Portrait

BMC Records, un label venu de Hongrie


Budapest Music Center fait désormais entièrement partie du paysage musical, avec une personnalité bien affirmée tant dans le choix des artistes que dans la charte graphique des pochettes de disques. Entretien avec György Wallner, responsable des relations avec les artistes, de la distribution et de la promotion.

La BMC Jazz Night s’est (18 janvier au New Morning à Paris) et fut une excellente occasion pour rencontrer György Wallner, responsable chez BMC des relations avec les artistes, de la promotion et de la distribution.

Un peu d’histoire…

BMC a été créé par László Göz, l’actuel directeur général. A la base, Göz est musicien - il joue du trombone ; il a créé le label en 1996. Il n’y avait pratiquement plus de label en Hongrie. Après les changements politiques des années 90, quand l’ancien régime a été renversé par le nouveau, la plupart des vieux labels ont disparu. Pendant des années, il n’y avait presque plus rien pour le jazz et la musique contemporaine. Juste Hungaroton qui avait aussi un label de jazz, mais sans jamais être vraiment capable d’enregistrer beaucoup de musiques réellement intéressantes.

Au départ, BMC n’avait pas été créé pour devenir un label, mais plutôt un centre d’information et une base de données sur internet, qui existe d’ailleurs encore et continue de se développer. En effet, en dehors du label, BMC a beaucoup d’autres activités : nous organisons des concerts, des festivals de musique contemporaine, le Budapest Jazz Festival - qui aura cinq ans cette année -, nous avons également une bibliothèque très importante avec des livres sur la musiques, des partitions et de la musique… En fait l’idée derrière BMC, c’est de promouvoir la musique hongroise dans le monde. Donc nous essayons évidemment de promouvoir dans le monde ce qui existe aujourd’hui sur la scène du jazz et de la musique classique en Hongrie.

György Wallner © H. Collon/Vues sur Scènes

Mais BMC Records n’est pas dédié uniquement au jazz : le label regroupe une grande variété de musiques, notamment classique. Soit contemporaine (je pense à Péter Eötvös, György Ligeti et d’autres compositeurs hongrois), soit « traditionnelle » (Bartók, Liszt, mais pas uniquement des Hongrois, puisque nous avons aussi enregistré du Schubert, entre autres. »

Côté musique…

« Aujourd’hui BMC n’a pas de studio d’enregistrement, mais nous avons un gros projet en cours : construire le Music Forum. C’est un vieil édifice qui va être partiellement démoli, puis rénové. Nous sommes actuellement dans la phase de démolition et devrions commencer la rénovation le mois prochain. D’après nos plans, le Music Forum sera prêt d’ici la fin de l’année ou début 2008.

Ce sera notre nouvelle « maison », où nous aurons un studio d’enregistrement, un club de jazz, une salle de concert, mais aussi des chambres pour les artistes. Ce sera donc bien plus facile pour le label. En attendant, nous enregistrons dans différents studios car il y en a beaucoup à Budapest. Mais également en live avec nos équipes d’ingénieurs du son, en particulier pour le classique. De toute manière, ce n’est pas parce que nous aurons un studio que nous y enregistrerons tous nos disques, car certaines musiques - contemporaines, par exemple - doivent être enregistrées en concert.

La promotion d’un disque, c’est ce qu’il y a de plus difficile ! D’abord il faut s’assurer que le disque est disponible dans les points de vente, sur le marché. Ensuite nous nous efforçons d’avoir autant de chroniques de disques dans la presse et autres médias. C’est pour cela que nous essayons d’avoir un maximum de contacts avec les journalistes. Bien sûr nous commentons et faisons aussi de la publicité sur notre propre site. Les concerts sont un autre moyen de promotion. BMC en organise souvent en Hongrie, mais c’est évidemment plus compliqué à l’étranger. En fait, la BMC Jazz Night au New Morning est le premier concert que BMC organise à l’étranger.

