Scènes

Jazz à Vienne 2006 : quelques jours dans la chaude atmosphère du festival

Bonheur et grands moments de jazz…


2006, 26è édition de Jazz à Vienne. Entre chaleur, coupe du monde de football et concerts débutant en début d’après-midi pour s’achever en début de matinée, voici quelques échos des concerts viennois du festival.

Sonny Rollins - Théâtre antique - 29 juin 2006

Sonny Rollins - ts
Clifton Anderson - tb
Bobby Broom - g
Bob Cranshaw - b
Kimati Dinizulu - perc
Victor Lewis - d

Quel personnage fascinant ! Sonny Rollins est ce vieux monsieur de 76 ans entouré de mystère, qu’on dit exigeant, qui, souvent, refuse les interviews ou les photos, passe des heures par jour à jouer, se réserve des moments de méditation quotidiens et qui est, accessoirement, l’un des plus grands saxophonistes de notre époque. Sur la scène du Théâtre Antique de Vienne, devant 8000 personnes, il a montré un personnage assez différent du mythe - un personnage bien connu de ceux qui l’ont vu sur scènes à plusieurs reprises.

Sonny Rollins © P. Audoux/Vues sur Scènes

Claudiquant, il entame dès son arrivée, bec en bouche et sans manières, un thème calypso joyeux, voire goguenard. Il s’approche rapidement de la fosse et se prête au jeu des photos avec une certaine classe. Visiblement content d’être là, il remercie son public à chaque fin de - long - morceau avec un petit sourire en coin, soucieux du résultat.

Loin des longs discours, il privilégie les phrasés efficaces et proches de la mélodie, comme pour ne pas ou ne plus se perdre et, comme à son habitude, embouche son sax en biais du côté gauche. Les deux - longues - parties du concert se déroulent selon une même structure : un thème calypso enlevé et dansant, après quoi le groupe ronronne un peu. La rythmique, composée de Bob Cranshaw et Victor Lewis, est d’ailleurs un peu molle. On notera la qualité du jeu du tromboniste Clifton Anderson à la fois véloce et doux, ainsi que le guitariste Bobby Broom, dont les chorus nombreux et étirés au second set dévoilent un style posé et mesuré.

Clifton Anderson © P. Audoux/Vues sur Scènes

Sonny Rollins se préserve un peu en laissant la part belle à ses musiciens, dont certains n’en profitent pas toujours. En fin de partie, le maître reprend ses armes et déclenche une vallée de notes avec un son toujours dense et puissant et une dimension sonore envoûtante. Le discours transporte ; Rollins a toujours quelque chose d’intéressant à dire, tout du long, encore et toujours. Il va chercher ses musiciens en leur réclamant de l’énergie, danse, bat la mesure…

Le public finit debout pour l’ovation qu’attend S. Rollins. « Époustouflant » dira un admirateur, probablement de 20 ans son cadet. Le saxophoniste finira presque par rapper en présentant ses musiciens et en donnant des recommandations de bienséance au public. Oui, époustouflant et émouvant.

Sonny Rollins © P. Audoux/Vues sur Scènes

Beat Assailant - La Verrière - 29 juin 2006

Adam Turner - lead voc
Yuanist Woods - voc
Janice Leca - voc
Thibault Renard - tp
Bertand Luzignot - tb
Max Pinto - s, fl
Maxime Lebidois - g, talkbox, samples
Nicolas Guegen - kb, Fender Rhodes
Gate Sidibe - b
Stanislas Augris - d, samples

Cette année, la Verrière s’est dotée d’une véritable scène de spectacle électro avec animations vidéos imaginées et projetées lors du concert par les Vjs Lyonnais d’XLR Project, dirigés par Nicolas Ticot, des « warm-ups » assurés par un Dj différent chaque soir et des fonds sonores et visuels entre les sets.

Beat Assailant© P. Audoux/Vues sur Scènes

Beat Assailant est à la fois un concept musical et un leader : Adam Turner, jeune rappeur d’Atlanta. Ce dernier s’est entouré de près de dix musiciens en majorité français (PS1) et développe son projet en France. Son univers reste la chanson funky rap, avec des parties instrumentales basées sur des riffs funky et jazzy avec un soupçon d’électro. Malgré un canevas rythmique serré, les parties improvisations jazz co-existent parfaitement avec les structures funk et rap. Elles sont plutôt réservées à la section de cuivres et restent isolées.

