Entretien

Jean-Pierre Layrac

Directeur de « Jazz à Luz »

Le directeur de « Jazz à Luz » répond à quelques questions pour présenter son festival et, à travers la programmation 2003, les idées qu’il défend.

Imaginons que je ne connaisse pas du tout « Jazz à Luz » ; comment me raconteriez-vous l’histoire de ce festival ?

Jean-Pierre Layrac (© H. Collon)

JPL : En treize ans, le festival a évolué. Le projet qu’on avait au départ n’a pas vraiment changé sur le fond, mais on est partis de plus en plus vers une orientation de « musique découverte ».
On sourit lorsqu’on repense au premier festival ! C’était l’époque la plus courageuse, parce qu’il n’y avait aucun festival de jazz dans les Pyrénées.
Après, il a fallu imposer notre projet qui n’est pas « grand public ». On est entourés de gens comme les politiques qui, et c’est légitime, sont entre nous (l’association) et les habitants, qui ont des comptes à rendre par rapport à ce qu’ils subventionnent. A un moment donné, on a dit : « Notre festival n’est pas un Marciac. Vous n’allez pas voir arriver six mille personnes dans le village. »
Ça veut dire qu’on fait une musique qui s’adresse à un public moins nombreux, mais qui demande à être élargi. On ne cherche pas à faire un festival pour une élite, c’est tout à fait exclu. Alors on a envie d’attirer les gens vers ce genre de musiques, notamment les jeunes qui sont curieux. On a voulu imposer ça, et je rends hommage à la municipalité qui, à un moment donné, a dû faire des concessions, accepter ce jeu-là avec nous et continuer à nous faire confiance.
On a dit « Non, il n’y aura pas Ray Barretto à Luz », par exemple…Ça nous laisse la liberté de continuer ce travail qui nous intéresse, d’aller chercher des musiques d’aujourd’hui, nouvelles etc.

Vous me dites qu’on ne verra pas Ray Barretto à Luz, mais j’ai vu une affiche d’une des premières éditions où étaient programmés Manu Dibango, Roy Haynes Quartet

JP : Tout à fait, on est passés par là et on ne le renie pas. Ça a été nécessaire pour installer le festival, ça nous a peut-être permis de faire de Luz ce qu’il est maintenant . Mais il y a cinq/six ans, on a dit qu’on voulait garder une certaine ligne artistique.

Vous m’avez parlé de la réaction des politiques. Comment a réagi le public local, les commerçants, lorsque le festival est né ?

Jean-Luc Cappozzo @ H. Collon

JPL : Il y a toujours une méfiance. Un festival accepté à 100%, ça n’existe pas. Evidemment, il y a des villages qui n’existeraient pas sans le festival : que serait Marciac sans son festival ? C’est une autre histoire, il doit y avoir très peu de gens contre. Luz, en revanche, existe sans le festival. C’est une station d’été, thermale, de ski.
Cela dit, on a convaincu de plus en plus de monde, et il y a forcément, encore aujourd’hui, des gens qui sont contre. On sait qu’on ne va pas arriver à les convaincre : ils voudraient que le festival soit noyé de monde.
On est conscients de ce problème, on fait un festival avec la musique qui nous plaît, avec des gens qui viennent de partout écouter la même musique que nous.
Ce qu’on juge normal, c’est que les gens y trouvent leur compte. C’est pour cela qu’en dehors de la programmation IN, il y a quand même un festival OFF très fourni, avec des concerts dans les cafés, des fanfares, plus des concerts à 23 heures dans les clubs.
Toute une partie du festival reste accessible à n’importe qui, c’est notre manière de dire « Le festival est là pour vous aussi ». C’est important, et je trouve ça normal…

Et la réaction à l’écoute des musiques ?

Soutien (© Hélène Collon)

JPL : Il y a de tout. Des villageois qui demandaient au départ ce que c’était que ce genre de musique, qui ne savaient pas d’où ça venait, et qui, à un moment donné, ont fait l’effort. Mais c’est une minorité, je l’avoue. Beaucoup de gens y sont réfractaires, en disant que c’est une musique de fous. A partir de là, nous les invitons à la découvri, cette musique ; le OFF sert justement d’intermédiaire.

Vous-même, comment êtes-vous venu au jazz, aux musiques improvisées ?

