Entretien

La Tectonique des nuages de Laurent Cugny

Autour d’un opéra-jazz créé à Vienne…

Citizen Jazz a rencontré Laurent Cugny le 14 juin 2006 afin d’aborder librement avec lui l’opéra-jazz La Tectonique des Nuages créé le 30 juin 2006 au Festival Jazz à Vienne.Autour d’un opéra-jazz créé à Vienne…

L. Cugny se dévoile et l’on découvre un homme pudique, très investi dans ce projet, qui a surmonté de multiples difficultés et vécu des moments d’euphorie, mais aussi de découragement, pour aboutir à un résultat quelque peu différent de son idée de départ. Au fil de cette intéressante discussion, on sent un artiste engagé vis-à-vis de la préservation d’une certaine idée du jazz - éloignée des clichés mais aussi de l’idéologie officielle - et soucieux de sa transmission dans des conditions dignes de lui.

Laurent Cugny a marqué son époque dès 1979 avec son big band « Lumière », puis son formidable travail avec Gil Evans entre 1986 et 1988 et son arrivée à la tête de l’Orchestre National de Jazz en 1994 (il le dirigera jusqu’en 1997… mais jouera davantage dans les festivals étrangers que dans les français !). En 1993, il a déjà l’idée d’un opéra-jazz en voyant une affiche de Carmen Jazz, spectacle mis en scène par André Serre et écrit par Ivan Jullien, présenté à Vienne cette année-là avec Dee Dee Bridgewater dans le rôle-titre. Il s’allie alors les énergies respectives de Jean-Paul Boutellier (directeur de Jazz à Vienne), du metteur en scène François Rancillac (Théâtre National de Saint-Etienne, connu notamment pour sa mise en scène du Pays lointain de Jean-Luc Lagarce) et du chanteur David Linx, tout en cherchant la chanteuse idéale (il y aura plusieurs canditates avant que le choix ne se porte sur Laïka Fatien).

Laurent Cugny met à profit la phase difficile qui suit son passage à l’ONJ pour s’intéresser tout d’abord au livret de son futur opéra, en faisant notamment appel à Laurent De Wilde. Il s’agit de ne surtout pas « jazzifier » un opéra existant, ni de refaire un nième Tristan et Yseult. Une série d’embûches semble quelque temps entraver la poursuite du projet, et L. Cugny, qui se retrouve seul et confronté à l’impossibilité de maintenir à flot son orchestre « Lumière » (dernier concert en 2003), décide alors de changer d’orientation et de compléter ses études par une thèse [1].

L. Cugny © H. Collon/Vues sur Scènes

En 2002, Fr. Rancillac lui parle de l’américain José Rivera et de sa pièce La Tectonique des Nuages (Cloud Tectonics), déjà traduite en français. Ce conte - qui oscille entre poésie et fantastique, magie et réalité contemporaine - narre l’histoire de la mystérieuse Celestina del Sol, jeune femme enceinte qui affirme avoir cinquante-quatre ans et attendre cet enfant depuis deux ans… (Résumé, distribution…) Un dérèglement climatique favorise l’irruption entre eux d’une histoire d’amour où interviendra également le frère d’Anibal, joué ici par Yann-Gaël Poncet, également auteur des textes des chansons.

Convaincu, Laurent Cugny mobilise à nouveau ses troupes. J.-P. Boutellier lui annonce qu’il est toujours prêt à monter le projet d’opéra avec l’aide du Festival de Vienne (sans sa fidélité, celle de Fr. Rancillac et celle de D. Linx, il est évident que La Tectonique n’aurait jamais vu le jour), et la réalisation est prévue pour 2005. Malheureusement, suite à de nouveaux problèmes financiers, il faut renoncer à la version scénographiée avec décors. C’est donc une version « concert » qui sera représentée à Vienne, et en 2006 seulement.