Beat Assailant rappe mais n’improvise pas sur le modèle des rappeurs « freestyle ».
Son rap est politiquement correct. L’agressivité, de rigueur de nos jours, n’est pas la tasse de thé de Adam Turner ; pour lui, être en France et réaliser son projet, c’est un bonheur ! Au final, le résultat est saisissant car la machine est rodée et tourne comme une horloge suisse.

Dès le premier beat, le groupe déchaîne la foule. Sa musique percussive invite à danser, à se déchaîner ; ce que fait le public sans se faire prier. Que ce soit sur les chansons rythmées ou les « ballades » funky, la fraîcheur des compositions et la densité des arrangements montrent à quel point ce jeune chanteur et musicien est créatif. Aussi bien au niveau des rythmes que des mélodies, Beat Assailant fait montre d’humour et de conviction dans un show européano-américain.

Max Pinto © P. Audoux/Vues sur Scènes

René Urtreger Quintet invite Michel Hausser - Club de Minuit - Vendredi 30 juin 2006

René Urtreger - p
Hervé Meschinet - fl, s
Fabien Mary - tp
Michel Hausser - vib
Pierre Mingourd - b
Eric Dervieux - d

Le Club de Minuit est un petit théâtre aménagé en club pour accueillir en quelque sorte la scène « jazz classique » de Vienne. On a donc les conditions du club et la visibilité du théâtre, avec une acoustique inhabituelle mais de qualité. On y profite de la musique différemment et peut-être plus intensément.

Fabien Mary © P. Audoux/Vues sur Scènes

Compagnon de route de Lester Young, puis partenaire de Miles Davis sur la B.O. d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, pianiste de Stan Getz et Dizzy Gillespie, René Urtreger est un grand du jazz. A 72 ans il propose à la tête de ce quintet un jazz bop certes classique mais redoutablement efficace. Il profite habilement d’une équipe à géométrie variable qui se cale en fonction du standard (ou de la composition) à jouer. Et quels standards ! On fait un tour et des détours dans le monde du bop et du mainstream - et c’est rafraîchissant ; décrassage d’oreilles garanti !

Michel Hausser © P. Audoux/Vues sur Scènes

Sur « Tenderly », le groupe devient un quartet avec Fabien Mary, qui nous émeut simplement et un R. Urtreger scintillant sur une montagne de douceur et de… tendresse. Sur « Dizzy’s Bounce », le quintet s’avère très soudé, musical ; la tournerie est solide, efficace. Puis Urtreger s’exprime en solo pour une de ses compositions « For Marina ». Le « quintet + 1 » revient sur scène et Michel Hausser, grand monsieur du jazz âgé de 80 ans, prend ses maillets pour une interprétation touchante et admirable de « Django », de John Lewis, autre joyau du jazz. Toucher de maillet posé, son délicat… point de longs discours chez Michel Hausser, qui fait dans le beau sans fioritures ! Puis le groupe s’attelle à « Opus de funk » d’Horace Silver et « Confirmation » de Charlie Parker où une fois de plus Hausser et Urtreger sont envoûtants et nous entraînent dans leur jubilation communicative.

René Urtreger © P. Audoux/Vues sur Scènes

Théâtre Antique - Soirée Blues - 1er juillet 2006

La soirée Blues de Vienne se divise en trois parties.

Keith B. Brown
Keith B. Brown - voc, g
Cadijo - harm
Bernard Viguié - b, cb

Après son concert au Théâtre Antique, Keith B. Brown joue le soir même au Club de Minuit. Beauté et énergie… voilà qui résume l’impression qu’on en retire, avant le véritable déferlement d’artistes déchaînés au Théâtre Antique ce soir-là.
Originaire de Memphis, Brown est un adepte du blues du Delta. Souvent comparé au légendaire Skip James sur le plan physique, il possède une voix puissante et sensuelle, un jeu de guitare souple et chaud.

Keith B. Brown © P. Audoux/Vues sur Scènes

Sur scène, il envoûte, avec sa gueule d’ange dévorant des yeux tout le public viennois, sourire aux lèvres. Que ce soit dans ses compositions ou dans les traditionnels, on est transporté par sa voix et sa guitare, charmé par ce blues propre et romantique, noir et profond, subjugué par son harmoniciste en transe et touché par le plaisir intense que diffuse ce trio quand il joue ensemble. En quelques morceaux, le public est conquis et vibre pour ce jeune bluesman et sa musique, tous deux fort sympathiques.

