

  • Penses-tu qu’après dix ans, le BJO a développé sa marque de fabrique ?

Je pense qu’on peut reconnaître le BJO par son énergie, son habileté à jouer certains arrangements, la qualité et la personnalité de ses solistes.

  • Quels sont les futurs projets du BJO ?

Ils sont nombreux et variés, car il faut être réaliste : si on ne se montre pas versatile, on n’aura pas assez de travail pour maintenir l’orchestre. C’est ainsi qu’on a pu faire récemment un projet tango.

Lors de notre prochain passage en France, nous jouerons le répertoire de Maria Schneider, sous sa direction.

En juin on va mettre au point une collaboration avec la Philharmonie Royale de Flandres, sur des compositions de Bert Joris, Kenny Werner et Ed Neumeister, un tromboniste américain qui habite en Autriche. En octobre nous allons créer un projet d’accompagnement de films muets des années 20, avec des compositions de Bert, Gyuri Spies et moi-même. On appelle ce projet The BJO vs. the Big White Screen ! En août nous jouerons la musique pour big band de Dave Liebman, avec Dave en invité.

par Mwanji Ezana // Publié le 26 mai 2003
P.-S. :

A voir

  • Le 30 mai à 21h30 lors du festival Jazz sous les Pommiers. Ce concert sera suivi par celui du groupe Nathalie Loriers + Extensions, qui comprend plusieurs membres du BJO.

A écouter

  • Naked in the Cosmos : the music of Kenny Werner aura bientôt une distribution française et une chronique. Les plus impatients peuvent le commander directement du label jazz’n puls

A lire

[1vénérable club bruxellois

[2la Belgique compte un gouvernement fédéral et trois gouvernements régionaux : flamand, wallon et bruxellois. En matière de culture, il faut « choisir son camp » entre les gouvernements régionaux

[3festival de jazz à Anvers