Laurent Cugny évoque avec émotion et passion ce projet qui aura tout de même mis quatorze ans à naître (et auquel on souhaite un bel avenir [2]), ainsi que sa solitude face à des instances culturelles défaillantes, et peut-être des programmateurs de festivals [3] qu’on imagine intéressés par des musiques moins ambitieuses que la sienne, sans doute, plus binaires, festives, et qui s’inscrivent - selon eux-mêmes, du moins - dans un certain « air du temps » qui n’est pas nécessairement celui de ce compositeur, pianiste et arrangeur pourtant unanimement célébré par ses pairs.

À propos de la Tectonique…
Entretien avec Laurent Cugny, juin 2006

  • Qu’est-ce qui vous a séduit dans la pièce de Rivera ? Avez-vous un goût particulier pour la littérature fantastique ? Le conte ? La parabole ? La fable ?

La préalable a été qu’elle répondait aux deux conditions que nous nous étions imposées : pas plus de trois personnages et un sujet sans rapport avec le jazz. Je pourrais dire simplement qu’elle nous a plu a tous les deux, François Rancillac et moi, mais surtout, nous y avons vu une grande richesse du texte, donc des potentialités expressives et dramaturgiques.

Enfin, et c’est sans doute le plus important, ce texte nous a semblé convenir à son adaptation pour ce genre si particulier qu’est l’opéra et plus encore l’opéra-jazz. Ce n’est donc pas une question de goût personnel pour le genre, conte ou fable, mais un ensemble de caractéristiques convergentes. Et comme je l’ai dit, tout simplement un coup de coeur.

  • Votre voeu déjà ancien de monter un opéra-jazz provient-il aussi d’un intérêt particulier pour l’opéra au sens traditionnel du terme ? Quels sont vos modèles, le cas échéant ?

Non. Pour la vocalité jazz plutôt. Disons que c’est le désir de travailler à la fois dans le domaine du jazz vocal et sur une forme complexe. Vous me direz que c’est une première définition de l’opéra, mais je n’ai pas d’attachement particulier à ce genre dans la tradition savante où il s’est principalement illustré. Je n’ai pas eu de modèle direct, mais on peut dire que j’ai pensé à West Side Story, à Escalator over the Hill de Carla Bley et à Blood on the Fields de Wynton Marsalis.

  • Que pensez-vous de ces précédentes tentatives en matière d’opéra-jazz ?

Je ne les connais certainement pas toutes, mais elles sont restées en petit nombre. Et à ma connaissance, plus rares encore ont été celles qui sont allées jusqu’à la forme complète, c’est-à-dire intégrant mise en scène, scénographie et décor. À ma connaissance Escalator over the Hill n’a jamais été mis en scène (je me demande même s’il a été joué sur scène en dehors de la recréation à Vienne en 1998 [4], et Blood on the Fields est un oratorio plus qu’un opéra. West Side Story est pour moi une réussite absolue, mais ce n’est pas strictement du domaine du jazz. Mais il y existe certainement des exemples que je ne connais pas.

  • Sur le plan de l’écriture musicale proprement dite, comment avez-vous procédé pour lier les “airs”, qui sont ici des chansons, les parties instrumentales, les interventions didascaliques ?
L. Cugny © H. Collon/Vues sur Scènes

Les didascalies [5] dites sur scène sont évidemment imposées par la version concert, celle que nous allons jouer à Vienne et à Paris au Théâtre de la Ville, ce qui n’était pas prévu dans le projet initial. Elles disparaîtront donc aussitôt que nous serons en mesure de donner la version complète. Pour ce qui est des chansons, je les ai bien sûr chacune pensées en fonction du personnage et de la situation concernés. Pour ce qui est des textes, certains ont préexisté à la composition, dans d’autres cas ce fut le contraire. Mais même quand le parolier a écrit sur une composition, je savais bien sûr exactement quelle fonction devait avoir la chanson à ce moment précis de l’opéra, ce qu’elle devait raconter, etc. C’est ce qui est le plus passionnant dans cet exercice. Quant au lien, nous avons élaboré à trois le livret à partir d’une première adaptation de François Rancillac.

  • Qui dit opéra-jazz dit improvisation… Y en a-t-il ici ? Si oui, sous quelle forme ?

