Chronique

Pierrick Pedron

Deep In A Dream

Label / Distribution : Nocturne

Vous ne devriez pas rester indifférents au « Deep In A Dream » de Pierrick Pedron, annoncé comme une véritable révélation, même si l’altiste de Saint-Brieuc n’en est pas à son coup d’essai.

Après l’écoute de cet album - enregistré spécialement à New York au « Systems Two » de Brooklyn en novembre 2005 -, on fait silence : un silence admiratif qui suit une écoute attentive, sentimentale, presque amoureuse.

Car, à l’exception de deux compositions de Pierrick Pedron qui s’intègrent à merveille dans la ligne d’ensemble, l’album reprend des standards, ces fameux succès populaires de la variété américaine. Et ceux-ci ont été marqués par l’interprétation de Frank Sinatra, la voix de référence sur quelques titres (dont « Deep in A Dream »), le superbe « Change Partners » ou encore ce « Lover » qui lui succède par l’une des plus belles transitions que l’on puisse imaginer. Après cet enchaînement irréprochable, le morceau, pris sur un tempo vertigineux, nous rappelle que Sinatra avait inséré ce bijou signé Rodgers et Hart dans sa série des « Come Swing With Me », avec des arrangements de Billy May pour un éclatant big band.

Mais Frankie n’aura pas notre préférence cette fois , même s’il distillait ces mots : « Lover, please be tender … I surrender to my heart », ce que toute oreille amoureuse souhaite entendre.
L’alternance des climats étant parfaitement orchestrée, « Lover » est suivi de la plus longue pièce du disque, une ballade qui s’étire sur un tempo voluptueux : « A Nightingale Sang in Berkeley Square ».

Soliste généreux, puissant, soucieux de mélodie et de rythme, Pedron entraîne son alto dans le chant du désir plutôt que dans l’aveu de la plainte, et nous fait partager son plaisir à interpréter ces pièces qui parlent d’attirance et d’abandon.

Qualifié quelque part de « bopper survitaminé » - un adjectif qui ne nous paraît pas des plus justes pour définir sa manière de jouer - à l’esthétique certes musclée - car il sait aussi faire preuve d’un lyrisme délicat. Le saxophoniste a de la fougue et de l’expressivité à revendre, mais il serait inexact de ne voir en lui qu’un représentant, même éclairé, d’un courant qui a fait ses preuves. Ne serait-il pas possible de trouver au contraire une unité dans le jazz, au-delà de la diversité même des styles ?

Cette musique avance sans nostalgie aucune, et certains musiciens, fidèlement, entretiennent l’héritage, le patrimoine collectif, sans figer pour autant l’évocation du passé.

Pierrick Pedron a su se choisir de véritables partenaires, qu’il a engagés dans cette aventure en un dialogue complice : des échanges longs, intensément tumultueux, mais aussi tendres avec Mulgrew Miller, formidable pianiste, et le batteur confirmé qu’est Lewis Nash. Une fois le répertoire choisi et les arrangements mis au point, avec le concours du saxophoniste Rick Margitza et du pianiste Laurent Courthailac, Pedron a traversé l’Atlantique pour rejoindre Thomas Bramerie, contrebassiste français installé à New York. Ce fut une belle rencontre avec de vrais accompagnateurs, des sidemen prestigieux qui ont accepté de le suivre en donnant le meilleur d’eux-mêmes.

Ce quartet maîtrise l’art de donner le frisson : beauté du son, thèmes inoubliables, délicatesse des mélodies, arrangements superbes. Quant au swing qui se dégage de cette musique, il est de nature à réconcilier les anciens et les modernes…