Entretien

Nils Petter Molvaer

Rencontre avec le trompettiste norvégien pour la sortie de son nouveau disque.

Pour la sortie de son nouveau disque « live » Steamer, Nils Petter Molvaer est venu à Paris faire un unique concert le 29 octobre 2004 au New Morning. Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui sa musique a ouvert de nouvelles portes dans le jazz et la musique électronique. Il est le chef de file d’une école scandinave très créative. Lors de cette interview, il nous raconte son parcours musical et la manière dont il perçoit la musique.

© P. Audoux - Ap’scène

-Comment avez-vous découvert la trompette ?

Quand j’étais très jeune. Je ne sais plus exactement. Mais mon père m’avait offert un phonographe avec trois disques : un de Louis Armstrong, un de Billie Holliday et un autre dont je me rapelle pas. Je les écoutais tout le temps. J’avais peut-être deux ou trois ans et je chantais sur le disque. A la manière d’un petit enfant. Du coup j’ai su chanter « Summertime » avant d’aller au jardin d’enfant (rires). Mon père était musicien, il jouait de la clarinette et du saxophone. Un jour il m’a demandé de quel instrument je voulais jouer. Je lui ai dis que je voulais jouer de la trompette. C’est comme ça que c’est arrivé…

  • Êtes-vous autodidacte ou avez-vous fréquenté des écoles de musique ?

Je travaillais tout seul la trompette. Dans les îles d’où je viens, il y a de la très bonne musique traditionnelle. J’ai donc joué dans des fanfares, ce genre de chose. Mais après cette période, j’étais plus attiré par le sport, la course, le saut à ski mais aussi la musique plus rock, punk, heavy metal… J’ai aimé pas mal de styles de musiques différentes. Puis je suis allé dans une école de musique accessible sans diplôme. Là, j’ai eu un très bon professeur qui m’a redonné l’envie de jouer de la trompette. Pendant deux ans j’ai énormément travaillé mon instrument. Je suis ensuite rentré dans un conservatoire de musique où j’ai étudié la musique classique. Je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi alors j’ai arrêté. En 1982, je suis parti pour Oslo où j’ai entamé ma carrière professionnelle pour de bon. Je jouais avec le groupe Masqualero (Arild Andersen, Jon Christensen, Tore Brumborg, nldr) mais en même temps avec des groupes de tous styles musicaux : jazz, rock, un groupe de quatre chanteurs… Ensuite j’ai joué avec Sidsel Endresen. Une chanteuse fantastique. J’ai collaboré à ses deux premiers disques sur ECM, So I Write et Exile. Puis Khmer est arrivé.

  • Quels sont les musiciens qui ont le plus influencé votre vision de la musique et votre jeu à la trompette ?

Jon Hassell, bien sûr. Mais en fait, par tous les genres de musique et de musiciens, de Neil Young à Monolake, Carl Craig et la scène de Detroit, Bill Evans, Miles Davis, John Coltrane, Archie Shepp et même Barbara Streisand (rires).

  • Comment avez-vous petit à petit évolué vers la musique électronique ?

Tout simplement en ayant l’esprit ouvert et en écoutant tous les styles de musique. Quand j’avais treize ans, j’ai entendu le disque de Billy Cobham Spectrum mais aussi la période électrique de Miles Davis, Return To Forever, ce genre de chose. Ce qui m’attirait ce n’était pas le côté « électrique » mais plutôt la combinaison des éléments acoustiques et électroniques. J’ai écouté ensuite le disque My Life in the Bush of Ghosts de Brian Eno, tiré d’un livre magnifique d’un auteur africain, dont je ne me rappelle pas le nom [Amos Tutuola - NDR]. En fait, beaucoup de gens m’ont amené peu à peu vers la musique électronique. Bien sûr, celui qui m’a la plus influencé a été Jon Hassell et son Fouth World Volume One : Possible Musics (EEG, 1980, nldr). A la fin des années 80 et au début des années 90, j’ai évolué doucement vers la scène électronique en faisant des jam-sessions avec des DJ. A cette époque j’écoutais aussi Björk, Roni Size… Je voulais avoir l’esprit ouvert au maximum.

© P. Audoux - Ap’scène
  • Que pensez-vous de la scène électro-jazz en Europe ?

C’est comme tout, il y a de bonnes et de mauvaises choses. Mon groupe préféré en ce moment est le groupe norvégien Supersilent avec le trompettiste Arve Henriksen. La musique du trompettiste Erik Truffaz est pas mal non plus. Mais en réalité, je n’ai pas trop le temps d’écouter. Je joue ma musique et je m’occupe de mes enfants.

