Entretien

David Linx

Un chanteur atypique dans le monde du jazz

Chanteur quelque peu atypique dans le monde du jazz, David Linx impose sa personnalité et et se refuse à parcourir les sentiers battus. « One Heart, Three Voices » était une nouvelle étape dans la carrière du duo qu’il forme avec Diederick Wissels. L’occasion était trop belle pour ne pas les rencontrer… mais chacun à leur tour.
Première partie : le chanteur.

  • Comment s’est concrétisée la rencontre entre Fay Claasens et Maria Pia De Vito et le quartet ?

J’ai rencontré Maria Pia De Vito en Sardaigne où elle donnait cours dans un stage de jazz en ‘98 ou ‘99…
C’est quelqu’un avec qui le contact est passé très vite et très bien. On s’est revu souvent au moment où on tournait pas mal en Italie avec Paolo Fresu.

  • Tu n’avais jamais rien réalisé avec elle auparavant ?

Non. En fait j’avais reçu une proposition de l’ONJ. Pour cela, il fallait un projet. Moi, j’avais envie de faire un projet « Porgy and Bess » avec Cassandra Wilson et Shirley Horn. Nougaro et Toots étaient d’accords aussi…
Et puis, j’avais un autre projet, avec 7 femmes dont Sidsel Endressen, Maria Joao, Cassandra Wilson etc… Et Maria Piao De Vito. Finalement, ce n’est pas ce projet qui fut retenu. Et c’est Claude Barthélémy qui l’a eu.

  • Donc, il y avait eu contact et une envie à cette époque-là déjà ?

Oui. Puis, mon agent a insisté. Il est revenu avec cette idée de chanter avec plusieurs chanteuses. Et on a fait un concert à l’Opéra de Lyon dans la perspective de faire un disque.

  • Avec Fay ?

Oui. La rencontre avec Fay date d’il y a 3 ou 4 ans. Ivan Paduart, avec qui elle chantait, m’avait demandé d’écrire des paroles sur ses musiques. Je ne fais pas ça souvent, car je n’ai pas toujours le temps. Mais comme c’est un ami, j’ai accepté. Je ne connaissais pas vraiment bien Fay. Ivan m’a envoyé des démos et quand j’ai entendu sa voix, je suis tombé raide dingue. Et c’est devenu le Live At The Music Village.

  • Justement, les voix que tu cherches, sont-elles dans les mêmes tessitures que la tienne ou assez opposées ?

Ce sont des femmes. Et en fait, je crois que ce sont deux extensions de moi-même. Fay possède une voix un peu voilée, un peu « soul ». Et Pia a un côté, que j’ai un peu aussi… accrobatique.

D. Linx © H. Collon/Vues sur Scènes
  • Oui, et comme tu parlais de Maria Joao, on sent une certaine filiation chez Pia. Dans ses impros, ses scats…

C’est possible. Et c’est très bien. C’est peut-être inconscient. D’ailleurs, on est sur un projet avec Maria Joao… Pour revenir sur Pia, en tournée je l’appelle Sarah et Fay, Ella… J’aime bien les taquiner un peu.

  • Dans le disque One Heart Three Voices, tu laisses beaucoup de place et de liberté aux chanteuses. Pia chante une de ses chansons, Fay chante seule…

Oui, c’est sur un morceau qui est joué par Erik Truffaz avec nous. Erik me disait que je devais mettre des paroles sur cette mélodie. Mais comme c’était un autre projet, je ne voulais pas tout mélanger. Et puis, Fay a écrit un peu. Ensuite, je l’ai aidée car elle n’a pas trop l’habitude. Mais je la pousse à faire ça. Comme je la pousse à chanter sur « Sum It Up » qui est très différent de ce qu’elle fait habituellement. Et ça lui va tellement bien. Ces filles sont si peu égocentriques ou narcissiques que j’ai envie de leur donner de la place ! Parfois, sur scène, je prend une chaise et je les laisse chanter. Je regarde, j’apprécie.

  • Laisser de l’espace et des libertés, c’est dans ta nature, non ?

Je ne sais pas. Je suis très sûr, et donc peut-être généreux, quand je suis dans la musique, mais très fragile en dehors. C’est à cause du pays d’où je viens - un pays où ça a été très difficile de faire ce que je fais actuellement. Donc, la difficulté, tu l’as toujours en toi. Tu n’es jamais satisfait du résultat. Comme tous les musiciens en général, mais… comment dire ? Dans mon pays, rien ne m’a été donné sur un plateau.
… D’abord, la Belgique, ce n’est pas un pays, mais trois communautés. Il y a beaucoup de frustration à ne pas être un pays. Y a-t-il une fierté nationale ? Oui, il y a le foot de temps en temps… Mais la fierté nationale de ses artistes, comme cela existe dans d’autres pays, c’est rare chez nous.

