Chronique

Jazzisfaction

Issues

Peer Baierlein (tp), Ewout Pierreux (p, kb), Martijn Vanbuel (b), Yves Peeters (d)

Label / Distribution : Phlavour

Jazzisfaction n’en est qu’à son premier album, mais a déjà sept ans d’existence au compteur. Les quatre jeunes musiciens se sont rencontrés au conservatoire de Lemmens en Belgique et commencent à faire parler d’eux, ensemble ou séparément. Le leader du groupe est le trompettiste allemand Peer Baierlein, qui a choisi de vivre en Belgique afin d’étudier avec Bert Joris. D’ailleurs, il raconte qu’après cinq ans d’études avec ce dernier, il lui a fallu passer du temps à New York et voir trompettiste après trompettiste imiter Freddie Hubbard en jouant plus vite, plus fort et plus haut, pour comprendre vraiment la valeur de l’enseignement de Joris.

Issues est l’album d’un collectif soudé, où les personnalités sont plus discrètes que la musique. Les solistes principaux, Baierlein et Ewout Pierreux, sont relativement peu prolixes : le trompettiste vise la mélodie et l’émotion justes, tandis que le pianiste préfère en esquisser les contours. Le premier, avec sa sonorité douce et son approche lyrique, rappelle son maître, autant qu’un Kenny Dorham ou Nils Petter Molvaer, tandis que le pianiste passe de l’acoustique à l’électrique pour varier les climats (d’ailleurs, son attaque au piano ressemble étrangement à celle d’un clavier vintage), entre Bill Evans et Herbie Hancock. Rythmes légers swing ou free se dissolvent aussi facilement qu’ils se consolident, mélodies accrocheuses mais souvent diffuses : cet album calme et contemplatif est comparable aux publications récentes de Tomasz Stanko.

Si l’impression générale est celle d’une mélancolie brumeuse et flottante, le premier morceau, avec le jeu de paumes d’Yves Peeters et un motif rythmique sautillant en guise de thème, rappelle que même sous la pluie belge, il n’y a pas que des canards qui se pendent. D’ailleurs, sur « Sunwalk », Jazzisfaction va chercher un peu de soleil et des rythmes syncopés brésiliens, puis se balade dans une arène de corrida pour « Yin and/or Yang », un paso doble au rythme militaire et trompette transformée en clairon.

Les biens tristes « Alone » et « Wehmut » rappellent ces chansons que Molvaer avait nichées au fond de Solid Ether : déclamations au lyrisme chargé en émotion, bande-son d’un paysage désolé. Parfois, le groupe décide de combiner joie et tristesse, comme dans la composition en deux parties de Pierreux : « Voices » expose et répète un thème sombre, « Of Dune » emporte ce même thème vers une danse endiablée qui se dissipe en un rubato méditatif au fur et à mesure des solos.

Le tout dernier morceau est dédoublé. Le « Song for A Lovely Killer » de Martijn Vanbuel, où l’harmonie et le jeu de Pierreux rappellent E.S.T., est remixé/dynamité par le batteur et accessoirement producteur/ingénieur du son/patron de label Dre Pallemaerts. Les accords de piano mis en boucle se font fantomatiques, la contrebasse prend un son de synthé basse et la rythmique devient un tonitruant amalgame homme-machine. Paradoxalement, les parties de trompette sont les seules à ne pas subir de traitement électronique - pied-de-nez aux procédures habituelles.