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Edition du 24 mars 2024 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487

Les dépêches

Dinant Jazz Nights (Belgique)

Du 29 septembre au 1er octobre 2006,
Dinant Jazz Nights présente
la 9ème édition de son festival
consacré entièrement au label ECM

La ville de Dinant est depuis longtemps un endroit de pèlerinage pour tous ceux qui sont intéressés par l’histoire du jazz. Car elle est bien sûr la ville natale d’Adolphe Sax, l’inventeur du saxophone.

Depuis plusieurs années, la ville (qui est située à distance égale de Bruxelles, des frontières hollandaises et allemandes et à seulement 50 kilomètres de la frontière française) a également accueilli le festival Dinant Jazz Nights. Celui-ci a conçu au fil des années un programme de qualité basé sur des musiciens de jazz reconnus internationalement et a attiré un public de connaisseurs.

Le festival qui est une organisation des Dinant Jazz Nights en co-production avec le centre culturel de Dinant et l’AIAS (Association Internationale Adolphe Sax) a été fondé en 1998 par un amateur de jazz, Jean-Claude Laloux. Celui-ci s’est entouré d’une équipe de personnes motivées dont récemment le chroniqueur et journaliste de jazz Patrick Bivort.

En 2004, Laloux et Bivort ont approché ECM Records et leur ont proposé le concept du festival 2006 organisé autour des artistes du label : c’est la première fois qu’un festival ECM est mis sur pied en Belgique.

La diversité musicale qu’ ECM a couverte durant plus de 37 ans avec plus de mille enregistrements de musique écrite et improvisée peut difficilement être résumée lors d’un weekend de concerts. Néanmoins, les artistes sélectionnés pour le festival de Dinant peuvent être considérés comme représentatifs des différentes directions prises par le label aujourd’hui. Le programme du festival assemblé en coordination avec le producteur d’ECM Manfred Eicher, présente des artistes de réputation internationale aux côtés de musiciens en cours d’évolution. Un programme qui propose à la fois des groupes établis et des constellations de nouveaux musiciens. Ceux-ci proviennent aussi bien de France, d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne, d’Argentine, de Norvège, d’Angleterre que de Pologne et explorent une musique ancestrale ou contemporaine. Ce qu’ils partagent tous à leur manière c’est leur engagement dans l’improvisation.

Les salles de concert

Non seulement, les concerts auront lieu dans le centre culturel de Dinant comme chaque année mais en plus, des concerts seront organisés dans la collégiale de Dinant dont les fondations datent du 7ème siècle et dans l’église de l’abbaye de Leffe établie en 1152.
Quelques centaines de mètres séparent les trois endroits l’un de l’autre.

Le programme

Le programme commence le vendredi 29 septembre par le concert de Jan Garbarek et de l’Hilliard Ensemble à la collégiale. Ce sera la première fois qu’ils joueront dans cette église dont l’acoustique exceptionnelle est reconnue internationalement. La combinaison Garbarek/Hilliard a continué à évoluer depuis douze ans lors du succès d’Officium qui s’est vendu entre-temps à plus d’un million d’exemplaires. C’était d’ailleurs à l’origine une idée de Manfred Eicher d’associer le saxophoniste norvégien au fabuleux groupe vocal anglais. Les premiers éléments de leur collaboration ont utilisé la polyphonie médiévale comme point de départ en y ajoutant une cinquième voix libre par la présence de Garbarek. A l’époque de « Mnemosyme » (1999), le répertoire couvrait déjà 22 siècles du « Delphic Paean » d’Athenaus à l’« Estonian Lullaby » de Veljo Tormis.

Garbarek : « beaucoup de mes albums font appel à des musiciens de différentes cultures et je considère que cette association avec l’Hilliard Ensemble en fait partie. Si pas géographiquement alors certainement au niveau du temps. Je pense que nous sommes parvenus à exprimer quelque chose de nouveau ou jamais entendu auparavant ». Le contexte Garbarek/Hilliard reste un des meilleurs dans lequel le saxophoniste peut être découvert. « Sobre et inspirant » mentionnait le Herald Tribune. « Une froideur chaleureuse. Et la texture de la musique est tellement enveloppante qu’on ne pourrait pas imaginer écouter quelque chose de moins pur que Bach ou Billie Holiday par après. » Au cours de leur centaine de concerts, l’Hilliard Ensemble a aussi progressivement ajouté l’improvisation à sa façon d’envisager la musique.