Il nous a semblé naturel d’organiser un concert à Paris puisque la France est notre principal marché dans le domaine du jazz. On a donc décidé de financer ce concert. Et pour une petite société comme la nôtre, c’est un investissement lourd qui ne s’équilibrera pas. Mais c’est très important pour BMC. C’est pourquoi nous avons demandé à Wanbliprod d’organiser l’événement. Nous souhaiterions monter de tels concerts environ deux fois par an, mais nous ne sommes pas sûrs d’y arriver, financièrement parlant.

C’était également logique de commencer avec le groupe de Gábor Gadó et Gábor Winand car ils passent bien en France : en 2002 l’album de Winand a eu un Choc de l’année décerné par Jazzman et Gadó a reçu le prix Bobby Jaspar il y a deux ans. Quant au trio qui a joué en première partie, il est connu en Hongrie et s’appuie sur un contrebassiste français : Sébastien Boisseau.

Gabor Gado © H. Collon/Vues sur Scènes

Nous pourrions essayer d’aller dans des festivals, mais ce n’est pas simple depuis la Hongrie. En revanche, BMC organise le Budapest Jazz Festival depuis cinq ans ainsi que des concerts isolés. Mais comme nous n’avons pas de salle de concert, BMC est un peu limité pour l’instant. Ce sera beaucoup plus simple quand le Music Forum sera terminé. Malheureusement, l’un des problèmes principaux à Budapest, c’est l’absence de clubs de jazz dignes de ce nom. Il y a juste quelques restaurants où l’on peut écouter du jazz, mais pas de club régulier comme le New Morning, le Bimhuis à Amsterdam ou Ronnie Scott’s à Londres… Il y a bien des gens qui ont essayé de monter des clubs, mais ils n’ont pas pu tenir. Nous allons tenter notre chance également et j’espère que ça marchera !

En Hongrie, BMC assure lui-même sa distribution parce que nous avons eu de mauvaises expériences avec les distributeurs. Ils ne sont pas aussi bien organisés que dans d’autres pays. Seul Universal l’est, mais ils n’étaient pas tellement intéressés par BMC. Donc nous avons décidé d’assurer notre propre distribution nationale en vendant directement aux disquaires. Il n’en va pas de même à l’international. BMC est distribué dans beaucoup de pays du monde : en France par Abeille Musique, en Allemagne et dans la plupart des autres pays d’Europe du sud. En dehors de la Pologne, nous ne sommes pas encore présents en Europe de l’Est, mais nous cherchons à nous y développer. Dans le reste du monde, BMC est distribué au Canada, aux Etats-Unis, au Japon et en Corée.

Gabor Winand © H. Collon/Vues sur Scènes

En ce qui concerne le jazz, le marché principal reste la France. Nous vendons bien plus de disques de jazz en France qu’en Hongrie. Mais en ce moment les ventes décollent en Allemagne et aux Etats-Unis. Les ventes de disques de BMC représentent environ 100 000 euros, dont la moitié pour le jazz. Cependant, en 2006 nous avons connu une légère baisse des ventes. Nous essayons de développer les ventes par téléchargement. Par exemple, nous avons lancé récemment le téléchargement payant avec Abeille Musique, mais également en Hongrie. »

Côté graphisme…

« Comme je l’ai dit, BMC a vu le jour en 1996, mais le premier enregistrement date de 1998. La pochette du premier album ressemblait un peu à celles d’ECM. Mais trois ans plus tard, il nous est apparu évident que BMC devait avoir sa propre charte graphique. Nous avons donc opéré un changement radical dans le style et les couleurs des pochettes. Nous ne voulions plus ressembler à ECM, même si, au départ, c’était plutôt flatteur. BMC sort environ douze à quinze albums par an. C’est-à-dire un album par mois tous styles confondus. BMC peut être fier de sortir des albums, mais encore faut-il les vendre ! C’est pour ça que nous nous devions d’avoir notre propre identité graphique.