Cadijo et Keith B. Brown© P. Audoux/Vues sur Scènes

Music Maker Foundation
Albert White - g, voc
Pura Fé Crescioni - g, voc
Adolphus Bell - g, voc, harm
Beverly Watkins - voc, g
Tim Duffy - g
Eddie Tigner - p, voc
Sol - b
Ardie Bean - d

Ex « Non Profit Music Maker Relief Foundation », Music Maker est une association doublée d’un label qui aide les vieux musiciens de blues que l’on n’écoute plus et qui ont des choses encore à dire. Music Maker produit aussi bien des jeunes musiciens que des moins jeunes. Il s’agit plutôt d’aider ceux qui ont une mémoire du blues et/ou une vitalité blues à projeter. L’ensemble attaque par un jovial pianiste de 80 ans, Eddie Tigner, qui semble un peu se demander ce qu’il fait là. Il paraît en tout cas surpris de l’effet produit. Pourtant, on est ému de voir ce petit monsieur jouer généreusement ses histoires chantées.

Eddie Tigner © P. Audoux/Vues sur Scènes

Originaire de la nation indienne Tuscarora, la folle chanteuse Pura Fé arrive sur scène pour chanter des traditionnels blues indiens. D’après elle, les noirs américains n’ont pas l’apanage du blues, dont la paternité serait à partager avec les Indiens, eux aussi exploités par les Américains blancs. Pour soutenir ces propos, Adolphus « One Man Band » Bell dit d’ailleurs, en conférence de presse : « Les Noirs ont été exploités sur une terre appartenant aux Indiens ».

Pura Fé © P. Audoux/Vues sur Scènes

Sur scène, Pura Fé est à la fois une femme de grande beauté et une artiste engagée. Venue défendre la nation Tuscurora, elle surprend par son apparente timidité et une déconcertante intériorité quand elle chante.

Pura Fé © P. Audoux/Vues sur Scènes

Son interprétation de « Summertime » est purement magique, unique. Autant le groupe joue ce standard avec une conviction blues renversante, autant elle fait monter la pression avec son chant et sa voix rappelant celle de Janis Joplin, en moins excessif et une grande pureté de grain. Puis, guitare à plat sur les genoux et bottleneck en main, elle entonne des traditionnels blues indiens avec un côté légèrement folk/country, très personnel.

Après ce passage remarqué, l’homme-orchestre Adolphus Bell vient chanter un folk-rock-blues qui déchaîne le public. Avec humour et décontraction, il chante le très connu « Money » transformé pour l’occasion en « Euros », grosse caisse au pied, guitare en main et harmonica prêt à l’emploi. Bell est un spectacle à lui tout seul : il esquisse les pas de danse qui le caractérisent, à savoir l’« Alabama Skip » et le « Mississipi Georgian Potatoes » entre autres…

Adolphus Bell © P. Audoux/Vues sur Scènes

Avant que tous ces chanteurs et chanteuses ne se retrouvent sur scène pour le finale de la Music Maker Foundation, le Théâtre Antique accueille la furie septuagénaire Beverly Watkins. Avec sa Stratocaster, cette vieille dame chante le blues en y mêlant une bonne dose d’autodérision - jouant de la guitare derrière sa nuque comme Jimi Hendrix ou agenouillée comme les plus grands guitar heroes.

Music Maker réussit sa soirée grâce à un blues profond (Pura Fé), romantique (Eddie Tigner) ou dirty et déjanté (Adolphus Bell et Beverly Watkins).

Berverly Watkins © P. Audoux/Vues sur Scènes

Real Folk Blues Sessions
Kenny « Blues Boss » Wayne - voc, p
Lurrie Bell - voc, g
Zac Harmon - voc, g
Russel Jackson - b, voc
Willie Hayes - d

Real Folk Blues Sessions© P. Audoux/Vues sur Scènes

Dans un tout autre registre, Jazz à Vienne accueille le groupe Real Folk Blues Sessions. Cette réunion de cinq fortes personnalités du dirty blues électrique, chacun fort de sa carrière, a pour intention de rendre hommage aux légendes du folk blues.

La musique proposée passe du blues électrique, classique mais très efficace, au boogie woogie et au stride les plus déchaînés du pianiste Kenny Wayne. Soutenue par des musiciens de grande qualité et très investis par leur mission, la fait encore une fois courir dans le Théâtre Antique un frisson transpirant et brûlant.