  • Le fait de « s’exiler » en France n’aide-t-il pas ?

Oh, ce n’est pas « qu’il faut partir »… On part, c’est tout. On le sent. En plus, à l’époque, je voulais être chanteur de jazz. C’est rare. Encore maintenant. Je suis presque un des seuls Européens a avoir cette place. Il y en a d’autres, bien sûr, mais… Cette place, on ne me l’a pas donnée. C’était un combat. J’ai été à l’école afro-américaine. Ça donne de la crédibilité. J’ai toujours voulu chanter du jazz. Je sais d’où je viens. J’ai cette culture en moi.
Mais je viens d’une époque où il n’y avait pas de chanteurs de jazz. Ou très peu. Vouloir être chanteur de jazz, ça n’existait pas… Alors, en plus, si tu es belge !
Donc, c’est vrai, la France m’a accueilli. C’était merveilleux pour moi. Je ne sais pas où je serais sans cela. Tu t’imagines : je suis un mec, européen et blanc !
Il faut savoir qu’une chanteuse de jazz noire, même si elle est française, même si elle est de deuxième ou troisième génération en France, bénéficiera toujours de l’exotisme. De la culpabilité post-coloniale…

  • Ce qui lui donne plus de crédibilité ?

Oui, mais c’est « ok », je ne critique pas les chanteuses, je critique surtout la perception. Je ne suis ni femme, ni noir, ni américain.

  • Et tu pratiques un jazz assez « personnel »…

Sans doute. Mais ce n’est possible de faire ce jazz-là que si tu as digéré l’histoire du jazz. Les gens ne se rendent pas toujours compte à quel point je connais le jazz. Je connais tous les standards. J’ai grandi avec ça, c’est ma culture. Tu ne peux pas faire ton truc si tu ne connais pas l’histoire de cette musique.

  • Mais toi, qui t’a influencé plus particulièrement ?

Si je donne des noms, ce sera sans fin… Ça va de Betty Carter à Ray Charles. Mais aussi Alban Berg, Cecil Taylor, Stockhausen, Prince, Michael Jackson, Sly Stone, Anthony Braxton, Duke Ellington, Bessie Smith, la musique contemporaine allemande… tout ! C’est tout ça. C’est grâce à mon père. Je m’en rends compte maintenant qu’il est décédé. (NDLR : Le père de David était professeur d’harmonie et est décédé en mars 2005).
Finalement, j’ai toujours cherché mon père ailleurs. Ce n’était pas facile. J’ai rencontré Baldwin, Nougaro… C’était étonnant comme Nougaro pouvait ressembler à mon père. J’avais l’impression de le voir. C’est vrai qu’ils me manquent. J’ai connu tellement de choses avec eux. J’ai passé du temps avec Billy Eckstine, Dizzy Gillespie, Roy Eldrige, Carmen McRae, Sarah Vaughan, Ella, Miles

  • Ce fut une chance de les rencontrer, non ?

Oui, je m’en suis rendu compte, il y a 15 ans quand j’étais chez Baldwin. En ayant rencontré Miles et Teo Macero, je me suis dit : « Si tu veux t’aventurer dans ce monde, tu ne peux pas être dans l’ombre de quelqu’un ». Et pour ça, il ne suffit pas d’avoir une histoire, il faut aussi apprendre à la raconter.

  • Tu as toujours voulu être chanteur, mais tu as suivi des cours de piano, de batterie…

Oui, c’était toujours pour me cacher un peu. On est toujours fragile. Même si « être chanteur », ça fait partie de toi. Ton entourage te fragilise, surtout quand tu avoues vouloir être chanteur de jazz. Mais ça fait partie de moi. Dès 5 ans, quand j’ai entendu un bootleg de « Georgia On My Mind » que mon père avait obtenu lorsqu’il travaillait à la radio dans les années ’60. Un Ray Charles défoncé. À l’orgue. À Antibes. Avec flûte et batterie… très loin… C’est pour cela que mon père ne supportait pas une autre version de « Georgia ». Alors, quand tu prends ça dans le corps et dans le cœur…

  • Est-ce le fait d’avoir joué de la batterie qui te donne cette énergie, ce groove, cette façon de te frapper la poitrine quand tu chantes ?