Il est moins évident qu’on le croit souvent que l’improvisation soit entièrement indispensable à une forme pour qu’elle mérite le nom de jazz. C’est du moins mon opinion [6]. Il y en aura ici sous la forme de solos courts mais nombreux. En revanche, presque rien ne sera improvisé sur le plan des structures. À quelques adaptations près, les durées sont toutes prévues d’avance.

  • Pensez-vous pouvoir toucher le public lyrique ?

Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il soit bon de penser au type de public que l’on souhaite atteindre. Idéalement bien sûr, on aimerait toucher tout le monde. Je pense toutefois que l’objet est suffisamment rare pour susciter au moins de la curiosité dans le public non habitué au jazz, et j’espère bien sûr, son adhésion.

  • Vous avez travaillé avec l’Orchestre philharmonique de Montpellier ; pouvez-vous nous parler un peu de cette expérience ? Doit-on voir dans “La Tectonique”, un désir de vous rapprocher, avec la forme “opéra”, du monde de la musique dite “classique” ? Du théâtre ?

L’expérience avec l’Orchestre de Montpellier fut mitigée, non à cause de l’orchestre lui-même qui était excellent et très coopératif, mais par la faute d’un chef d’orchestre qui n’avait pas compris le projet. Il n’y a aucun désir avec la Tectonique des nuages de se rapprocher du monde « classique ». Ni du théâtre d’ailleurs, bien que la rencontre avec François Rancillac et l’opportunité de pourvoir observer et participer aux façons de travailler du théâtre soient passionnantes. Ce projet n’a d’autre objectif que lui-même. Tout ce que nous souhaitons est de le réussir le mieux que nous pouvons et cela suffit largement à notre peine.

  • Quel lien établissez-vous vous-même entre vos compositions au sein du big band Lumière et de votre ONJ, d’une part, et la musique que vous avez écrite pour “La Tectonique” ?

Je ne crois pas qu’on se transforme parce qu’on change d’outil ou de format. Mais évidemment, beaucoup d’éléments techniques changent. Ici la forme opéra en soi, et également le format orchestral. Il est vrai aussi que, au-delà de ces modifications de contexte, j’ai tâché, de façon volontariste, de modifier un peu ma façon d’écrire. Mais je ne me fais pas trop d’illusions…

  • Le choix des interprètes a été arrêté au terme de nombreuses péripéties qui se sont déroulées sur de longues années. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a plu chez chacun/e d’entre eux ?

C’est quand j’ai rencontré David Linx en 1996 que j’ai vraiment décidé de faire cet opéra. Je ne vois pas actuellement qui peut le remplacer parmi les francophones. Yann-Gaël Poncet, que j’avais rencontré lors d’un stage, m’a séduit à la fois pour sa façon de chanter, qui n’est pas spécifiquement jazz, mais qui convient parfaitement à la situation, et aussi comme parolier, fonction qu’il assure aussi dans cet opéra. Il n’y a pas eu de péripéties pour ces deux rôles, ce qui est un peu paradoxal, car il y a en principe plus de chanteuses que de chanteurs. En revanche, pour le rôle féminin, il est vrai que deux chanteuses avaient d’abord été pressenties et qu’elles ont finalement quitté le projet pour des raisons diverses. Laïka Fatien est donc la dernière arrivée, mais elle convient parfaitement à la situation, aussi bien sur le plan de la technique vocale et du type de voix que sur celui de l’expressivité. De plus, elle a déjà pratiqué le théâtre, ce qui est un atout supplémentaire dans son jeu.

  • Pouvez-vous nous parler aussi des musiciens dont vous vous êtes entouré ? On note que vous avez déjà longuement collaboré avec certains (Frédéric Monino, Frédéric Favarel, P.O. Govin…).

