Chronique

Sophia Domancich

Funerals

Sophia Domancich (p), Paul Rogers (b), Bruno Tocanne (dm), John Greaves (voc), Alain Guillard (saxes), Yvon Guillard (tp), Jérôme Naulais (tb)

Label / Distribution : Gimini Records

Ouverture de notes cuivrées sur le morceau éponyme : pendant une fraction de conscience, on se croirait chez Messiaen. Mais la dynamique céleste de « l’Ascension » est ici tellurique, funéraire. La désespérance des premiers arrangements, somptueux et parfois sarcastiques, laisse place à un climat plus intimiste à défaut d’être appaisé, Rogers puis Domancich tournent autour du thème initial, retardent l’échéance… jusqu’au dernier morceau et une reprise musclée de « Funerals » en marche funèbre cahotante.

« Funerals » n’est pas le disque morbide ou pesant que son titre pourrait annoncer. Il suscite d’autres tonalités que l’âme humaine rencontre au cours de sa vie, tendresse fraternelle (« Lydia »), légèreté gourmande (« Mardi Gras » et sa contrebasse moelleuse), expectative (« Subtil »), mélancolie élégiaque (« Back Where We Began »). La construction est admirable, d’un morceau à l’autre, et au sein de chaque morceau ; la musique respire, se livre harmonieusement et ce malgré les dissonances.

Le jeu de Sophia Domancich se révèle extraordinaire, mélange de la rigueur classique issue de brillantes années au Conservatoire, du goût de la couleur harmonique, d’un swing diabolique. « B. Rubatto » est la pièce qui révèle au mieux ce style flamboyant ; comme dans un concerto, piano solo après introduction orchestrale pour un thème affectueux. La longue improvisation collective qui suit est une véritable cathédrale sonore, Bruno Tocanne en finesse et énergie combinées, Sophia triturant les notes jusqu’à une abstraction que l’on dirait dodécaphonique.

Enfin, au milieu de ce tout cohérent, « Back Where We Began » ne dépareille pas. Les mots et la voix chaude de John Greaves, portés par une merveille de motif pianistique et un thème non moins émouvant, donnent à l’histoire de la chanson - pop, jazz confondus- un de ses chefs d’oeuvre absolus [1].

Et sur le leitmotiv final de « Dérision », l’âme quitte le corps, apaisée et sereine…

Pour commander le CD Funerals : Gimini

par Julien Lefèvre // Publié le 5 septembre 2005

[1morceau repris dans « Songs » et « The Trouble with Happiness » de John Greaves