Scènes

Les nuits et les jours de Querbes, 10ème édition

Un hameau accroché au bord d’un plateau calcaire, en Aveyron, tout près du Lot. Vingt maisons tout au plus, et un festival.


Une grange. La charpente un peu vermoulue, le plancher grossier, et un piano au fond.
Une étable où sont lus les textes d’une poétesse turque menacée, Asli Erdogan.
Le vol silencieux des chauves-souris entre les poutres.
Un rafiot maquillé en steam-boat par des artificiers basques (!) où douze passagers sirotent du champagne en remontant le Nil - ou peut-être était-ce le Lot - entre Capdenac et Capdenac, au son d’une fanfare jazzy (mais où ont-ils caché les pyramides ?)
Une cour de maison où des gens venus de partout et d’ailleurs mangent ensemble des grillades et boivent - pour certains - du vin de Marcillac.
Des étoiles plein le ciel, proches presque à vous toucher, et un astrophysicien pour vous apprendre à les lire en Braille.
Un hameau accroché au bord d’un plateau calcaire, en Aveyron, tout près du Lot. Vingt maisons tout au plus, et un festival.

Querbes.

Trois jours par ans, au mois d’août, s’y déroule depuis dix ans le plus improbable rassemblement d’écrivains, de musiciens et de comédiens qui se puisse imaginer. Pour ceux qui seraient tentés de dauber la « scène aveyronnaise », quelques noms en vrac parmi les programmes des dix années écoulées : Mimi Lorenzini, Ann Ballester, Jean-Luc Debattice, Bruno Tocanne, Jean Marie Machado, Lionel Martin, Claudia Solal, Didier Labbé, Olivier Calmel, Tao Ravao, Justin Vali, Catherine Delaunay, Bojan Z… Ça vous en bouche un coin, non ?…

Cette année, sur le thème « Ce qui se lève à l’Orient » (d’où la remontée du Nil évoquée plus haut), Querbes était le seul endroit au monde où pouvaient se rencontrer et débattre des écrivains israéliens (Alona Kimhi, Shlomo Sand) et libanais (Hoda Barakat), des musiciens palestiniens, français, syriens et algériens.

Le public ? Des fidèles et des nouveaux. Des gens du coin et des touristes. Ceux qui ont vu l’affiche dans le village d’à côté. Ceux qui sont venus exprès, cette année, après être tombés là par hasard un jour, l’an dernier, il y a cinq ans. Fonctionnaires, amoureux, épiciers, professeurs, paysans, écrivains, cadres en chômage, photographes célèbres, cheminots, députés suppléants… Des vieux, des jeunes, des mûrs, des gosses. Pas des milliers : quelques centaines. L’endroit n’est pas assez grand pour accueillir plus de monde, et c’est tant mieux. Querbes restera Querbes.

Itinéraire subjectif et exclusivement musical à travers deux des trois « Nuits et Jours » de cet an de grâce 2007 :

Marwan Abado et Peter Rosmanith : un duo entre jazz et musique orientale. Sans démarquer qui que ce soit, Marwan Abado joue du oud et chante avec une charmante désinvolture et un humour subtil qui s’amusent à faire oublier son extrême maîtrise technique, tant de l’instrument que de la voix. Peter Rosmanith (bendir, cymbales, agôgo, cajon, steel drum et une dizaine d’autres instruments de percussion) fait preuve d’une exactitude rythmique et d’un sens de la dramaturgie sonore que l’on aimerait rencontrer plus souvent.

Le duo Dachti : Iyad Haimour, multi-instrumentiste irakien (oud, nây, qanoun) et Ismaïl Mesbahi, percussionniste (bendir, târ, derbouka) en acoustique dans l’étable pavoisée de dessins croqués sur les précédents festivals de Querbes et de ses environs (Figeac, Assier…). Un délicieux moment mêlant musique savante ottomane et morceaux plus frivoles liés à la danse orientale. Un peu pédagogique, car les deux messieurs sont enseignants… personne n’est parfait !

Le trio Sibiel, à Figeac et à Querbes : jazz européen d’inspiration slave sans être slavisant, tzigane sans caricature, teinté de sonorités arabes, africaines et occidentales, ce trio à cordes à l’instrumentation inhabituelle (violoncelle, contrebasse, guitare ou oud) et au son remarquable, à la fois plein et léger, fait merveille en acoustique. Les compositions, savantes, ne sont pas « savantasses » et portent l’émotion comme la nuée porte l’orage. Des moments d’une grande beauté devant l’étable de Querbes !

Olivier Calmel Quartet : une longue introduction pianistique mêlant les thèmes du concert à la musique de Debussy a servi de prélude à un voyage à travers une musique évocatrice de paysages mentaux ou réels. Nullement contemplatives, les compositions d’Olivier Calmel doivent autant aux compositeurs modernes français (Debussy en tête) qu’à McCoy Tyner, Cedar Walton ou Herbie Hancock… mais avant tout, à Olivier Calmel soi-même ! Il a le goût des métriques composées, des harmonies pleines et complexes sans maniérisme, des ruptures rythmiques, du jeu sur les timbres et les couleurs sonores (un alto dans un quartet de jazz… - un violon alto, pas un sax). Le jeu sobre de Frédéric Eymard à l’alto, en contraste avec un pianiste parfois lyrique, ses dialogues avec la contrebasse de Bruno Schorp qui sonnent souvent comme… un trio à cordes (!), sont l’une des belles surprises de ce quartet. Karl Jannuska à la batterie est un soutien sans faille ; l’ensemble produit une musique remarquable par la cohérence esthétique sans jamais recourir aux gimmicks ni à l’auto-citation.

Le boeuf final avec Iyad Haimour et Ismaïl Mesbahi (le duo Dachti, cité plus haut), d’abord émouvant par les efforts de communication entre deux univers musicaux lointains, s’est avéré franchement exaltant dans le dernier morceau, une mélodie chantée à 17 temps sur un poème en arabe littéral.

L’an prochain ? On s’y retrouve bien volontiers.