J’aime, en principe, rester fidèle aux musiciens avec lesquels je joue. On retrouve donc un noyau de gens que je fréquente depuis longtemps, voire très longtemps (pour Pierre-Olivier Govin, ça remonte à 1979 !). Mais j’ai toujours aimé aussi travailler avec de plus jeunes musiciens. J’ai déjà plusieurs fois joué avec Airelle Besson et Thomas Savy, mais c’est en revanche la première fois pour Éric Karcher et Lionel Suarez. En outre, c’est la première fois aussi que j’utilise l’accordéon. Je me réjouis de ces alliages qui sont une grande source de richesse, et de plaisir.

L. Cugny © H. Collon/Vues sur Scènes
  • À ce propos, diriez-vous que votre passage à la tête de l’ONJ (1994-1997) a fermé certaines portes à “Lumière”, et si oui pourquoi ?

À l’entrée, je n’ai pas ressenti de coupure entre Lumière et l’ONJ. C’était pour moi le même orchestre, mais bien sûr avec des moyens décuplés, ce qui changeait tout dans le fonctionnement, mais pas réellement dans l’esprit ni dans l’esthétique. C’est du moins ce que je crois. À la sortie, évidemment, les choses sont redevenues plus difficiles et j’ai dû, à un moment donné, me résoudre à dissoudre Lumière. Je le regrette évidemment, mais il serait injuste et faux de prétendre que l’ONJ aurait été responsable de cette situation.

  • Faut-il imputer à d’autres raisons le trop petit nombre de concerts donnés par Lumière depuis ? Si oui, lesquelles ?

Bien sûr. C’est un contexte général. Il est de plus en plus difficile de faire du jazz. En concert en tout cas. De plus, les grandes formations sont peut-être un peu moins prisées qu’à d’autres périodes.

  • Ces raisons sont-elles d’ordre stylistique, politique, idéologique ? Liées aux modes qui font et défont peut-être les programmations des festivals de jazz ? A l’accueil réservé aux grandes formations par le public ? A une certaine “américanoïa” de la presse spécialisée ? Par les institutions ?

Vous soulevez ici de très nombreux points. Vous répondre signifierait s’engager dans une vaste discussion sur l’état actuel du jazz en France et ses acteurs. J’ai comme tout le monde des idées sur la question, mais j’ai décidé de me mettre un peu en retrait de ces discussions, car je n’ai pas de pouvoir sur la situation. Et pour moi actuellement, ce débat est trop coûteux en terme d’énergie. Je préfère donc m’en abstraire un peu, par souci de préservation personnelle.

Je ne connaissais pas cet article. Il me paraît excessif, mais plutôt drôle. Et il a le mérite de dire choses qu’on ne dit pas d’ordinaire.

Je voudrais tout de même commenter quelques phrases.

La première chose est évidemment que je ne crois pas que « le navire » était « en perdition » quand j’en ai quitté la direction. D’autre part, il ne faut pas trop vite stigmatiser des phénomènes de « pouvoir ». Du pouvoir, il y en a très peu dans le jazz en général et la totalité des acteurs de ce milieu s’y trouve en principe pour de bonnes raisons. Ceux qui recherchent le pouvoir préfèrent en général aller voir ailleurs. Cela une fois dit, oui bien sûr, il y a des intérêts, qui parfois peuvent entrer en conflit et je pense effectivement, comme beaucoup de gens, que l’épisode Damiani/ONJ a été regrettable sur certains points. Mais je crois aussi qu’il ne faut pas se tromper de cible. Le jazz en France (et ailleurs aussi sûrement) est tout de même en grande difficulté, et je ne suis pas loin de penser, que le déclin (je parle de réception pas de qualité de la musique) s’est, sinon amorcé, mais accéléré, vers cette époque du milieu des années 1990. Il faut donc se méfier des effets d’optique. S’il y a une crise de l’ONJ, elle est au minimum contemporaine d’une crise du jazz dans son ensemble.

  • Sur le site Web de la Maison du Jazz [7] on peut encore lire “La Maison du jazz est une association loi 1901 entièrement animée par des bénévoles, présidée par André Francis et dirigée par Laurent Cugny.” Avez-vous des commentaires à apporter ? Dans une interview accordée à Alain Le Roux en 1997 *, vous exprimiez le désir créer un lieu “vivant” d’”étude du jazz”. À votre avis, cette ambition a-t-elle été réalisée ? La Maison du jazz est-elle le “lieu de culture” que vous souhaitiez ?

