Portrait

Étienne Brunet dans le boudoir de Proust

Un jusqu’au-boutiste de l’émotion.


Voilà un soufflant original ! De la cornemuse à l’alto en passant par le soprano et la clarinette basse, Étienne Brunet est avant tout un artiste avant-gardiste qui multiplie les mélanges aussi détonants qu’étonnants, où la musique flirte avec la poésie, la danse, le cinéma, la vidéo… et bien d’autres amants ! A lire également, la « Petite fleur électronique » qu’Étienne envoie tous les mois à Jazz Magazine, et dont le parfum et les couleurs changent au gré des saisons, mais gardent toujours une touche de fraîcheur que Marcel est allé cueillir…

  • Ma madeleine…

Mon label c’est Madeleine Compact : un seul disque est sorti, enregistré live au Batofar avec mon groupe 3D-Jazz et Wayne Dockery. Le titre du disque c’est Les épîtres selon synthétique. J’imagine que c’est ma Madeleine. Le disque avait été distribué gratuitement par le magazine Octopus avec une sérigraphie : interdit à la vente, valeur d’usage : 100%, valeur d’échange : 0%.

  • Le bonheur musical parfait…

Question difficile. Les grands musiciens que j’ai eu la chance d’écouter m’ont donné envie d’aller aussi loin qu’eux dans l’absolue perfection de l’émotion. Par ailleurs, le bonheur c’est de faire des concerts tout le temps.

  • En tant que musicien, j’ai été le plus heureux…

Chaque fois que j’ai vraiment bien joué.

  • Le trait principal de ma musique…

C’est de toujours chercher un truc émotionnel complètement exalté tout en conceptualisant la chose.

  • Si je devais changer une chose dans ma musique…

Je ferais plus simple et encore plus émotif.

  • Ma plus grande peur quand je joue

Avant, c’était juste avant de jouer : j’avais souvent un trac pas possible. Maintenant, c’est après : je me demande si c’était vraiment bon ou si c’était pénible à écouter.

  • Ce que j’ai réussi le mieux dans ma vie musicale…

Je continue à étudier sans me lasser d’apprendre.

  • Mon plus grand regret musical…

Ne pas avoir joué dans les grands orchestres américains des années 30 - Ellington, Basie, etc. Autant dire que j’étais pas né. Je regrette aussi de ne pas avoir joué dans la section de cuivres d’un groupe de funk ou de rythm & blues. Retenir au vol BB King quand il feignait la syncope et qu’il se laissait tomber en arrière de la scène en pleurant presque.

  • Je rêve de jouer…

Tout le temps ; et surtout d’avoir des concerts tout le temps.

  • La qualité que je préfère chez un musicien…

La modestie et la générosité. L’envie d’aller à fond jusqu’aux toutes dernières limites de ses possibilités personnelles.

  • Les fautes musicales qui m’inspirent le plus d’indulgence…

La maladresse involontaire dans le feu de l’action, les couacs, les plantes et pannes diverses.

  • Mon instrument préféré…

Je me fâche avec le saxo soprano et je joue de l’alto pendant des années, et puis quand ça ne va pas je prends ma clarinette basse ou très rarement ma cornemuse.

  • Les musiques que j’aime par-dessus tout…

Celles qui me font oublier mes amours perdues.

  • Mes héros musiciens…

Steve Lacy en tête mais la liste est longue : Charlie, William et Evan Parker, Ornette Coleman, Miles Davis, Eric Dolphy, Marvin Gaye, Billie Holiday, Sarah Vaughan, Derek Bailey, Fred Van Hove, Jimmy Hendrix, Captain Beefheart, Louis Jordan, John Coltrane, James Brown, Arnold Schoenberg, Mauricio Kagel, Maria Tanase, Romica Puceanu, Thelonious Monk, Terry Riley, Prince, Sun Ra, Léo Ferré, Nam June Paik, John Cage, Ravi Shankar, Muddy Waters, Elvin Jones, Kenny Clarke, BB King, Duke Ellington, Dimitri Chostakovitch, Curtis Mayfield, Georges Clinton, Iggy Pop, Charles Mingus… bon j’arrête là : il y a eu tellement de musiciens géniaux au XXè siècle !

Étienne Brunet © Marie-José Pillet
  • Mes disques de chevet…

Ça change souvent. En ce moment c’est I Want You de Marvin Gaye, Monk solo, Paul Desmond with String, James Brown avec l’orchestre de Louie Bellson dirigé par Oliver Nelson, les Valses de Chopin par Dinu Lipatti, Avenue B d’Iggy Pop

  • La chanson que je siffle sous ma douche…

Aucune, j’suis le genre à écouter le bruit des tuyaux.

  • Ma note favorite…

La prochaine que je vais jouer, celle-là, celle de tout de suite et de maintenant.

  • En musique, je déteste par-dessus tout…

Les blaireaux et faux-culs, mais en fait, dès que l’activité est digne du mot « musique », je suis très tolérant. Mes agacements changent avec les jours de la semaine.

  • Mes peintres favoris…

George Grosz en dessin, Picasso et Pollock, en dehors des artistes conceptuels et sans parler des siècles lointains.

  • Mes films cultes…

Je croyais que c’étaient les Marx Brothers mais ça me fait moins rire, je croyais que c’était les films de Guy Debord mais je les trouve trop prétentieux, j’aime bien le ciné mais je n’ai pas de films culte. D’ailleurs je n’ai pas de culte.

  • Mes auteurs favoris…

Raymond Queneau, Thomas Pynchon, Alexandre Zinoviev, William Burroughs, Philip K. Dick.

  • Ma boisson préférée…

Le vin.

  • Mon plat préféré…

Du poisson pendant la semaine et du gras le vendredi. C’est pas la pénitence : avec les années je préfère une cuisine légère. C’est comme en musique : le goût change avec le temps. J’adore la cuisine bien faite, soignée et pas bâclée.

  • Mon occupation favorite…

La lecture, la branlette, la paranoïa, le désespoir et le découragement.

  • Le don de la nature que je voudrais avoir…

La mémoire.

  • Le morceau que je veux pour mon enterrement…

« Lume Lume » de Maria Tanase.

  • L’état présent de ma démarche musicale…

J’ai l’impression de maîtriser un peu mieux les contradictions de mes choix musicaux. Compositions et improvisations moins embrouillées. J’ai l’impression de jouer mieux du saxophone et de la clarinette, d’être plus en place et plus décontracté.

  • Ma devise…

En musique, il faut se méfier autant de l’ordre que du désordre.