Se taper le torse, c’est à cause de ma timidité. Je suis une personne compliquée, je crois. Sauf quand je chante. Tout s’éclaire quand je chante. Je parle pour moi, mais j’espère que le public le ressent aussi.

  • Tu éprouves la même chose quand tu écris ? Le fait d’avoir lu Baldwin, ça a provoqué quelque chose chez toi ?

On peut dire que c’est le destin, mais on peut taquiner le destin. On peut le plier. J’ai lu Baldwin à 10 ans. J’ai pas tout compris tout de suite, mais je me suis dit : « Ce type-là, je veux le rencontrer, ça va changer ma vie. »

  • Qu’est ce qui t’a donné envie de le rencontrer ?

C’est la différence. La perception d’être différent. Pas d’être noir ou blanc, ou petit ou moche. Il se fait qu’il était noir, petit, se trouvait moche, qu’il était homosexuel etc…. Bref, le gros lot ! Et moi, à 6 ou 7 ans, je me sentais comme ça. Les cheveux frisés « afro », j’avais une longue gueule, j’étais un peu exclu à l’école parce que j’étais « bizarre »… Donc, tu te réfugies dans ceux qui parlent de leur différence.
C’est ça qui m’a attiré chez ce gars. Et… je suis allé chez lui. Comme ça. Adolescent. Et lui, il n’avait pas le choix. J’étais là. Il m’a accueilli. Et puis, un jour, je lui ai dit : « Faisons un disque ! »

  • Mais il ne chantait pas…

Non, pas du tout. Mais nous avons fait ce disque. Je viens de relire un article paru à l’époque dans le Wall Street Journal où un journaliste lui demandait pourquoi il avait fait ce disque avec David Linx. Et il répond simplement : « Parce qu’il me l’a demandé. » Cette réponse, c’est le plus beau cadeau de ma vie.
Ce disque, c’est arrivé à Saint-Paul-de-Vence. On buvait. J’essayais de boire autant que lui, mais c’était impossible. Et il chantait un vieux gospel. Alors je lui ai proposé de mettre ça sur disque. Une fois en studio, ce fut une autre histoire. Il était timide, il n’osait pas. Il avait peur d’être jugé par ses amis, par Ray Charles etc… On se battait presque, je lui disais qu’il me l’avait promis. C’était fort ! Quand je revois des images de cette époque, je me dis que j’avais de l’audace quand même.

  • C’est à ce moment que tu as voulu aussi écrire tes textes ?

J’ai toujours voulu. On est toujours frustré de ne pas être autre chose. J’ai toujours voulu être écrivain. Comme les chanteuses veulent être actrices.

  • Pourtant dans ce dernier projet, ce qui est différent, c’est que tu reprends des « standards » ou des textes des autres…

Oui, c’est peut-être aussi la force des choses. Je ne sais pas pourquoi. Beaucoup de gens se demandent pourquoi il faut écrire de nouvelles choses alors qu’il existe tellement de beaux standards. Mais regarde dans le dernier Real Book, j’y ai 4 morceaux…
Bien sûr, il y a les chanteurs actuels qui reprennent des standards, c’est bien, mais ils ne m’intéressent pas. Ou alors, il faut qu’ils le fassent d’une autre façon. Je ne dis pas qu’on ne peut pas le faire, mais moi, ça ne m’intéresse pas. Moi, j’ai une histoire à raconter : la mienne.
Keith Jarrett a commencé à écrire sa propre musique après avoir appris les standards, et ensuite il y est revenu. Mais il les joue d’une telle manière et tellement bien… C’est à cause de son passage par sa musique personnelle. C’est pour ça qu’il les joue si bien. Peut-être que maintenant je suis au stade où je peux reprendre des standards.

  • Avec Diederick, vous travaillez comment ?

On ne se voit jamais.

  • Tu arrives avec tes compos ? Mais vous les retravaillez quand même ensemble ?

Non, un morceau, quand il est fini, il est fini. Ou alors, Diederick écrit, et moi je pioche dans ce qu’il propose. Il est parfois étonné de mes choix… C’est lié à ce que je sens, ce qui pourrait en sortir. C’est souvent précédé d’une très mauvaise humeur (rires).

  • C’est plus facile d’écrire sur une mélodie ou « dans le vide » ?

Tout est lié. Parfois, je lui donne les paroles. Ou lui, la mélodie. Je sais qu’un compositeur quand on lui donne les paroles, va écrire différemment. Le fait que les paroles soient là donne un rythme en soi. Et ça laisse une autre liberté au compositeur.

