Chronique

Manuel Hermia

Rajazz

Label / Distribution : Cristal Records

Une musique racée, subtile et spirituelle. De quoi satisfaire les amateurs d’un jazz que l’on pourrait qualifier de « classique » aujourd’hui, tout empreint de la spiritualité de John Coltrane disparu, faut-il le rappeler, en juillet 67.

C’est ce que l’on ressent d’un bout à l’autre de l’album, dès le premier titre « I’m Just Me » au soprano par le poly-instrumentiste Manu Hermia. Avec son groupe, il tente de nouer une alliance, de joindre jazz et ragas d’où le titre de l’album, illustré jusqu’au vertige par la belle « Indian Suite ».

Le charme agit et on se laisse conduire avec plaisir par le quartet belge composé de l’excellent Erik Vermeulen au piano, d’une rythmique efficace, Lieven Venken à la batterie, et Sam Gerstmans à la contrebasse. La seule composition qui n’est pas du leadeur, « Contemplation » de McCoy Tyner, évidemment, est une des plus intrinsèquement jazz. La thématique est entendue, on se ressource également avec cet « Awakening » à la fonction initiatique, une ballade rêveuse et sensuelle.

Le propos est clair : les notes du livret détaillent très précisément l’émergence du projet et le fil conducteur de cet album rassérénant. Une « foi » très large dans l’universalité de la musique permet au jeune instrumentiste d’appréhender comme un ensemble complet, la musique du monde, tonale et modale, de Bach à Debussy sans oublier la musique de Chine, d’Asie du Sud-Est, les chants grégoriens, les maquâams du Moyen Orient, et bien sûr les ragas indiens. Cet album aurait d’ailleurs pu sans rougir sortir dans la belle collection « Accords croisés », mais il est produit avec goût par Igloo et Cristal records qui coopèrent avec réussite pour faire mieux connaître ces musiciens inspirés de la scène belge.

On conçoit très bien que la musique puisse nourrir une existence, à l’écoute de ces compositions : lignes de saxophones légères, comme diaphanes, parfaitement dessinées, flot lent et introspectif que parcourent parfois des accélérations plus exaltées, figures rythmiques complexes, jouées avec aisance et fluidité par les autres instrumentistes, et la flûte qui chante et danse jusque dans le finale, « Little sonate for el mundo ».

Rajazz est un album à recommander chaudement à tous et peut-être en premier à ceux qui ont quelque appréhension à s’élancer vers les « terra incognita » du jazz, une des seules véritables musiques du monde. Un album conceptuel, où priment mélodie et rythme dans une interprétation délicate, qui, sans être retenue, est profondément réfléchie. Une véritable réussite.