Bien sûr que non, puisqu’elle n’existe quasiment plus. C’est pour moi un échec cuisant qui explique en grande partie pourquoi je ne tiens plus tellement à participer au débat public.

  • Quelle est votre position par rapport à l’association “Grands Formats [8].” ?

Patrice Caratini, qui l’anime, est un ami très proche, donc j’ai tendance à approuver ce qu’il fait. Dans le principe, je pense qu’il est excellent que les musiciens se structurent et soient représentés, quelles soient les formes que prennent ces représentations. Celle de « Grands Formats » est d’autant plus intéressante qu’elle réunit des musiciens d’esthétiques parfois assez éloignées, ce qui est une gageure suffisamment rare pour être signalée. Cela une fois dit, le commentaire sur la situation du jazz en France n’est pas chose aisée, et je préfère, pour l’instant, m’en abstenir.

  • L’ambition consistant à vouloir fédérer autour d’un projet tel que la Tectonique les énergies et les moyens indispensables représente-elle de nos jours un parcours semé d’embûches au point que vous ayez à certains moments douté d’y parvenir ? Quels ont été, le cas échéant, les principaux obstacles et, à l’inverse, les soutiens dont vous avez bénéficié ?

La production de cet opéra a été beaucoup plus difficile et longue que je l’avais imaginée au début. Le soutien le plus indéfectible est venu de François Rancillac. Sans lui, j’aurais abandonné au moins cinq fois. L’engagement personnel de Jean-Paul Boutellier à Vienne est à l’origine et à l’arrivée du projet. Puis il y a les (très) bonnes surprises : la fondation BNP-Paribas et son porte-parole pour le jazz, Jean-Jacques Goron. Des gens qui parlent peu mais agissent réellement, efficacement. Ça me paraît même tenir du miracle dans la situation actuelle. Je pourrais parler aussi d’une ou deux personnes grâce à qui cet opéra a failli ne jamais exister. Mais c’est la loi dans ce genre de projet relativement important. Je n’ai pas suffisamment d’influence pour lever le petit doigt et faire que les projets se montent tout seuls. Et c’est sûrement mieux ainsi.

  • Depuis quelques années vous vous consacrez à l’enseignement au plus haut niveau puisque, après que vous avez obtenu votre doctorat de musicologie, une chaire de jazz a été créée pour vous en Sorbonne ; pourriez-vous évoquer la teneur de l’enseignement que vous dispensez, et les éventuelles satisfactions que vous en retirez ?

Il s’agit d’un enseignement de type universitaire : histoire, théorie et pratique. Les satisfactions sont immenses. Intellectuelles d’abord, mais aussi humaines avec mes collègues enseignants et les étudiants. Ce fut pour moi une divine surprise que d’être accepté et reconnu dans ce milieu qui n’est pas a priori spécialement favorable au jazz. Dans le même temps, j’ai rencontré un silence assourdissant avec mon projet de Maison du jazz. J’en ai bien sûr tiré les conséquences.

  • À travers l’ONJ, vous avez participé à une forme d’institutionnalisation du jazz. Avec la création de la Maison du jazz, et votre vision d’ensemble, vous avez souhaité donner une certaine formalisation au jazz. Cette démarche peut paraître en contradiction avec le fait que le jazz est généralement considéré comme inscrit dans une tradition plutôt orale. Qu’en pensez-vous ?

Il n’y a rien là de contradictoire. Je pense toujours que le jazz relève fondamentalement de la tradition orale. (En revanche, je suis plus réservé sur la place de l’improvisation dans le jazz.) Mais, d’évidence, le jazz, comme toute autre forme d’expression, est d’une part une pratique et d’autre part le produit d’un discours, c’est-à-dire qu’on le fait, mais aussi on en parle et on a envie d’en parler. Et pour faire et parler, il faut des institutions. L’université et l’enseignement en général l’ont compris et en tirent les conséquences. Pour les institutions de la culture, ça semble moins clair.