  • Mais tes paroles sont déjà très « musicales » de part le rythme, le débit.

C’est la relation avec Diederick qui permet ça. Parfois, sur scène, je me rends compte à quel point on « est ensemble ».

  • Pour « Sum it up » par exemple ?

Ce texte, je l’ai écrit en une nuit. Au début, ça devait être un morceau instrumental, car le tempo ne m’intéressait pas (il chante en tempo lent). J’ai augmenté le tempo (il chante en tempo rapide) et je suis rentré à l’hôtel. Et j’ai pensé à « Waters Of March ». Il s’agit d’énumération, dans cette chanson. Et tout est venu facilement…

  • Le duo Linx-Wissels ne deviendrait-il pas un quartet depuis deux disques ?

Celle qui s’approche le plus de ce que j’ai envie de faire, c’est Betty Carter avec le quartet de Wayne Shorter. Je n’aime pas ce qui est formaté. Je n’ai pas envie de m’ennuyer dans le jazz vocal. On peut entendre de belles voix, mais il faut y trouver le discours. J’aime l’alchimie qui advient au milieu d’un groupe. Je n’aime pas que le batteur fasse le timing et que le bassiste et le piano fassent l’harmonie. Je veux que chaque musicien soit responsable du rôle harmonique, mélodique, rythmique et du timing. Alors, au milieu, la musique passe. Et le silence, alors, peut exister aussi.

  • C’est cette connivence que tu retrouves avec Wallemme et Huchard ?

Oui. D’ailleurs, j’aime bien la phrase que Miles employait pour définir sa façon de travailler avec son groupe : « Je ne dis jamais ce que je veux, car ce serait trop long à expliquer. »
J’engage les musiciens pour ce qu’ils sont et je leur dis simplement ce que je ne veux pas.
Un jour, je discutais avec Cassandra Wilson et je disais très fort, pour qu’on l’entende : « Je déteste les cymbales ! ». Ça peut choquer… Mais les musiciens ont compris.
Le premier qui a changé le rôle des cymbales, c’est Joey Baron, il leur a donné un son étouffé. Une autre sonorité. Ça ouvrait l’espace pour une autre écoute. Ça permet d’entendre ce que le piano et la basse font, par exemple.
J’aime bien sortir les instruments de leur fonction de base. À condition que les musiciens connaissent l’histoire de leur instrument bien sûr. Mais je n’ai pas envie que le batteur soit là pour donner le timing.

  • C’est assez flagrant sur This Time, où l’on sentait une autre approche rythmique.

Oui, je crois. J’ai été batteur et je sais ce que je ne veux pas. Je ne veux pas être étouffé.

- Tu as besoin de te « challenger » ?

Oui. Et chaque fois, je me rends compte que cela n’est pas toujours bien perçu dans le jazz. Si tu fais un disque de standards, tu es moins… « polémique ». Et j’ai l’impression d’avoir toujours été « polémique ».

  • Oui, mais ça a souvent apporté quelque chose.

Je l’espère. J’ai fait des choses qu’on n’attendait pas. Ça m’a permis d’avancer. Je n’aime pas faire ce qu’on attend de moi. C’est pour ça que je suis chanteur de jazz. Ça, je le sais.
Mais ce n’est pas toujours compris. Même les musiciens n’ont pas toujours les références par rapport aux chanteurs. Tu peux leur parler de musique, mais dès que tu parles de chant, ils sont largués. Combien y a-t-il de bons musiciens qui partagent le même feeling que la chanteuse ? Un chanteur, c’est encore différent. C’est directement une « menace ». Un chanteur n’a pas de décolleté. C’est un homme. Dès qu’il est sur scène il doit être bien. C’est pour ça qu’on en voit moins sur scène. S’ils ne sont pas bons tout de suite, on ne les tolère pas.

© P. Audoux/Vues sur Scènes
  • Tu arrives à faire passer beaucoup d’émotions dans ta façon de chanter, alors que beaucoup considèrent ton chant comme une performance. Personnellement, je ressens plus l’émotion que la performance.

