Chronique

Louis Sclavis

L’imparfait des langues

Louis Sclavis (cl, bcl, ss), Marc Baron (as), Maxime Delpierre (g), François Merville (dm), Paul Brousseau (g, electronics, keyboards)

Label / Distribution : ECM

Le jazz est une langue vivante. C’est sans doute ce que Louis Sclavis tend à démontrer dans son nouvel opus : « L’imparfait des langues ».

En fait de « nouveauté », il s’agit ici de la résultante d’une commande passée lors du « Festival du Printemps des Arts » à Monaco en 2005… concert qui fut finalement annulé suite au décès du Prince Rainier, la veille de la représentation. Comme pour garder une trace de cette étude conçue en moins de quinze jours, Sclavis décide, dans la foulée, de la graver sur disque.
Quelle bonne idée.

Voici donc notre saxophoniste entouré de jeunes musiciens français au vocabulaire parfois assez différent du sien, mais prêts au dialogue. Sur un discours propre à Sclavis, et assez familier si l’on connaît l’œuvre du Lyonnais, l’altiste Marc Baron est le premier à ouvrir le débat et à prendre rapidement quelques distances. Il enfreint les règles et brouille les pistes avec bonheur. Il entraîne avec lui le guitariste Maxime Delpierre, qui n’hésite pas à déchirer, façon « rock », une conversation déjà bien animée (« L’idée du dialecte »).

Entrecoupé de courts instants, exposés comme un alphabet de sons à utiliser (« Premier imparfait A », « Premier imparfait B » ou « Deuxième imparfait »), le disque se conjugue sur tous les modes et tous les rythmes. L’exercice va bien au-delà de simples variations sur des thèmes et des idées. La maîtrise et la virtuosité des acteurs est au service du questionnements et de la recherche sur le langage. Toutes les idées sont bonnes à prendre, à malaxer, à triturer, à construire et reconstruire. Chacun s’écoute, se parle, propose, avance. Sclavis et ses acolytes tentent ainsi de rassembler plusieurs mondes, plusieurs univers.

Au chant de Muezzin (« Annonce ») imité au travers du sax de Sclavis, répond « Convocation », qui sonne comme le carillon d’une église électrifié par les riffs de la guitare de Delpierre. Ailleurs, Sclavis et Baron soulignent, à leur manière respective, la richesse des différences dans un exercice sur les intervalles (« L’esprit sacrifié »). Plus loin, « Palabre », en écho à « Dialogue With A Dream » laisse s’exprimer franchement François Merville aux percussions. De l’Afrique, on bascule vers un esprit rock prononcé pour emprunter ensuite les méandres tout en polyrythmies d’une musique contemporaine.

Dans cette Tour de Babel free, funk, rock ou swing, qui rassemble tout autant qu’elle marque les différences, Sclavis n’en oublie pas les touches électro amenées par Paul Brousseau, qui intervient davantage pour souligner que pour envahir ou étouffer un propos déjà riche. Finalement, le morceau-titre se pose plus en points de suspension qu’en résolution, comme pour rappeler une dernière fois qu’il reste beaucoup de vocabulaires à découvrir, appréhender et intégrer afin de préciser et embellir les langages. Tout n’est donc pas dit. Affaire à suivre…