  • Vous n’avez pas pour autant renoncé à la scène, à preuve cette Tectonique des nuages, mais vous y êtes moins présent depuis quelques années ; à quoi attribuez-vous ce fait ?

Essentiellement à des raisons économiques. Je n’ai pas les moyens de jouer avec mon orchestre, « Lumière ». Ce constat m’a amené à redéfinir mes activités. La scène est une chose, mais l’enregistrement en est une autre. Pendant toutes la décennie 1990, j’avais la possibilité de faire un disque tous les deux ans à peu près. Mon dernier disque remonte à l’année 2000 et je ne peux plus en faire pour des raisons économiques. C’est en réalité le facteur décisif.

  • Cet opéra est à l’origine, on l’a dit, une pièce de théâtre de Jose Rivera ; ce dernier était scénariste du film de Walter Salles Motorcycle Diaries (2004), inspiré des carnets de voyage de Che Guevara ; il sera selon toute probabilité le scénariste et réalisateur de Celestina, libre adaptation à l’écran de La Tectonique (il a aussi le projet de porter à l’écran « Sur la route », de Kerouac). Vous-même vous êtes beaucoup occupé de cinéma ; vous avez obtenu un DEA de cinéma, réalisé des courts-métrages, rédigé des critiques de films… Le désir de créer une oeuvre musicale mise en scène a-t-il un lien avec cet intérêt pour la représentation ?

Oui, sans doute. Mais je n’ai aucune ambition de metteur en scène, ni au cinéma ni au théâtre. Comme je l’ai dit, l’objectif est de réaliser le mieux possible cet objet-là. Cela suffit largement à ma peine, et je ne vise rien a priori au-delà.

  • La réalisation d’un long métrage situé dans le champ jazzistique ne fait donc partie de vos envies ?

Pas comme metteur en scène. Mais si un cinéaste proposait une adaptation au cinéma de notre version de la Tectonique des nuages, bien sûr j’en serais ravi.

  • La Tectonique va être représentée dans sa forme “concert”, c’est-à-dire sans scénographie ni décors. Verra-t-on un jour cette œuvre telle que vous l’avez rêvée ?

Je l’espère et j’y crois un peu. Mais rien n’est encore gagné…


Discographie :

En leader :

  • Lumière, Big Band de Laurent Cugny (Open, 1981).
  • Eaux-fortes, Big Band Lumière (Ecorce, 1984).
  • Rhythm-A-Ning, Gil Evans - Laurent Cugny - Big Band Lumière (EmArcy / Universal, 1988).
  • Golden Hair, Gil Evans-Laurent Cugny - Big Band Lumière (EmArcy / Universal, 1989).
  • The Complete Recordings, Gil Evans - Laurent Cugny - Big Band Lumière (EmArcy / Universal, 1989).
  • Santander, Big Band Lumière (EmArcy / Universal, 1991).
  • Dromesko, Big Band Lumière (EmArcy / Universal, 1993).
  • Yesternow, Orchestre National de Jazz Laurent Cugny (Verve / Universal, 1994).
  • Reminiscing, Orchestre National de Jazz Laurent Cugny (Verve / Universal, 1995).
  • In Tempo, Orchestre National de Jazz Laurent Cugny (Verve / Universal, 1995).
  • Merci, Merci, Merci, Orchestre National de Jazz Laurent Cugny (Verve / Universal, 1996).
  • A Personal Landscape, Big Band Lumière (Verve / Universal, 2001).
  • Les Amis italiens, Laurent Cugny, Orchestre National de Jazz avec Stefano di Battista, saxophone soprano et Flavio Boltro, trompette ; Durée 20 min 13s ; Editeur Paris : Cité de la musique, 1996 ; Archivé à la cité de la musique. [Festival de jazz de la Villette : Orchestre National de Jazz : Concert des 10 ans : 5 créations, 5 chefs (François Jeanneau, Laurent Cugny, Denis Badault, Claude Barthélémy, Antoine Hervé) : concert enregistré à la Cité de la musique le 2 juillet 1996] ; 1h 53 min 8s.