JP : Pas d’un coup ! Comme tout le monde je suis allé à pas mal de festivals, et c’est là que je prenais le plus de plaisir. J’ai écouté Gato Barbieri, Dave Liebman … Maintenant ce que l’on écoute dans certains festivals, je ne vais plus le voir en live. A part dans les clubs toulousains. Ou chez moi : j’ai toujours beaucoup de plaisir à écouter Monk, Coltrane…Mais après, on prend l’habitude d’aller voir sur scène des gens qui ont envie de vous surprendre.

Une chose est claire dans la programmation : le refus du parisianisme. Il y a beaucoup de musiciens que l’on ne connaît pas, ou mal. Comment les avez-vous découverts ?

Laurent Geniez (© H. Collon)

JPL : On fait un gros travail toute l’année avec Thierry Mathias, qui s’occupe d’un label, « La nuit transfigurée », et a plus de temps que moi. On essaye d’aller dans un maximum de salles, on reçoit beaucoup de disques. C’est difficile de trier et de savoir ce qu’on a envie de faire.
Cette année, on était parti sur les flûtes. On a un peu cherché quels flûtistes avaient des choses intéressantes à dire, et on se retrouve avec des gens comme Bechegas, Bourdellon. J’avoue par exemple que Bechegas est quelqu’un que je ne connaissais pas l’an dernier. Pourtant, il a joué avec Steve Lacy, Evan Parker
On doit certainement passer à côté de beaucoup de musiciens, on est bénévoles, mais on essaye d’être le plus honnêtes possible, d’aller chercher le plus de choses, d’écouter tout ce qu’on nous envoie, même si c’est vrai que parfois, on écoute rapidement.
Mais vous parliez de parisianisme, on a groupe typiquement parisien.

Ah bon ?

JPL : Oui, le Collectif Slang ! C’est un groupe qui sort des cavernes expérimentales parisiennes, ça !

Oui, mais ce n’est pas vraiment ce que j’appellerais faire du parisianisme !
Il y a beaucoup de musiques improvisées cette année ; si je vous dis, par provocation, que la musique improvisée, le free, ça a trente ans, et que c’est dépassé, vous me répondez quoi ?

Barry Guy (© H. Collon)

JPL : (rires) C’est ce que me disent les musiciens de jazz qui ont envie de me faire mal ! Beaucoup de gens nous disent : « Ça a déjà été ait ». A mon avis, quand on dit ça c’est qu’on est un peu amer.
Quand les musiciens proposent des musiques chez nous, je ne pense pas forcément que « ça a déjà été fait » ; il y a d’autres influences, maintenant. On ne peut pas dire que ce que fait Barry Guy existait il y a trente ans. On ne fait pas de free Jazz ici… mais je suis un peu coincé sur cette question. C’est une question piège…Hier, par exemple, a eu lieu le concert de Cappozzo et Tchamitchian ; eh bien je ne pense pas qu’on aurait fait ça il y a vingt ans.

Quand vous programmez Daunik Lazro, qui est controversé, vous essayez d’imaginer les réactions du public ? Vous craignez que les gens partent ?

JPL : Non, ça fait longtemps que Daunik Lazro vient chez nous. Un musicien a forcément plusieurs facettes ; quand il vient à Luz, il ne va peut-être pas jouer comme ailleurs. Là, il est dans une formation ; personnellement, c’est un musicien que je trouve magnifique. Il aime venir ici, il y a aussi une histoire qui se crée entre nous et les musiciens. C’est un peu prétentieux, mais il y a de l’amour entre eux et nous. Ailleurs les musiciens arrivent, on les met à l’hôtel et c’est tout. Ici ça ne se passe pas comme ça ; on vit et on partage autre chose.

Abordons un point plus noir. A propos des intermittents, quels sont les moyens de lutte ? Y aura t-il des tribunes durant le festival ?

Daunik Lazro (© H. Collon)

JP : On s’est posé cette question. Au départ, c’est clair, on est 100% avec eux, il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus.
Le festival se fait avec eux, les musiciens et les techniciens. Et les musiciens qui jouent chez nous sont encore plus en danger, car ils ne peuvent pas avoir des quantités de dates. Si on n’est pas solidaire avec eux, autant arrêter, ce serait n’importe quoi. Les musiciens ont décidé de ne pas bloquer ce festival parce qu’ils nous aiment. Pendant tout le festival il y aura des débats, chaque musicien exprimera son malaise comme il en a envie. On est à fond avec eux, si un musicien est en grève, on fait bloc avec lui, on n’a pas de procès à lui faire.