[LIVRE] Colas Duflo & Pierre Sauvanet

Jazzs est un jeu qui se joue à deux, dont la règle est d’une simplicité séduisante : deux joueurs développent une idée qui débouche sur une question. Chaque joueur répond à la question posée par l’autre joueur, et termine sa réponse par une nouvelle question. Et ainsi de suite. Le jeu s’arrête après dix questions et on se retrouve avec deux séries de dix textes. Évidemment, les questions et réponses ont de préférence trait au jazz !

Colas Duflo et Pierre Sauvanet forment un duo dynamique, au discours parfois un peu tiré par les cheveux, mais toujours intelligent et jamais abscons (travers pourtant fréquent chez les philosophes…).

Les deux compères échangent leurs vues sur des sujets variés : des rapports du jazz, cet « art du temps vivant » (Colas Duflo), avec les autres arts, à la géographie du jazz (avec un distinguo intéressant de Sauvanet entre « musique du monde », « musique mondiale » et « monde musical » ), en passant par le sens de l’histoire du jazz, le génie, les plaisirs de l’écoute et du jeu, le langage, les styles, l’avenir, l’oralité, les disques…

Hegel, Heidegger, Kant, Bergson, Genette, Nietzsche… les références sont nombreuses, mais ne se limitent pas aux philosophes ; le lecteur croisera également Cortazár, Pérec, Gerber, Réda et j’en passe. Nos deux philosophes sont également des fins connaisseurs de la musique afro-américaine comme en témoignent, par exemple, la chronique que fait Sauvanet de Chine (Louis Sclavis) qui donne envie de le ré-écouter (c’est donc un « bon disque », dirait Colas Duflo), le chapitre consacré à In A Silent Way ou encore l’analyse formelle magistrale de « Bird of Paradise » par Colas Duflo.

Les textes ont été écrits rapidement, nous disent les auteurs. Cependant ils restent quand même très réfléchis et construits, et tendent davantage vers la partition que l’improvisation. Ce qui, au passage, n’est pas une critique, mais une constatation. Par ailleurs, les deux philosophes, sans doute marqués par leur métier, n’ont pas précisément un style qui swingue, mais leur sens du jeu et leur humour rend la lecture de l’ouvrage agréable.

En fin de compte, Jazzs remplit exactement sa mission et colle parfaitement avec la jolie définition du jazz de Michel Leiris, citée par Colas Duflo : il « jase en zigzags »…