Chronique

Andy Emler MegaOctet

Dreams In Tune

Médéric Collignon (bugle, cnt, voc), Thomas de Pourquery (as, ss), Laurent Dehors (ts), Marc Ducret (g), Eric Echampard (dm), Andy Emler (p), Philippe Sellam (as), Claude Tchamitchian (b), François Thuillier (tu), François Verly (perc)

Label / Distribution : Nocturne

Un casting de rêve pour ce « Dreams in Tune », troisième enregistrement du Megaoctet d’Andy Emler. On parlerait presque de superproduction si le jazz était un peu plus populaire en France, et surtout s’il y avait une démarche commerciale derrière.

Car, nonobstant une nomination aux Victoires du Jazz 2005, la musique d’Emler et de ses trublions relève d’une exigence qu’il paraît actuellement difficile de concilier avec la culture de masse. Pour en revenir aux « acteurs » on a l’impression que les individualités, parfois très remuantes en d’autres circonstances (Collignon, de Pourquery…), s’expriment ici au service du projet collectif, sans trop en faire, mais sans tomber dans l’apathie (vocale ou saxuelle).

Le disque s’organise en quatre longues suites de plus de dix minutes et trois pièces beaucoup plus courtes : « Stone Tuba 1 » pour un monologue captivant de François Thuillier (qui sera donné au festival Jazz sous les Pommiers cette année), « Minicrobe » et son thème biscornu, archétypal, joué à l’unisson, et « Boulevard d’Anfa total », un duo Emler/Ducret auquels se rajoutent les virtuosités vocales de Collignon.

On ne tarit pas de qualificatifs élogieux devant l’ampleur des quatre autres morceaux. Il est rare qu’une telle alchimie se réalise entre originalité et diversité des compositions, justesse des arrangements, brillance des improvisations, le tout selon une certaine idée de la musique. Le résultat est une somptueuse sculpture sonore au caractère bien trempé, en perpétuel changement.

Très pressée sur « Urbanhof », emportée par un thème cahotant et des cuivres brillants, cette sculpture se calme par intermittence devant les arabesques accoustiques de Marc Ducret. Par endroit, on devine (ou imagine) l’influence d’un Stravinsky sur l’impulsion rythmique voulue par Emler. Même sauvagerie, mêmes martèlements décalés ici ou sur « 4/4 cm3/horizons » que sur Le Sacre du printemps ou l’« Ouverture » de la Symphonie en trois Mouvements.

Puis vient « Julie s’est noyée ». Le thème et l’harmonie originels - signés Ducret, sur le déjà ancien Gris - deviennent enluminures auditives où piano et nappes de cuivres s’entremêlent, se couvrent, se recouvrent comme la vague ramenant un corps sur le sable. Suit la lente marche des improvisateurs, un par un ou tous ensemble, émouvant salut à la noyée.

Dernier sommet à évoquer, le long chorus de Philippe Sellam sur « Last Call for Alcohol », qui sonne comme un appel aux montagnes russes perpétuelles sur toute l’étendue d’une gamme. Une tension rare se crée progressivement entre le soliste et l’orchestre, démentant ceux qui affirment que « jazz français rime avec linéarité ».

Par ailleurs, puisque, en France, tout finit par une chanson, le soin est laissé à Médéric Collignon d’esquisser un thème appaisant (« 4/4 cm3/horizons »), auquel il ne reste plus qu’à trouver des paroles empreintes de beauté et d’éternité.