Chronique

ONJ Franck Tortiller

Tribute to Led Zeppelin

Led Zeppelin, ce fut l’apocalypse en neuf disques, un des plus grands groupes de hard rock mais pas seulement(avant et après Led Zep, le hard rock n’était et n’est toujours pas grand chose). De rock. Absolutely.

Et les adorateurs du culte verront d’un œil noir des jazzeux venir troubler leur grand-messe. Mais après tout, cette musique est « empruntée » aussi : c’est du blues irrigué de violence pure, de sauvages envolées et de mystiques dérives. On rappellera enfin que le jazz n’est pas lié à un matériau spécifique, et qu’il consiste surtout dans la manière de le jouer.

Le vibraphoniste Frank Tortiller, nommé en septembre 2005 à la tête du nouvel ONJ, a fait un travail remarquablement futé sur les arrangements, privilégiant une recherche constante de dynamiques, adaptant couleurs et timbres, utilisant l’électronique avec le meilleur effet.

On avouera que l’on était bien un peu inquiet au départ ; on attendait cette « relecture » en se demandant comment des mélodies intemporelles comme « Stairway to Heaven » (repris d’ailleurs avec talent par le groupe Spicebones il y a cinq ans) ou « Close to Heaven » pouvaient être transformées sans perdre leur éclat originel. Le jeu de Jimmy Page évoquait l’arc-en ciel et la foudre, et l’électricité était injectée dans chaque note par des musiciens complètement instrumentalisés et terriblement fusionnels.

Pas de surenchère ici : si les musiciens de l’ONJ osent, c’est dans un registre plus exposé finalement, que celui du bruit dans un monde en furie. Ils donnent des versions tout à fait inattendues, passant de la virtuosité rageuse des modèles à un lyrisme plus apaisé. La simple mélodie côtoie l’abstraction, la limpidité des cuivres rejoint parfois une raucité violente, la douceur des unissons n’exclut pas la puissance de la section rythmique, le phrasé fluide peut aussi devenir saccadé lors du morceau suivant.

Réinvestissant ces « classiques » à la manière des jazzmen avec leurs standards, l’orchestre réussit le tour de force de rendre hommage aux quatre rockeurs sans les copier servilement, en s’affranchissant alors que l’esprit du dirigeable est conservé, transposé. Comment pourrait-il en être autrement avec une instrumentation aussi insolite et éloignée des originaux ? Faire du Led Zep sans guitares ni chanteur (si on excepte les élucubrations, très réussies au demeurant, de Patrice Héral), est un pari insensé, impossible. Pourtant, le projet s‘avère très réussi pour cette raison même : avec deux splendides vibraphonistes Franck Tortiller/Vincent Limouzin, deux batteurs quasi-nucléaires (Patrice Héral/David Pouradier Duteil, une contrebasse chaleureuse (Yves Torchinsky) et quatre soufflants émouvants (Jean Gobinet, trompette, Eric Séva, saxophones, Jean-Louis Pommier, trombone, Michel Marre, tuba). Soit dix personnes en comptant Xavier Garcia, invité aux claviers et samples.

Le tout ne fait pas plus de ramdam que les quatre de Led Zep - mais c’est autre chose : les musiciens apportent une polychromie et une dimension musicale capables de générer à leur tour du volume avec un groove permanent. La fusion de tant de cuivres et de métal teintés d’un éclat si particulier, sans prétendre rivaliser avec l’interprétation originale, donne sa couleur propre à l’ensemble. La re-création est plus largement distanciée ; chevaux de bataille et morceaux recréés d’après les versions incunables alternent à part égale, plaçant ainsi en perspective ce travail de réécriture face au modèle déjà revisité, d’où un troublant effet de miroir.

Davantage composé de citations que de répétitions, l’hommage dépouille pour ne laisser que l’épure, sur l’autel de la nostalgie et du chant. Un sens aigu du montage préside aux enchaînements parfaitement huilés, réglant les contrastes, semant la surprise avec maestria. La virtuosité est partout, transparente dans l’effet poduit. Elle sous-tend la quasi-totalité d’un répertoire rendu parfaitement original : un équivalent des concept-albums de la grande époque ! Une réussite captivante.

ONJ Franck Tortiller
Tribute to Led Zep Close to Heaven
Le Chant du monde/Harmonia Mundi (2006)

Une production :
Association pour le Jazz en Orchestre National/Orchestre National de Jazz

par Sophie Chambon // Publié le 16 janvier 2006
P.-S. :

Le site de l’ONJ
Sortie de l’album le 27 janvier 2006
Concerts :

  • 10 janvier, « Théâtre de Cornouaille », Quimper (29)
  • 11 janvier 2006, « New Morning » (Paris)
  • 14 janvier 2006, CNSM (Lyon (69)
  • 16 février 2006, « La Renaissance », Mondeveille (14)