La relecture de la musique ancienne et baroque est aussi un des thèmes suivis par le joueur de luth Rolf Lislevand dont le projet Nuove Musiche est présenté dans l’église de l’abbaye de Leffe, le samedi 30 septembre. Un norvégien qui a étudié en Suisse, qui vit en Italie, qui enseigne en Allemagne et qui dirige un groupe comprenant des Espagnols, la composante norvégienne étant représentée par Bjorn Kjellemyr, le contrebassiste de Terje Rypdal. Lislevand est un polymath et polyglotte qui a commencé sa carrière comme guitariste de jazz mais aujourd’hui, il joue à sa façon du luth, de la guitare baroque et du théorbe. « Pendant des années, les gens ont essayé de jouer de la musique ancienne d’une manière aussi proche que possible de l’original », explique Lislevand. « Mais c’est une contradiction philosophique en elle même. La première question est de savoir s’il est possible de restituer le concert d’un musicien qui a vécu il y a plusieurs siècles… » Lislevand prend radicalement ses distances par rapport aux croyances d’authenticité liées à la musique ancienne. Ses relectures de la musique baroque faisant occasionnellement penser à de la musique celtique ou flamenco. Lislevand a eu une longue association avec Jordi Savall, le grand joueur catalan de viole de gambe. Sa fille, Arianna, chante dans le Lislevand Ensemble et joue sur une triple harpe tandis qu’un autre proche de Savall, le percussionniste Pedro Estevan fait également partie du groupe. Le résultat donne un effet percutant s’apparentant à une jam session de musique ancienne qui permet à une musique vieille de plusieurs siècles de respirer et de trouver une relecture nouvelle et originale.

Le premier concert dans le centre culturel de Dinant présentera le pianiste français François Couturier avec son nouveau projet en quartet, Nostalghia : Song for Tarkovsky. Il jouera plusieurs extraits issus de son nouvel album éponyme. Ce projet est conçu par Couturier comme un hommage au grand metteur en scène russe Andrei Tarkovsky (1932-86). Couturier : « J’ai essayé de traduire des émotions spécifiques liées à l’univers de ce metteur en scène. Que ce soit au travers de ses films, bien sûr, mais également de ses acteurs et compositeurs fétiches. Ou même en s’inspirant de sa façon très originale d’utiliser les nuances dans les couleurs. » Un hommage imaginatif qui convient à merveille à l’esthétique des productions d’ECM, « Nostalghia : Song for Tarkovsky » est un corollaire musical idéal à l’œuvre du metteur en scène où l’improvisation occupe une place importante. La plupart des musiques présentes sur ce projet ont été composées par Couturier en s’inspirant alternativement de Bach, Pergolesi et d’Alfred Schnittke, compatriote de Tarkovsky. La combinaison inhabituelle du groupe assemble Couturier, l’accordéoniste Jean-Louis Matinier, le saxophoniste Jean-Marc Larché (qui ont tous participé aux enregistrements d’ECM avec Anouar Brahem) et la violoncelliste Anja Lechner du Rosamunde Quartet. Les réactions aux premiers concerts de ce projet ont été unanimement enthousiastes.

Le Quartet de Tomasz Stanko terminera les concerts du samedi. En étant depuis presque un demi-siècle une des voix déterminantes de l’improvisation polonaise et un des trompettistes les plus étonnants de l’histoire du jazz moderne, Stanko a suscité un nouvel engouement avec son groupe actuel . Le quartet inclu Marcin Wasilewski, Slawomir Kurkiewicz et Michal Miskiewicz (qu’on a déjà pu entendre sur « Soul of Things » et « Suspended Night ») et a récemment enregistré un troisième album, Lontano, qui servira d’assise au concert de Dinant.

Le dimanche 1er octobre, le duo Dino Saluzzi/Anja Lechner se produira l’après-midi dans l’église de l’abbaye de Leffe. Même si un album en duo doit encore voir le jour (leur premier album en duo est prévu pour 2007), le maître du bandonéon argentin et la violoncelliste allemande ont collaboré régulièrement depuis plus de dix ans. De formation classique, Lechner a été intriguée depuis longtemps par les aspects de l’improvisation que l’on retrouve dans différentes traditions. C’était d’ailleurs son intérêt pour le tango nuevo qui a rendu possible la collaboration entre Salluzzi et le Rosamunde Quartet sur « Kultrum ». Ses concerts en duo avec Dino ont été décrits par le rédacteur Richard Cook du Jazz Review/Penguin Guide comme étant « proches de la perfection ». Dino Saluzzi a enregistré pour le label ECM depuis 1982 dans différents contextes (en solo, duo, avec la famille Saluzzi, avec Tomasz Stanko comme invité…) mais au-delà de cette diversité, il demeure un conteur fascinant d’histoires. Il est fier du fait qu’il soit un musicien essentiellement autodidacte, venant de la tradition orale. Son but est de jouer une musique qui puisse s’exprimer clairement et avec feeling : « L’art n’a pas besoin de muscles et n’a pas besoin de la force créée par la puissance ou la renommée. Revenons à plus de simplicité, réduisons la complexité et ré-établissons la possibilité de dialogue… »