  • Pensez-vous que votre musique soit plus proche du jazz ou de la musique électronique ?

Un peu des deux en fait. Ma musique est composée de plusieurs couches. La structure rythmique et la couleur des sons viennent de la musique électronique ; tout le côté improvisation vient par-dessus. Mais ce travail d’improvisation est plus proche de la musique traditionnelle de mon pays que du jazz en réalité. Je ne pense pas ma musique comme une structure jazz du genre thème-impro-thème mais plutôt comme des fragments, de l’interaction. De la musique interactive. La musique c’est comme un bébé. Il y a toutes sortes d’ADN différents. On ne peut pas vraiment savoir quelles sont toutes ses origines. C’est un grand mélange de genres.

  • Les performances « live » sont très importantes pour vous…

J’aime par-dessus tout jouer en « live ». C’est comme de la méditation.

© P. Audoux - Ap’scène
  • Pourquoi n’aviez-vous pas encore sorti de disque live ?

Bonne question. En réalité, c’est une question d’argent. Je voulais investir dans un 24 pistes, mais cela coûte beaucoup d’argent et c’est assez difficile à emmener en tournée. Tous mes concerts sont enregistrés, mais il faut organiser tout ça et c’est beaucoup de travail.

  • Comment se passe, chez vous, le processus créatif ?

Je n’ai pas de manière spécifique de composer. En ce moment je cherche d’abord un tempo où on se sente bien, à l’aise. Ensuite je travaille sur les harmonies ; pour finir, je joue par dessus. Mais il peut m’arriver aussi d’improviser, puis de trouver la structure du morceau. Je peux aussi avoir la mélodie dans la tête. Je l’écris et je la joue au piano pour ensuite trouver tous les éléments rythmiques qui vont avec.

  • Le guitariste Eivind Aarset prend une part importante dans votre œuvre depuis vos débuts en tant que leader. Qu’apporte-t-il à votre musique ?

C’est quelqu’un qui fait parfois les choses instinctivement, sans réfléchir. Quand il est là, il donne beaucoup d’espace au groupe et à la musique.

© P. Audoux - Ap’scène
  • « Khmer », « Solid Ether » et « NP3 », sont trois albums sortis chez des majors. Aujourd’hui vous sortez un album live « Steamer », chez Sula Records, votre maison de disques. Ressentez-vous aujourd’hui le besoin d’avoir plus de liberté, d’espace dans votre musique ?

J’ai toujours eu beaucoup de liberté pour faire la musique que je voulais. En fait, il y a plusieurs facteurs. Je suis parti de chez ECM parce que je voulais être propriétaire de ma musique. Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre ait les pleins pouvoirs dessus. Ensuite chez Universal c’était différent. S’ils n’aiment pas vraiment ce que tu fais alors ils n’y prêtent par attention. Donc je suis parti et j’ai créé Sula Records. Il y a plein de gens qui travaillent pour le label en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Angleterre… C’est agréable pour moi car en un sens, j’ai plus de contrôle sur tout ce qui se passe autour de la sortie d’un disque. Dans une major, on n’a pas ce genre de retour sur la musique que l’on fait.

  • Vos deux premiers disques chez ECM ont une sonorité plus acoustique que NP3 sorti chez Universal…

Je n’ai jamais vraiment pensé à ça mais beaucoup de gens me le disent. En fait, ce sont les musiciens avec qui je collabore qui m’apportent cette sonorité plus électronique. Aujourd’hui je pense que je fais plutôt de la musique acoustique avec un traitement électronique. Pendant quatre ans Raymond Pellicer a apporté une certaine couleur. Aujourd’hui, Jang Bang qui fait le travail de sampling et de re-sampling en live, est pour beaucoup dans cette sonorité électronique.

  • Quel sera le thème de votre prochain disque en studio ?

Je travaille en ce moment avec des voix, des chanteurs. Mais aussi Tali, un DJ anglais qui fait du Drum’n’Bass. Je vais travailler avec des rappeuses notament. Faire des jolies chansons (rires). Je pense écrire quatre ou cinq morceaux et ensuite faire des connections entre ces morceaux. Un genre de vortex.

© P. Audoux - Ap’scène
  • Merci beaucoup Nils.

Merci à toi. C’était un plaisir.

par Xavier Encinas // Publié le 29 novembre 1996
P.-S. :

Propos recueillis au bar « Le Dixième » le 28 octobre 2004.

Beaucoup de vidéos, interviews, photos sur le site officiel du trompettiste : www.nilspettermolvaer.com