Chronique

Gilad Atzmon & the Orient House Ensemble

Exile

Gilad Atzmon : saxophones soprano et alto, clarinette, flûte ; Franck Harrison : piano ; Yaron Stavi : contrebasse ; Asaf Sirkis : batterie, bendir, tray ; Romano Viazzani, Peter Watson, Koby Israelite : accordéon ; Marcel Mamaliga : violon ; Gabi Fortuna : flûte roumaine ; Dhafer Youssef : oud, voix ; Reem Kelani, Tali Atzmon : voix

Label / Distribution : Enja Records

Voici un disque engagé, explicitement dédié à la souffrance de la Palestine par Gilad Atzmon, saxophoniste ayant quitté Israël pour s’installer en Grande-Bretagne et y étudier la philosophie. Le message politique du disque est clair et volontaire, par l’orientation donnée à l’interprétation de certains morceaux. Al-Quds notamment, longue plage alternant free jazz et passage senza tempo pendant lequel Reem Kelani récite plus qu’elle ne chante, est à l’origine un morceau israélien, devenu l’hymne de la guerre de 1967, dont les paroles originales évoquent le retour des Juifs à Jérusalem. Mais ici le texte est repris d’un poème arabe, et universalise au-delà des frontières le désir de retour, allusion évidente au retour des Palestiniens. S’inspirer d’une ancienne chanson juive évoquant un pogrom, tout en intitulant cette adaptation Jenin, dont le camp de réfugiés a été détruit par l’armée israélienne en 2002, est également lourd de sens et témoigne de l’engagement de l’artiste.

Ainsi avec Atzmon il est impossible de dissocier la forme du fond : on ne peut écouter Jenin, douce ballade magnifiée par le son et le phrasé du saxophone d’Atzmon, sans faire abstraction du propos et de toute la tristesse qui s’en dégage. De même, le sourire à l’écoute de l’enthousiasme communicatif de Ouz se figera sur nos lèvres lorsque l’on apprendra que le morceau raconte l’histoire d’une colonisation joyeuse au mépris des populations indigènes.

La musique est donc fortement intellectualisée ; la thématique générale, clairement anti-sioniste, est consacrée à la souffrance des hommes indépendamment de leur appartenance et des frontières. Ainsi on retrouve cette vision humaniste dans la conception ou les arrangements des morceaux : l’alternance entre ballades et morceaux plus enlevés est équilibrée, et dans la plupart des pièces cohabitent des influences multiples et variées, tant dans le rythme et les mélodies - les sonorités celtes perdues dans les Balkans (Orient House) - que dans le choix des instruments tels que la flûte roumaine, le bendir, l’accordéon ou le violon. La coexistence des atmosphères traditionnelles d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient et de la modernité du jazz est parfaitement maîtrisée, comme un mariage réussi au sein duquel la personnalité et le vécu de chacun n’ont pas été abandonnés au profit de l’unique entité qu’est le couple. Les morceaux brillent également par les parties vocales qui les composent : l’ouverture de l’album est de ce point de vue magnifique, grâce au chant puissant et soutenu de Reem Kelani dans l’introduction de Dal’Ouna on the Return, sans oublier la prestation, dans La côte méditerranée, de Dhafer Youssef, dont la voix est très impressionnante de tenue et de maîtrise du vibrato.

A l’heure où s’érigent les murs et s’allongent les clôtures… on ne peut qu’être admiratif devant la lucidité de Gilad Atzmon, qui nous offre une humble réflexion sur la souffrance, parvient à s’extraire de toute considération partisane pour observer l’humain, et construit un propos musical riche et personnel en transcendant ses interrogations sur le sens et les conséquences de l’exil et de la volonté de retour.