Chronique

Donny McCaslin

In Pursuit

Donny McCaslin (ts, alto fl, fl), David Binney (as), Ben Monder (g), Scott Colley (b), Antonio Sanchez (d), Pernell Saturnino (perc)

Label / Distribution : SunnySide Records

Après « Soar » (SunnySide Records), qui valut au saxophoniste d’être cité dans DownBeat Magazine pour 2006, Donny McCaslin revient avec In Pursuit sur le même label.

On remarque que la production est nettement mieux maîtrisée, avec une prédominance du saxophone. Là où, sur Soar, ce dernier laissait la part belle aux autres instrumentistes, ici il s’affirme en tant que leader sûr de lui et tenant un discours de qualité.

La puissance rythmique est toujours prépondérante, mais la structure des compositions diffère légèrement. L’accumulation de couches sonores est moindre, ce qui rend l’écoute plus abordable. Les mélodies sont moins évidentes, mais en fait plus mûres, plus travaillées. Le saxophoniste s’appuie encore plus dangereusement sur son jeu rythmique, scandé et tout en finesse. On découvre des passages mieux développées sur le plan « saxophonistique » que sur Soar : l’instrument est aussi plus lyrique, plus mélodieux. C’est l’un des points forts de McCaslin.

Pour l’entrée en matière (« A Brief Tale »), confrontation lourde de sens avec le percussionniste Pernell Saturnino, qui annonce la couleur de l’ensemble : force subtile, nuances sonores et groove. Mais la présence de ce stupéfiant et merveilleux guitariste au grand cœur qu’est Ben Monder, y est pour beaucoup. Quel improvisateur, quel metteur en scène d’atmosphères, quel Musicien ! Dommage qu’on ne l’entende guère en Europe, même sur disque. Son talent est de ceux qui font sonner une chanson, vibrer un chorus, naître un rictus de plaisir chez l’auditeur la larme à l’œil… En s’appuyant avec sobriété sur ses raccourcis épurés, Monder nous fait vibrer par son jeu binaire, ses arpèges flous, ses sonorités rock, son intensité mélodique et la tension électrisante de sa guitare. Que les guitar heroes essoufflés lui laissent donc la place de s’exprimer ! Dorénavant, abstenez-vous, messieurs Clapton, Satriani, McLaughlin, Malmsteem et autres guitaristes d’un autre temps à l’âme usée ! Vous qui mimez la musique pour tenter d’en communiquer les émotions de visu, écoutez-le et donnez sa chance à ce créatif envoûtant, influencé par vous (Cream, Jeff Beck…) et qui fait mieux vivre votre musique que vous ! Vous lui devez bien cela ! Messieurs les programmateurs de salles et de festivals, intéressez-vous donc à Ben Monder, c’est un diamant à l’état brut !

Après cette digression, revenons à In Pursuit.
McCaslin n’hésite pas à utiliser maints styles différents, voire opposés : rock, latin, free (sur le stupéfiant « In Pursuit » où Monder apporte toute l’ambiance de… la poursuite angoissante et haletante) avec une grande homogénéité « organique ». Après coup, on est même surpris par cette diversité, dont on prend conscience progressivement, un peu comme si cette musique était une ode à l’émotion, aux sensations universelles.

Répétons-le, McCaslin fait partie des saxophonistes décomplexés de l’histoire de l’instrument. Il a intégré, dans sa musique et son âme d’artiste, les atouts et beautés du décloisonnement des genres. Ici, tout est unifié avec naturel. Sur les thèmes latins, les rythmiques sont empruntées à leurs origines alors que les harmonies restent celles du jazz, voire de Broadway, investissement musical en plus. Encore plus étonnant, si Saturnino joue latino et marque vigoureusement le temps fort, Antonio Sanchez reste souvent binaire - et rigoureusement ! L’effet est ahurissant. La section rythmique, complétée par le contrebassiste Scott Colley est ici le pilier central. Les mélodies du sax sont doublées à l’alto par Dave Binney, une fois de plus producteur du disque et qui supplante les backing vocals de Luciana de Souza sur Soar.

Enfin, la poésie est aussi présente sur cet œuvre de grande qualité. « Madonna », « Send Me A Postcard » ou « Sea Of Expectancy », dont la mélodie rock jouée à la flûte vous donnera la chair de poule, incitent à l’émotion, au voyage.

Bref… un album splendide, à ne pas manquer. L’avis de votre humble serviteur : le meilleur album jazz de l’année 2007.