Ça me touche ce que tu dis. Souvent on me dit le contraire.
Tu sais, le post-colonialisme est toujours présent comme je le disais tout à l’heure… C’est la culpabilisation post-colonialiste, ou néo-colonialiste dans la culture…
Jamais je n’ai pris un cours de chant. Et maintenant j’en donne. Je sais comment ça marche. Mais je n’ai jamais pensé « technique ». Je sais que j’en ai une, car je voulais tellement chanter…
Mais, tu vois, on ne dit jamais de Bobby McFerrin que c’est trop technique. Parce que c’est un Noir. Et un Noir, ça se civilise… (Une pause.) Ce sont de grands musiciens. Mais on ne va jamais leur dire que c’est trop technique. Comme un reproche. Parce qu’un Noir essaie toujours de se « civiliser » de devenir comme un Blanc. J’ai souvent essayé d’analyser ça quand on me faisait la remarque : Linx égale technique.
Par rapport à McFerrin, tu comprends ce que j’ai voulu dire : c’est le prix que nous devons payer pour 2000 ans d’oppression envers les minorités. Moi, je n’ai jamais voulu être noir ou blanc. J’ai toujours voulu être au milieu.

  • En plus, tu n’as pas peur de t’ouvrir à d’autres styles. De t’associer à des musiciens d’horizons divers…

Bien sûr, pourquoi pas ? Que je travaille avec un orchestre symphonique comme en ce moment ou avec Diederick, ou Maurane… ou Aka Moon, ou Toots… C’est tellement juste. Je suis un chanteur de jazz ! Quand Michel Fugain m’invite cet été aux Francofolies, je viens en tant que David Linx. Quand je suis monté sur scène ce soir-là, c’était en tant que chanteur de jazz.
Je viens d’un continent qui à peur et qui marche dans l’ombre des chanteurs de jazz américains. Alors non, moi je suis un chanteur de jazz et je chante mon histoire, c’est tout.
Et des expériences il y en a eu plein d’autres. J’adore être en « guest », car ça me donne la possibilité de faire encore autre chose. D’ailleurs, une « compile » devrait peut-être voir le jour… J’adore ça.
Tu vois, Paris, c’est comme New York. On y est très adulte très jeune. J’adore jouer avec des jeunes. Il y a des mecs de 22 ans qui sont monstrueux. Wise, par exemple, étaient venus me voir avec des maquettes en ’99. C’était pas terrible, mais je sentais quelque chose. On a gardé contact. Le leader est devenu un ami. Puis, il y avait Lourau là-dedans. C’est étonnant de les voir maintenant. Au début, ils m’appelaient « papy ». C’était chouette parce que j’avais l’impression de prendre de la bouteille…

  • Et d’apporter quelque chose ?

Oui. Sans doute un peu. En toute modestie. Le temps passe si vite. Je suis content d’être ce que je suis. De ne pas avoir écouté les gens qui ne voulaient pas que je sois ce que je suis devenu. C’est ça que je veux dire aux jeunes. Dès que tu deviens « toi » on te critique. Tu deviens une cible. Donc, tu dois être fort pour faire ce que tu dois faire. Parce que tu deviens « singulier ». Donc « suspect ». Et tu es critiqué car tu ne sonnes plus « comme », mais parce que tu es « toi ».

  • C’est ce qui se fait aussi beaucoup dans le jazz : un rattachement à une référence.

Un peu oui. J’aime la polémique qu’il y a eue quand j’ai enregistré avec Paolo Fresu le Porgy And Bess de Gil Evans. Parce que, naturellement, je n’ai pas chanté « Bess YOU IS My Woman… ».
Les musicologues à Rome se sont offusqués : « Comment ! Linx ose changer les paroles de cette oeuvre… !!! ».
Mais enfin, quand Chaka Kahn a chanté « I Love You Porgy », elle n’a pas dit « I LoveS You Porgy ». Elle ne va pas parler « petit nègre » parce qu’elle est noire ! Dans le contexte de l’opéra ou de la comédie musicale, à la limite… et encore…
Non, on est d’une génération qui n’avons pas connu d’école. On était explosés de musique. Et avec beaucoup de rigueur, on a appris sur le tas. Et on fait notre truc. Si je n’avais pas bien digéré ces musiques, je n’aurais pas été capable de faire la mienne. La meilleure façon de respecter la tradition, c’est de la perpétuer. Et la perpétuer, c’est la digérer et puis en faire son truc. Il faut y apporter sa personnalité. Sans vouloir nécessairement être « nouveau ». Je veux simplement exprimer ce que je suis…

C’est vrai que cette année fut une drôle d’année. L’année de mes quarante ans.
L’année où j’ai perdu plein de choses : mon père, des amis… c’était des claques.
Et en même temps, il s’est passé des choses magnifiques. Des choses qui me permettent de déployer à nouveau mes ailes…