Tribune

Disparition de Frank Ténot

Du haut de Frank Ténot, un siècle de jazz vous contemple


Salutations distinguées, sous forme d’un « Je me souviens », à Frank Ténot.

La nouvelle est tombée, mais sous forme de brève, fort mal ficelée :

PARIS (AFP) - 09/01/2004 11h39 - Le journaliste et critique de jazz Frank Ténot, animateur de radio et directeur des publications spécialisées « Jazz Magazine » et « Jazzman », est décédé à Paris le 8 janvier à l’âge de 78 ans. Secrétaire de rédaction de « Jazz Hot » de 1946 et 1948, Frank Ténot a fait très rapidement autorité dans le monde du jazz. Son nom a débordé le cercle fermé des initiés lors de son association avec Daniel Filipacchi. Sur Europe 1, le tandem Frank Ténot-Daniel Filipacchi créa et anima de 1955 à 1968 une populaire émission, « Pour ceux qui aiment le jazz », et Frank Ténot continua ensuite à être associé aux activités éditoriales de Daniel Filipacchi. Il a été également l’initiateur de la radio jazz à Paris-Ile de France TSF 89.9, et il était PDG depuis 1997 de la société Nemm gestion et fondateur des éditions du Layeur.

Photo : Anne Legrand (1998)
Frank Ténot n’est pas très connu, mais tout le monde sait ce qu’il a fait.

Frank Ténot nous ramène obligatoirement à une époque où l’on croisait Boris Vian, Charles Delaunay dans les couloirs de la rédaction.
Il nous ramène aussi à la guerre, comme il ne manqua pas de l’évoquer dans chacun de ses « frankly speaking » dans Jazz Magazine.
Il nous ramène aux fantastiques années que nous n’avons pas connues, nous autres trentenaires désabusés, celles où en vendant un œuf le matin, on finissait patron de l’industrie agro-alimentaire le soir. Ténot et Filipacchi font partie de cette époque. Ensemble, on le sait, ils ont animé « Pour ceux qui aiment le jazz ». Mais ils sont à l’origine de « Salut les copains », des éditions Hachette-Filipacchi et de beaucoup d’autres choses encore.

Frank Ténot a toujours été l’animateur de radio, le journaliste, le passionné de jazz. Mais Monsieur Ténot à la tête de son empire a traversé le siècle en Citizen T. Et pourtant.
A-t-il un jour pensé, en jetant un regard circulaire sur la France depuis son bureau aérien des Champs-Elysées, « Le jazz, c’est moi » ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’il a successivement racheté et/ou financé Jazz Magazine, Jazzman, Radio TSF, JazzValley, La Maison du Jazz (via la Fondation Ténot)…
Monsieur Ténot connaissait tout le monde mais restait un homme discret. Petit, maigre, sec, vêtu simplement, il paraissait flotter. Pourtant, il avait les pieds bien sur terre. Il rêvait sûrement d’une île pour millionnaires amateurs de jazz où il aurait pu écouter sans trêve cette musique qu’il aimait tant, en sirotant une savante bibine et en mâchouillant un havane. Peut-être y est-il maintenant d’ailleurs.

Je garde le souvenir d’un homme me recevant, à ma demande (je cherchais un financement pour un projet) et m’écoutant parler silencieusement. Puis, il me regarde dans les yeux et me demande si So What « ça fonctionne ? » (à l’époque, en 1999, ça marchait très fort). Je lui réponds que tout va bien de ce côté-là et lui, l’homme de presse, le patron de Jazz Mag, le futur patron de Jazzman, l’ancien chef de Jazz Hot, avec un large geste du bras, me montrant les piles de Jazz Magazine, de Jazzman, de Jazz Hot et de So What (car il le lisait) me lance : « Il y a trop de journaux de jazz en France » !

Auquel pensait-il ?


Matthieu Jouan


A propos de l’interview en deux parties :
« La guerre du jazz a bien eu lieu » et « Les années Jazz Magazine »

En 1998, nous proposions à l’équipe de So What de publier une interview de Frank Ténot, directeur depuis 1957 de Jazz Magazine. Véronique venait d’y faire un stage. Rendez-vous avait été pris pour le mois de février. On voulait absolument réussir cette interview, pour l’impressionner et pour qu’il se souvienne de notre passage. La préparation avait été jusqu’à retracer l’histoire du Hot Club de Bordeaux dont Ténot avait été le président en 1944.
Le jour dit, on se retrouve devant le 63, avenue des Champs-Elysées, où se situe la rédaction de Jazz Magazine. Tout se passe à merveille. Pour fêter l’événement, on va prendre un verre au Fouquet’s. On écoute le résultat. Surprise : le micro n’a pas fonctionné pendant une bonne partie de l’interview ! Que faire ? Comment va réagir ce magnat de la presse ? On lui a téléphoné pour expliquer le problème. Le mois suivant, il nous a gentiment reçues, a recommencé l’entretien pendant plus de deux heures et a salué notre passage dans sa chronique, « Frankly speaking » du Jazz Magazine de juin.
À notre tour on voulait saluer la mémoire de ce gentleman jazzy et le remercier. Merci, Frank, d’avoir toujours été attentif à nos projets, de nous avoir soutenus dans l’aventure de La Maison du Jazz.
Nul doute, l’ami Ténot va nous manquer.

Véronique Pernin et Anne Legrand