Chronique

Flat Earth Society

The Armstrong Mutations

Peter Vermeersch (leader)

Label / Distribution : Zonk Records/Lowlands Distribution

Flat Earth Society est un big band mené par le clarinettiste et compositeur Peter Vermeersch. Ce dernier, qui s’est fait connaître entre autres avec X-Legged Sally et FES, ne dément pas l’éclectisme attaché à sa signature. Après avoir fait de la musique d’opéra (pour Heliogabal, dont la musique a été louée par le New York Times, même si l’opéra proprement dit a été universellement décrié), il publie aujourd’hui sa vision de la musique de Louis Armstrong, un concept proposé lors du centenaire du trompettiste.

Ce qui ressort globalement de cet album, et ce qui en rend l’écoute particulièrement joyeuse, c’ est son énergie vitale - qui rappelle le retour sur la tradition du trio Air sur Air Lore. Sans cette énergie, une rétrospective ne devient qu’une pièce de musée inerte. Le titre, The Armstrong Mutations, promet une participation active des musiciens à la recréation de la musique des disparus. Cette énergie se retrouve le plus explicitement dans ces solos de saxophone de Bruno Vansina, tout droit sortis du r&b racoleur de la belle époque ou les élucubrations de Tom Wouters (encore plus impressionnants en concert), et, implicitement, dans la volonté de composer un tout cohérent à partir de cet étalage éclectique de dixieland, big band, free, rock, r&b et pop (finalement, Armstrong n’est-il pas toutes ces choses ?). Les photos de sa maison du Queens ne font que confirmer son exubérance). De la trompette de Bubber Miley au piano de Cecil Taylor, il n’y a qu’un pas !

Les medleys sont des points particulièrement forts. Le premier effectue un aller-retour St. Louis Blues-Summertime via deux solos percussifs. On a d’abord l’impression d’entendre quelqu’un se taper sur les cuisses, puis, en écho, une guitare qui rappelle des scratches de DJ. Hommage ingénieux, Intro’s enchaîne diverses intros élèbres du maître pour constituer un morceau joyeux.

L’humour n’est, de toute évidence, jamais bien loin, que ce soit avec le Spooks ! initial, plutôt pertinent en cette période de Halloween, les choeurs de (Little) King Ink, la mélodie façon science-fiction de Caravan qui remplace les sables du Sahara par le précieux mélange du Dune de Frank Herbert, ou encore un remix de What A Wonderful World en piste cachée, où des samples de voix extensivement retravaillées se chevauchent et s’entrechoquent par-dessus l’accompagnement d’une simple guitare et quelques ponctuations de cuivres.

Les seuls bémols proviennent de certaines paroles. Louis Armstrong était un artiste intelligent et politisé (la façade de clown-entertainer ne saurait le faire oublier) ; alors entendre Black and blue et I Got Plenty o’ Nuttin avec un accent flamand incite à une réflexion dont les implications déteignent sur les solos instrumentaux qui suivent. En revanche, la citation de l’hymne américain à la fin de la « vraie » version de What a Wonderful World a des connotations politiques plus positives.

Le track listing officiel se termine avec Funeral & Binche, un joli rapprochement entre la Nouvelle-Orléans et Binche, ville belge dont le carnaval a été déclaré patrimoine de l’humanité par l’UNESCO le 7 novembre 2003. Comme le veut la tradition, la musique est plaintive pendant le trajet vers cimetière et festive au retour.