Arrangeur :

  • Beyond Cool, Lucky Peterson (Verve / Universal, 1993)
  • Scampi Fritti, Marc Beacco (Verve / Universal, 1994)
  • A Turtle’s Dream, Abbey Lincoln (Verve / Universal, 1995)
  • Je règle mon pas sur le pas de mon père, musique originale du film (Movie Sound, 1999)
  • L’instant d’après, David Linx (Polydor / Universal, 2000).
  • Les oiseaux de passage, Juliette (Mercury).
  • It’s Me, Abbey Lincoln (Verve / Universal, 2003).
  • Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez, Juliette Gréco (Polydor / Universal, 2003).

Edition :

  • Las Vegas Tango, une vie de Gil Evans (P.O.L. éditeur, Paris, 1989)
  • Électrique Miles Davis, 1968-1975 (A. Dimanche éd., Paris, 1993)

Cinéma :

  • 1977-1978 : Réalisation : Analytique : un meurtre (court métrage 16 mm, Perspectives du cinéma français, Cannes 1978) ; Exit (court métrage 35 mm)
  • 1978-1979 Critique à la revue Cinématographe
  • 1992 : Musique : 23h58 (long métrage, réalisation : Pierre-William Glenn)

Internet :

Distinctions :

  • Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (promotion janvier 2003).
  • Django d’or collectif pour la création de la Maison du jazz (2001)
  • Django d’or du meilleur orchestre français à l’Orchestre National de Jazz Laurent Cugny (1997)
  • Reminiscing dans les dix meilleurs albums de jazz de l’année par la revue Jazzman (1996)
  • Prix Boris Vian de l’Académie du jazz pour l’album Reminiscing(1996)
  • Prix de l’Académie Charles-Cros pour l’album Santander (1991)
  • Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz (1989)
  • 1er prix au Big band Lumière, prix de composition, Concours National de Jazz de La Défense (1980)
  • Django d’or pour le livre Électrique, Miles Davis 1968-1975 (1994)
  • Prix Charles Delaunay de l’Académie du jazz pour Électrique, Miles Davis 1968-1975 (1993)
  • Prix Charles Delaunay de l’Académie du Jazz pour le livre Las Vegas Tango - Une vie de Gil Evans (1991)

[1L’Analyse de l’œuvre de jazz : spécificités théoriques et méthodologiques. Thèse de doctorat, université de Paris IV-Sorbonne, 2001

[2Rendez-vous notamment les 13 et 14 avril 2007 au Théâtre de la Ville à Paris

[3Les plus célèbres ne programment quasiment plus de jazz !

[4Nota : Il a également été représenté en juillet 1998 à Grenoble et à Paris (La Villette)

[5Instructions données par un auteur dramatique aux acteurs sur la manière d’interpréter leur rôle.

[6Voir à ce sujet : L. Cugny, « Jazz : Improvisation, idiome, écriture », Centre de recherches « Langages musicaux » de Paris IV-Sorbonne

[7que L. Cugny a cofondée en 2000

[8Fédération nationale des grands ensembles de jazz fondée par Jean-Rémy Guédon et Patrice Caratini, « conscients des difficultés croissantes pour faire rayonner les grands ensembles. L’association devient vite un interlocuteur très pertinent auprès des institutions culturelles. » Cf. le site d’Archimusic. Trois jours de concerts prévus en septembre avec Andy Emler / MégaOctet, Jean-Christophe Cholet / Diagonal, P. Bertrand & N. Folmer / Paris Jazz Big Band, D. Mandin / Vintage Orchestra, J. Râteau / Le Grand Râteau, B. Struber Jazztet, A. Darche / Le Gros Cube, Bruno Régnier Xtet, Fred Pallem / Le Sacre du Tympan, J.-R. Guédon / Archimusic, P. Caratini / Caratini Jazz Ensemble, L. Dehors / Tous dehors.