Chronique

Jef Neve Trio

Nobody Is Illegal

Jef Neve (p), Piet Verbist (b), Teun Verbruggen (dm), Hans Herhulst (cor), Simon Haspeslag (cor), Frederik Heirman(tb), Pieter Kindt (tb), Berlinde Dema (tu), Nicolas Kummert (st)

Label / Distribution : Universal

Difficile d’éviter la comparaison avec Brad Mehldau, aussi évacuons d’emblée la question : c’est entendu, on relève bien une certaine influence de Mehldau dans le jeu de Jef Neve.

Pourtant le pianiste belge semble surtout avoir forgé son propre style sur de solides fondations classiques (n’a-t-il pas a repris, dernièrement, les Variations Goldberg ?. Mais Neve, c’est aussi l’énergie, la fougue et l’explosion.
Nobody Is Illegal rassemble tous ces ingrédients au long d’un album assez dense.

Un morceau exceptionnel pourrait à lui seul résumer son univers : « Nothing But A Casablanca Turtle Sideshow Dinner ». Tour à tour flamboyant, nerveux, sentimental, délirant ou joyeux, le thème s’échafaude de manière vertigineuse. Les idées s’enchaînent avec une maîtrise éblouissante. À partir de quelques accords classiques, presque enfantins, le thème dévie rapidement pour aboutir à une spirale infernale aux rythmes fluctuants…

On se croirait dans une histoire de Lewis Carroll. Plus rien n’est réel, tout est permis. Les changements de rythme, d’ambiance et de tempo jalonnent ces 8’30 qui valent à elles seules l’achat de l’album. Le trio joue sur les tensions, les accélérations, les ralentissements, les apnées… et nous embarque sur de véritables montagnes russes. Le leader montre son savoir faire d’arrangeur en faisant intervenir intelligemment une section de cuivres efficace qui ajoute à l’emphase de la composition.

On retrouve cette même patte sur le titre éponyme de l’album, ainsi que sur « Together At Last » inspiré de « Alone Toghether ». Mais au-delà de ces performances, c’est surtout la cohérence du trio qu’il faut souligner. L’entente entre le contrebassiste, le batteur et le pianiste est indéniable. Et c’est cette connivence qui fait la personnalité et le « son » du groupe. Teun Verbreugen répond avec vigueur et justesse aux délires pianistiques les plus fous de Neve. Son jeu est incisif, sec et précis, et s’adapte avec verve tant aux ballades qu’aux tempos énervés. Quant à Piet Verbiest, il est le pilier solide sur lequel chacun peut s’appuyer, pour mieux s’évader, improviser et se retrouver. Le contrebassiste démontre d’ailleurs, le temps de quelques solos, un jeu tout en nuances et profondeur.

Ceux qui connaissent les deux précédents albums du trio ne seront pas surpris de retrouver un Neve plus romantique que jamais sur la ballade désabusée « Abscheid » ou celle, plus convenue, baptisée « Second Love ». On pourrait d’ailleurs reprocher à cet album quelques redites. Mais il faut peut-être le considérer comme le résumé ou le témoignage de longues années de travail en commun.

C’est sans doute pourquoi le pianiste s’amuse à brouiller les pistes (ou à en préparer de nouvelles ?) en semant çà et là quelques extravagances expérimentales avec l’appui du saxophoniste Nicolas Kummert. On entrevoit alors des univers étranges et abstraits, faits de dissonances et de grooves électroniques (« Astra »). Puis il propose des ambiances plus brumeuses (« Goldfish »), voire énigmatiques (« Delayed »), comme autant de respirations qui voudraient briser un certain confort ou un semblant de déjà vu.

Ceux qui découvriront Jef Neve avec ce disque ne pourront qu’être conquis par tant de virtuosité et d’énergie. Les autres seront sans doute titillés par l’envie de savoir ce que le trio va leur mijoter ensuite…