Chronique

Bojan Z

Xenophonia

Bojan Zulfikarpasic (p, Fender, xenophone), Rémi Vignolo (b), Ari Hoenig (d), Ben Perowsky (b), Krassen Lutzkanov (kaval)

Label / Distribution : Label Bleu

Le dernier album de Bojan Z sonne comme le témoignage d’un musicien déraciné qui repousse encore plus dru là où il a mis les pieds (ou les mains), en s’enrichissant d’échanges et de rencontres.

Avec Xenophonia, on est d’abord accueilli par « Ulaz » (Bienvenue en Serbe), qui prépare le terreau d’un disque fertile en idées et en esprit d’ouverture. La première de ces idées, et non des moindres, est d’avoir conçu, à partir d’un vieux Fender Rhodes incomplet, un instrument hybride et unique au son… étrange : le xénophone. Avec lui, Bojan Z développe un langage très personnel, original bien sûr et cependant bel et bien universel.

De langages, il en est abondamment question dans ce disque (et les titres en français, anglais, néerlandais ou serbe en témoignent), puisqu’on y parle le rock (où l’on entend le xénophone sonner comme une guitare électrique sur « Wheels »), le blues (« Xenos Blues »), la pop (avec la reprise extraordinaire et subtile de « Ashes To Ashes » de David Bowie), la tendance free-jazz (sur l’improvisation collective de « Pendant ce temps chez le Général… ») et bien sûr le jazz « traditionnel » - si tant est que la musique de Bojan Z mérite ce qualificatif -, avec « The Mohican And The Great Spirit », titre peu connu d’Horace Silver, qui semble rendre hommage à cette musique aux idées larges.

Comme l’atteste le graphisme expressif et comme toujours soigné de la pochette, Bojan Z ne renie cependant pas ses origines. Il renforce même certains thèmes avec des « Kavals » (flûte des Balkans) sur quelques titres et reprend même son « CD-Rom » (inspiré de ces jeunes Roms vendeurs de CD pirates à Belgrade) de manière plus « sèche », plus « radicale », plus… « urgente ».

Ce disque est un bouillonnement perpétuel.

Par sa dextérité éblouissante au Fender, au piano ou au xenophone, Bojan accomplit untravail sur le son, décuplé, magnifié. Mais son talent ne s’arrête pas là, puisqu’il faut aussi le saluer pour avoir voulu intelligemment créer un son de groupe.

Et quel groupe !

Soulignons les interventions éclatantes d’Ari Hoenig (« Zeven » ou « Biggus D ») ou de Ben Perowsky (« Ulaz » ou « Pendant ce temps… »). Deux batteurs aux tempéraments différents, le premier jouant dans une veine « jazz », au harmonies énergiques, certes, mais de manière plus ronde, plus enveloppante, tandis que le deuxième bat de façon plus « linéaire », un peu plus « rock » en quelque sorte.

La présence de Rémi Vignolo tout au long de l’album est, elle aussi, précieuse. La connivence avec Bojan est évidente, et leurs échanges lumineux enrichissent encore l’architecture des compositions, leur donnent encore plus de corps et de profondeur.

Xenophonia est un disque éblouissant, bourré de contrastes et d’impertinences, gorgé de musiques intelligentes. Un disque jubilatoire et indispensable, qui pose sans doute un nouveau jalon dans le travail de Bojan Z.