Gianluigi Trovesi et Gianni Coscia joueront au centre culturel de Dinant lors du dimanche après-midi. Les textes des pochettes des deux albums ECM de Trovesi/Coscia ont été écrits par Umberto Eco, ni plus ni moins. Un signe de reconnaissance que leur pays natal envoie indirectement à ce duo de musiciens italiens plein d’esprit. Deux musiciens qui font rencontrer un accordéon et des clarinettes. Eco félicite leur « savoir de la musique provocatrice….Ils évoluent toujours vers un certain point où l’auditeur ne compte pas les trouver. » Les deux vieux amis (Trovesi de Nembro, Coscia d’Alessandria) partagent un dédain pour des distinctions artificielles entre l’art censé être intellectuel et peu intellectuel. Ils savent que la grande musique peut être entendue aussi bien en rue qu’au conservatoire et que tout ceci peut servir d’outils pour véhiculer un argument musical ou, tout simplement, pour s’amuser. Le jazz, la musique folk, la musique classique, les thèmes populaires, les musiques de film…Un ensemble de dimensions qui est astucieusement assimilé par Trovesi et Coscia.

Malgré le fait que le pianiste Tord Gustavsen évoque volontiers des atmosphères calmes et contemplatives propres à l’univers scandinave, son trio est, à plusieurs égards, le moins « nordique » de tous les groupes norvégiens révélés par le label ECM. Ses influences les plus importantes vont du jazz traditionnel à la musique gospel en passant par le blues, la musique afro-caribéenne et des chanteuses comme Bessie Smith ou Billie Holiday.

Ces influences tangibles, filtrées par une sensibilité européenne qui a été également colorée par les compositeurs impressionnistes, confèrent au trio de Gustavsen son cachet spécial. Le son du groupe est à la fois mature, chaleureux et sensuel tandis que les mélodies de Tord sont puissantes et irréductibles - dès qu’on les entend, elles ont du mal à nous quitter. La structure claire de la musique donne beaucoup d’espaces à Gustavsen, au contrebassiste Harald Johnsen et au batteur particulièrement inventif Jarle Vespestad alors que les albums de Tord, Changing Places et The Ground sont respectueux des racines du jazz américain. Ceux-ci peuvent être envisagés comme une subtile protestation contre les tendances actuelles d’une certaine forme d’Eurojazz chauvin ou nationaliste.’

Le festival se terminera par ce qui peut être considéré comme un projet archétype d’ECM, le groupe Neighbourhood de Manu Katché qui a été assemblé par le batteur franco-africain et Manfred Eicher comme un projet unique et éphémère. Mais comme tant d’autres projets auparavant, il est devenu entre-temps un groupe tellement apprécié du public qu’il relève presque de l’institution. Le groupe comprend trois-quarts du quartet de Tomasz Stanko (Stanko, Wasilewski, Kurkiewicz), mais joue une musique nettement plus ensoleillée bâtie autour des mélodies de Manu, de ses modèles de groove et de ses rythmiques typiques. En ayant récemment remplacé l’influence d’origine de Jan Garbarek dans le groupe de Manu, le saxophoniste norvégien Trygve Seim complètera le quintet à Dinant. Bien que Katché soit plus connu pour ses nombreuses collaborations avec des musiciens de rock - Peter Gabriel, Sting, Robbie Robertson, Joni Mitchell, Dire Straits, Bee Gees, Simple Minds, Stéphane Eicher, Francis Cabrel… - le jazz est une priorité pour lui alors que ses premiers contacts avec la musique improvisée sont apparus par l’intermédiaire des albums d’ECM. Manu a largement contribué aux disques d’ECM depuis qu’il a collaboré en 1990 à « I Took Up The Runes » de Jan Garbarek.

Exposition sur les pochettes des albums d’ECM

Les pochettes exceptionnelles des albums d’ECM, la photographie et le design sont des éléments qui ont joué un rôle fondamental dans l’identité du label. L’art véhiculé par les pochettes des disques du label a aussi fait l’objet de plusieurs essais et d’expositions. Ce fut également le sujet du livre « Sleeves of Desire » (1996). Une rétrospective sur les pochettes des albums d’ECM sera exposée au centre culturel de Dinant du 28 septembre au 22 octobre.

Information générale :

Le Centre Culturel
Rue Grande 37
5500 Dinant
BELGIQUE

La Collégiale
Place Reine Astrid
5500 Dinant
BELGIQUE

L’église de l’abbaye de Leffe
Place de l’abbaye 1
5500 Dinant
BELGIQUE

Informations sur le festival, ou ici
Informations sur le label

Le festival ECM est une organisation des Dinant Jazz Nights en co-production avec le centre culturel et régional de Dinant et de l’AIAS (Association Internationale Adolphe Sax)