Chronique

Emile Parisien Quartet

Au revoir porc-épic

Emile Parisien (saxes), Julien Touery (p), Ivan Gélugne (b), Sylvain Darrifourcq (dm)

Label / Distribution : Laborie Jazz

Emile Parisien joue franc jeu et annonce joyeusement la couleur : un ton résolument décalé, ludique mais pointu. Le sémillant quartet cligne de l’œil en direction de Mingus et lorgne sur Ornette Coleman ou Coltrane : les mélodies se transforment de-ci, de-là en lignes sinon free du moins chaotiques - en témoigne l’antinomique « L’amante religieuse », à la construction pyramidale. A partir d’une introduction orientale où Parisien démarre seul, chaque musicien fait son entrée, de manière décalée, sur la pointe des pieds : la contrebasse, sombre, à l’archet, précède la batterie, puis un piano souvent en arpèges plus qu’en accord. Le morceau palpite jusqu’à se clore sur une sortie successive des instruments.

Le décalage, chez l’EPQ, se manifeste certes dans les mélodies, mais aussi, de manière humoristique, dans le choix des titres. Ils sont en marge de tout le « sérieux » qui accompagne (malheureusement) le jazz de nos jours. Pour gagner en légitimité, ce dernier perd parfois du recul par rapport à lui-même et oublie que la musique est avant tout un jeu. Il n’en est rien sur cet album qui, disons-le tout de suite, est une réussite. Faire référence à Homer Simpson (« Pitèt’ le fil rouge »), nommer un ambitieux morceau « Le clown tueur de la fête foraine », constituent autant de gestes ludiques et plaisamment légers. Dans ce morceau qui ne manque pas d’air, Emile Parisien et ses acolytes développent une véritable histoire sans paroles : le discours est « hérissé » et frénétiquement mené par le saxophone. Le titre se divise en différents épisodes laissant l’imagination divaguer. La batterie « rocke », le piano s’entête, la contrebasse se tend. « Le clown tueur… » (comme son titre l’indique), inquiète, sans pour autant tomber dans le ridicule ni dans une ambition démesurée : l’EPQ ne cherche ni à faire rire, ni à faire penser, mais seulement à jouer. Sa musique n’est pas construite selon le traditionnel (mais rigide) schéma thème/solo : il y a une seule « voix », le saxophone, et les parties s’enchaînent vivement pour lui laisser reprendre son souffle. Sans ostentation ni démonstration, les mélodies (se) défilent, se nouent et se dénouent avec souplesse.

Si l’EPQ propose une musique narrative, il emprunte au « cinéma » son étymologie, le mouvement. « Eskal », par exemple, n’a rien de répétitif, comme un rythme qui se transformerait en transe ou en obsession. Au contraire c’est une musique mélodique (et non mélodieuse, même si elle l’est à certains moments) : le saxophone mène souvent la narration. Pourtant, le piano (instrument plutôt harmonique) est essentiel, très présent, au point d’être mixé au même niveau que le sax. Sur son morceau solo (« Pteroïs Volitan »), Julien Touery réunit tout naturellement Stravinsky et Schönberg. L’instrument, quand « Hysm » s’apaise, rappelle les musiques de films ou les ambiances nostalgiques dont Mc Coy Tyner avait le secret lorsqu’il accompagnait Coltrane.

On ne s’ennuie que très rarement avec Au revoir porc-épic - si ce n’est sur quelques improvisations d’un « Eskal » très coltranien, dont les dernières trois minutes n’apportent pas grand-chose. Le titre lui-même peut faire penser à un titre de film : il s’agirait de trouver ce mystérieux porc-épic. Animal qu’on reconnaît au détour du titre qui donne son nom à l’album : l’animal s’échappe, vif, et dit au revoir au Coyote, tel le Bip Bip du dessin animé. Tout comme sur le morceau hommage à Homer Simpson, le dessin animé constitue « peut-être le fil rouge » de l’opus : unissons, rythmes folkloriques se succèdent dans un morceau très court où les ambiances les plus expérimentales s’enchaînent très vite. Au revoir porc-épic passe par toutes les couleurs, et nous révèle de drôles d’oiseaux. Le jeu de mot serait facile si on disait qu’il ne manque pas de piquant.

L’EPQ est en tout cas adepte des montagnes russes (fête foraine, poupées russes). « Hysm », morceau tout en crescendo et même tout en Crescent, est à l’image de l’album. Entre émotion et expérimentation, il a trouvé une recette juste et stimulante basée sur une alternance entre passages calmes et « énervés », entre polyphonies rythmiques et une « voix » indentifiable. C’est surtout le cas sur la première partie de l’album (notamment « Poupée russe » en introduction) : elle recèle les titres les plus réussis, ambitieux et singuliers. La seconde partie du disque, plus improvisée, si elle est moins originale, développe une énergie plus « classique ». Broutilles qui n’empêcheront pas l’EPQ de ravir les oreilles des admirateurs de Coltrane.