Kenny « Blues Boss » Wayne © P. Audoux/Vues sur Scènes

Electro Deluxe - La Verrière - 1er juillet 2006

Jean François Baud - tp
Thomas Fort - s
Gaël Cadoux - kb
Jérémie Cake - b
Arnaud Rénaville - d

Ramener Electro Deluxe au statut de simple groupe électro serait méconnaître sa musique entre jazz, funk, soul et rap, avec une forte concentration de fusion à la française. Electro Deluxe utilise les technologies électro de manière nuancée pour imprimer un rythme ou une atmosphère ou servir de pont de transition entre des parties instrumentales.

Electro Deluxe © P. Audoux/Vues sur Scènes

Faire de la fusion en utilisant l’électro est devenue chose courante. Chez Electro Deluxe, c’est un peu différent. Le contraste du funk chaud avec les sonorités froides des machines électroniques engendre une sensation de rapidité, d’extrême densité voire d’étouffement raffiné et oppressant dans un décor de l’étrange. Comme si ce n’était pas suffisant, Electro Deluxe ajoute à sa musique instrumentale deux chanteurs : un rappeur dans le mouvance freestyle et scratch vocal, et la chanteuse soul Cynthia Saint-Ville (Zao).

Electro Deluxe © P. Audoux/Vues sur Scènes

Bref, il se passe toujours quelque chose dans ce torrent de rythmes et de sonorités qui procure des sensations fortes et directes, entre transe et choc, que l’on prend pour consommer sur place ou au contraire que l’on fuit.

Avant d’aller écouter Electro Deluxe il est conseillé de prendre son souffle.

Electro Deluxe © P. Audoux/Vues sur Scènes

The Golden Gate Quartet - Théâtre Antique - 02 juillet 2006

Franck Davis - 1er ténor
Clyde Wright - 2nd ténor
Paul Brembly - baryton
Anthony Gordon - basse

Orchestre :
Daniel Pines- p
Joël Rocher - b
Pascal Riou - d

Soirée Gospel à Vienne ce dimanche avec un monument du genre qui n’est autre que le Golden Gate quartet puis, peut-être, un futur monument, féminin celui-là : New Spirit.

Clyde Wright © P. Audoux/Vues sur Scènes

Présents sur la scène jazz depuis 1934, les membres successifs du Golden Gate Quartet sont des modèles du classicisme gospel a cappella. Le répertoire change peu : on a droit à de magnifiques interprétations des classiques du genre, à savoir « Swing Low, Sweet Chariot », « Down By The Riverside », « Oh When The Saints », « Nobody Knows The Trouble I’ve Seen » souvent très émouvants et un très beau « Happy Days ».

The Golden Gate Quartet © P. Audoux/Vues sur Scènes

À la fin des années 70, le groupe a vécu une petite révolution interne en intégrant des instruments à cordes rythmiques ainsi qu’une section rythmique proprement dite (piano / contrebasse / batterie) qui, sans moderniser la musique d’un iota, apporte une « pêche » bienvenue.

Clyde Wright, second ténor et vétéran, anime avec humour et émotion toute la soirée dans un français parfait. (Il faut dire que le groupe a élu domicile à Paris.)
Beaucoup de références à l’esclavage, en particulier lorsque le groupe entonne des Negro Spirituals. Le Golden Gate fait aussi son devoir de mémoire… Le spectacle, totalement réussi, enchante un public touché. Mais Clyde Wright nous apprend alors que le Golden Gate fera sa tournée d’adieu en 2007. Les meilleures choses ont une fin.

The Golden Gate Quartet © P. Audoux/Vues sur Scènes

New Spirit - Théâtre Antique - 2 juillet 2006

2ème partie

Carol Frazier - p, contralto
Nneka Best - soprano
Gabrielle Hurt - soprano
Mélanie Nelson - soprano
Louise Flemming - mezzo
Ciquita Green - mezzo
Joy Anderson - alto
Alicia Robey - d, alto
Deverson Patterson - org

Toujours dans une atmosphère Gospel, les huit femmes de New Spirit débarquent, sourire aux lèvres et expression débonnaire, avec une visible envie de chanter - et une énergie communicative qui contraste avec celle du Golden Gate -, et en encourageant les Bleus pour leur future prestation footballistique.