Nous avions des contacts avec un architecte hongrois fantastique : Gábor Bachman, et sa femme, Meral Yasar. Ils n’étaient pas habitués à faire ce genre de travail, mais aimaient ce que faisait BMC et ont été convaincus par notre enthousiasme. Bachman nous a proposé une identité graphique propre. Depuis, nous travaillons ensemble. Même s’il n’a rien construit en Hongrie, Bachman travaille en Chine, en Amérique du Sud… C’est l’un des plus grands architectes au monde. Nous étions donc très fiers qu’il fasse ça pour nous, même s’il n’est pas designer, contrairement à sa femme. Il écoute et essaie de comprendre ce qu’ont voulu exprimer les musiciens. Il essaie de visualiser les idées, et ce qui est important aux yeux des musiciens. Ensuite, il crée la pochette sans proposer de choix. D’ailleurs il est arrivé que nous ne sortions pas un album parce que le musicien n’avait pas aimé pas la pochette, et que Bachman ne voulait pas en démordre. C’est un des artistes les plus importants avec qui BMC travaille…

Nous portons également une grande attention à la qualité des notes de pochette. Nous employons différentes méthodrs parce qu’il est parfois difficile de trouver la bonne personne. Par exemple pour un disque de Stockhausen nous savions qu’il y avait un spécialiste en Australie qui serait le mieux placé. Je l’ai contacté par courriel, nous avons signé un accord et il a écrit les notes de la pochette. Parfois, elles sont de l’artiste lui-même, ou de journalistes, comme Franck Bergerot, par exemple. Il arrive aussi que des disques n’aient pas besoin de texte, mais plutôt de photos. Cela dit, même si la forme des notes change d’un album à l’autre, nous gardons la même présentation graphique.

Évidemment, BMC engage de nombreux artistes hongrois. Cependant nous avons huit ou neuf groupes clé comme Gadó, Mihály Dresch, Winand, Grupa Palotaï... Nous essayons de trouver de nouveaux artistes, mais nous ne voulons pas non plus enregistrer tout le monde - seulement les artistes dont la musique, selon nos critères, peut être intéressante pour le monde entier. Pas facile de choisir ! Heureusement, notre directeur général est musicien ;il joue aussi bien de la musique classique que du jazz. Ça le rend perspicace. Tamás Bognár, responsable de la production chez BMC, et moi, nous faisons des propositions et László prend la décision finale.

Par ailleurs nous demandons l’opinion d’acteurs clé du monde du jazz, comme Franck Bergerot en France. Et nous ne nous limitons pas aux seuls artistes hongrois ; nous enregistrons aussi des étrangers. Nous gardons toujours une oreille ouverte pour les rencontres musicales. Grâce à Gábor, qui est installé à Paris, nous avons tissé des liens avec des musiciens français tels que Christophe Monniot, Sébastien Boisseau et quelques autres dont certains qui ont joué lors de la BMC Jazz Night - Matthieu Donarier (ts, cl), Airelle Besson (tp), Muriel Gastebois (vib).

Par ailleurs, nous allons très fréquemment dans les festivals afin de dénicher de nouveaux talents. C’est ainsi que j’ai été impressionné il y a quelques années par La Campagnie des musiques à Ouïr. A mon retour en Hongrie, j’ai fait part à mes collègues de l’idée de faire un enregistrement avec eux et c’est de là que vient l’album La manivelle magyare. Nous avons aussi enregistré le deuxième Monio Mania de Christophe Monniot, avec des musiciens français et hongrois.

En fin de compte, BMC propose un large éventail de musiques : de l’ethno-jazz, de l’improvisation totale, du jazz sophistiqué, du jazz contemporain - à l’image de la musique de Gadó ou l’album Unit - ou des enregistrements atypiques comme Grupa Palotaï et Monio Mania. Finalement ce que je voudrais dire, c’est que BMC essaie de faire écouter la musique qui se joue maintenant, une musique que nous vivons aujourd’hui, et non celle d’hier ou d’avant-hier… »

(Propos recueillis et traduits de l’anglais par Bob Hatteau)