Chronique

Antoine Hervé

Road Movie

Antoine Hervé (p, direction), Michel Portal (ss, cl-b), Stéphane Guillaume (ss, as, fl), Markus Stockhausen (tp), François Moutin (b), Arnaud Franck (perc), Daniel Ciampolini (perc), Ari Hoenig (dm), Jean-Louis Le Vallégant (bombarde), Hubert Raud (cornemuse), Quatuor Kocian

Label / Distribution : Nocturne

« Cet album est conçu comme un »best of« des principales créations que j’ai pu réaliser ces dix dernières années, suite à mon passage à l’Orchestre national de Jazz. Un travail de réécriture, de transcription et d’adaptation a été nécessaire pour ce nouveau groupe, composé de musiciens qui partagent mon parcours artistique depuis bien longtemps déjà. »

Permettons-nous de contredire Antoine Hervé sur un point : Road Movie n’est pas un simple « best of ». C’est une création originale, une oeuvre majeure de ce pianiste/compositeur, autant à l’aise dans le jazz, le classique [1] que sa synthèse personnelle des deux. Après le bijou quasi solitaire Inside en 2003, cette fausse compilation permet cette fois de retrouver les fidèles François Moutin, Markus Stockhausen et Arnaud Franck accompagnés du virevoltant Stéphane Guillaume et de Michel Portal, présent sur deux morceaux - dont le final hip-hop réjouissant de « Road to Northsea » (partie 3). Une mention spéciale doit être accordée à Ari Hoenig, véritable phénomène de la batterie, aussi à l’aise dans les rythmes binaires que sur les chabadas endiablés.

Il serait vain de tenter une analyse musicale détaillée ; Antoine Hervé le fait de façon remarquable dans le livret, objet pédagogique précieux qu’il faut absolument consulter avant, pendant et/ou après l’écoute. Comme dans son texte, la musique combine habilement rigueur, précision et cette propension naturelle à la rêverie, à l’association d’idées. Au fond, on retrouve beaucoup de similitudes formelles avec la musique de son camarade de conservatoire Andy Emler. Deux musiciens qu’on associe souvent à tort à une prétendue conception très « hexagonale » du jazz, sponsorisée par l’aspirine.

La musique d’Antoine Hervé n’est certes pas toujours « facile » ; plus exactement, est elle souvent très riche, très élaborée - un aspect renforcé par les arrangements pour quatuor à cordes. Cela n’empêche pas d’identifier à chaque fois un fil conducteur solide. De plus, Road Movie donne à voir du pays, des contrées musicales variées et une multitude d’états d’esprits. On peut y croiser des ambiances mystérieuses, voire inquiétantes, lorsque la trompette de Stockhausen se mêle aux cordes du Quatuor Kocian sur « Blues for Markus » et « Road to Northsea (part 1) ». On retrouvera presque une ancienne turbulence [2] lorsque Portal fait rugir sa clarinette basse sur « Rue des Lombards ». Un détour par la musique celtique semble amusant et insolite sur le moment, mais permet à Antoine Hervé de livrer les deux authentiques chefs-d’oeuvre que sont « Celtic Variations » et « Démons Tarés » ; cornemuse et bombarde n’y sont jamais décoratives- elles illuminent des thèmes déjà galvanisants en eux-mêmes.

Pour clore cet album luxuriant, signalons sans la dévoiler une petite surprise d’un Antoine Hervé espiègle, qui n’a jamais aussi bien combiné sagesse, légèreté et humour que sur ce Road Movie à la hauteur d’un couloir aérien…

par Julien Lefèvre // Publié le 29 janvier 2007

[1Voir son interprétation de la sonate pour deux pianos et percussions de Bartk avec la formation Opus 4 où figure sa femme Véronique Wilmart.

[2En référence à l’album du même nom de Michel Portal, sorti en 1986.