Carol Frazier © P. Audoux/Vues sur Scènes

Fondé en 1999, ce groupe de Philadelphie dirigé par Carol Frazier (du légendaire Stars of Faith) chante du gospel avec de fortes intonations blues et se commet parfois avec la soul, mais avec quel brio ! New Spirit a cappella, c’est « Joshua Fought the Battle of Jericho », « Amazing Grace » ou « Jacob’s Ladder » - autant de standards interprétés dans le respect de la tradition mais avec une touche de modernité et de jeunesse dans l’interprétation. A aucun moment, ces chanteuses ne tombent dans l’outrance facile ou l’excès de religiosité inhérente à ces chansons et à leur histoire. Sans résister longtemps, le public se lève, danse et chante, tout simplement. Ces huit chanteuses ont vraiment mis le feu au Théâtre Antique.

New Spirit © P. Audoux/Vues sur Scènes

Benny Golson « We Remember Clifford » - Théâtre Antique - 3 juillet 2006

Benny Golson - ts
Randy Brecker - tp
Claus Reichstaller - tp, bugle
Mike LeDonne - p
Reggie Johnson - b
Al Foster - d

2006 est l’année du cinquantenaire de la mort de Clifford Brown, disparu à 25 ans dans un accident de voiture. Beaucoup de musiciens de jazz lui rendent hommage à leur manière. Que ce soit Lou Donaldson - qui déclare être celui qui a amené Clifford à New York en le faisant enregistrer pour la première fois en 1950 -, ou Benny Golson, chacun garde un souvenir ému de ce génie de la trompette au parcours de comète.

Benny Golson © P. Audoux/Vues sur Scènes

Depuis quelques années, Benny Golson se fait rare dans le circuit du jazz, préférant les studios de cinéma, moins fatigants et plus confortables. Pourtant à 77 ans, il tient sur scène une forme surprenante, aussi bien physiquement que musicalement. La mission qu’il compte bien remplir : nous offrir la meilleure musique pour rendre hommage à son ami trompettiste. Pour ce faire il s’est entouré du gotha du be-bop : Randy Brecker à la trompette, Al Foster à la batterie et le pianiste new-yorkais Mike LeDonne.

Malgré son côté All Stars, ce sextet a un exceptionnel son de groupe avec une esthétique contenue, propre et carrée. Cela ne veut pas dire pour autant que l’ensemble ronronne. Bien au contraire, magistral et sans fioritures, Randy Brecker est vibrant dans son interprétation d’« I Remember Clifford », où Golson et Reichstaller ne jouent que le thème.

Randy Brecker © P. Audoux/Vues sur Scènes

Tout en restant sobre, Golson envoie un chorus prolixe sur « Confirmation » de Parker, accompagné par un Mike LeDonne remarquable. Ce dernier est le pianiste be-bop très demandé à New York par le public et les musiciens sur place. Et cela se justifie, à entendre ses chorus inspirés et sa manière d’honorer ses congénères de ce soir en prolongeant le développement de leurs idées et en les magnifiant. On pense entre autres à son chorus sur « Confirmation » où il reprend à son compte la fin d’un flamboyant chorus de Brecker.

Malgré la pluie, sans esbroufe technique et avec une musicalité que l’on ne trouve que chez les plus grands, Benny Golson remercie dignement le public (qui bondit et applaudit) par, en finale son « Blues March » dans une version grandiose.

Ces musiciens aux couleurs propres et aux parcours musicaux distincts, ont pourtant l’art et manière de « s’arc-en-cieler » autour des grands standards qu’ils connaissent si bien.

Benny Golson « We remember Clifford » © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le Site

Dianne Reeves - Théâtre Antique - 3 juillet 2006

Dianne Reeves - voc
Peter Martin - p
Reuben Rogers - cb
Gregory Hutchinson - d

Dianne Reeves n’est pas une simple chanteuse : elle est unique. C’est une véritable musicienne en ceci qu’elle s’exprime par le biais instrumental et qu’elle crée. Non seulement elle compose, mais ses interprétations sont créatives et elle leur insuffle une nouvelle vie grâce à un axe d’écoute différent des autres chanteuses en général : songeons au « Suzanne » de Leonard Cohen et au « My Favourite Things » de Rogers & Hammerstein, morceau qu’elle interprète d’ailleurs ce soir-là à Vienne.

Dianne Reeves et Reuben Rogers © P. Audoux/Vues sur Scènes

Reeves est visiblement en forme et inspirée. Malgré (vers le début) quelques automatismes d’un quartet peut être trop bien rodé, la spontanéité naît sur les improvisations scattées. On y devine des « africanités » qui se retrouvent dans l’accompagnement du puissant Gregory Hutchinson à la batterie. Et là, on reçoit sa dose de plaisir et de frissons. Par sa maîtrise unique du rythme vocal, Reeves chanterait merveilleusement même le bottin, sans qu’on se rende compte de l’inutilité des « paroles »…

Il y a aussi derrière elle un véritable trio jazz. Aucune timidité dans le jeu ou l’expression des musiciens : Dianne Reeves est une véritable instrumentiste avec qui on doit compter sans se contenter de l’accompagner. Ici les trois musiciens ont un large espace d’expression à condition que leurs chorus soient denses et aient un véritable intérêt musical.

Dianne Reeves © P. Audoux/Vues sur Scènes

De ce concert, Dianne Reeves veut laisser une trace - cela a sûrement de l’importance quand on vient tous les dix ans… Alors en vraie show-woman, elle se donne pour un public qui participe et qui chante avec elle ! Rappelant ses premières amours, elle termine par une chanson funky dans l’esthétique Motown, avec basse slappée et Fender Rhodes groovy pour un public qui se déchaîne comme dans un concert rock.

Gregory Hutchinson © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le Site

A’Brass - Le Club de Minuit - 3 juillet 2006

Voici un groupe qui prend le chemin de la musique comme on part à l’aventure.
Armé de gros cuivres et de compositions originales, A’Brass propose un jazz rythmé et puissant, entre funk et envolées free excitantes, avec quelques accents celtiques. Les compositions ; habiles et nuancées ; sont l’œuvre des instrumentistes ; en particulier du prolifique sousaphoniste, également prolixe dans son jeu.

A’Brass © P. Audoux/Vues sur Scènes

La masse sonore est évidemment impressionnante, mais la batterie et le sax soprano offre un contrepoint nécessaire à la musique. La musique est alors très rythmée (par la batterie), mais fluide (grâce au soprano), et ne souffre d’aucune lourdeur inhérente aux instruments. Au final, quelques spectateurs sont allés danser au rythme du sousaphone et du sax baryton sur une musique plutôt étonnante et à l’effet garanti.

A’Brass© P. Audoux/Vues sur Scènes

Max Pinto quintet - Le Club de Minuit - 3 juillet

Au tour de Max Pinto, heureux lauréat du Rezzo Jazz à Vienne 2005 !
Malgré un public parti se coucher ce mardi matin (le concert ayant commencé vers 2 heures), Max Pinto et son groupe se sont donnés en spectacle de la plus belle manière qui soit. Ce saxophoniste est un jeune homme qui vit avec son temps et sa passion, et ne le cache pas. Entre sérieux dans son travail et fun dans la vie, Pinto et son groupe joue un hard-bop fiévreux, personnel, novateur et qui adopte des thèmes actuels tant dans les compositions que dans le langage parlé.

Max Pinto © P. Audoux/Vues sur Scènes

Ainsi, il peut aussi bien rendre hommage à un musicien de jazz qu’à son jeu vidéo préféré sur Playstation™. Ce soir là, il nous a fait penser à Joe Henderson dans les sonorités et à… Max Pinto dans la dynamique musicale ! Un talent indéniable, une tradition respectée (mais qu’il redore) et une énergie rebondissante, c’est là un saxophoniste a découvrir, dont les compositions méritent d’être écoutées sans attendre.

Max Pinto Quartet © P. Audoux/Vues sur Scènes

Il faut signaler que Jazz à Vienne accueille sur la Scène de Cybèle des artistes en devenir venus de toute la France. On aura ainsi apprécié la prestation de Romain Brizemur et son jazz manouche légèrement potache, ainsi que le Hidéhiko Kan quartet et son jazz entre modernisme et tradition aux sonorités percussives et tribales.

Jazz à Vienne 2006 a également accueilli Gilberto Gil, Carley Bley, George Benson, John Zorn & Masada, le Trio Beyond, Wynton Marsalis, Joe Zawinul et Marcus Miller pour ne citer que ceux-là. (Les lecteurs de Citizen Jazz les retrouveront bientôt dans la rubrique « Photoreportages ».)

Outre la programmation, toujours de qualité, saluons Jazz à Vienne pour son éclectisme musical, l’intérêt porté aux artistes en devenir via le Rezzo, et les concerts gratuits sur la scène de Cybèle ainsi qu’au Club de Minuit.