Chronique

Franck Pélissier

Deux cafés sans sucre

Une histoire d’amour sur fond de jazz… c’est ce qu’annonce la quatrième de couverture. C’est bien résumé.

Franck Pélissier signe ici son deuxième roman après Nationale 75 (2003), récompensé au Festival du Premier Roman de Chambéry.

Marc Hernault, saxophoniste de 45 ans, joue dans les festivals, et, à Paris, au Sunset et au Baiser Salé - bref rue des Lombards. Question boulot, ça ne marche pas trop mal pour lui. Il a même un pavillon de banlieue, avec un jardin dont il tond la pelouse tous les quinze jours. Il entretient d’ailleurs une drôle de relation avec sa tondeuse…

Il vit en couple avec une jeune femme de quinze ans sa cadette, a une fille bientôt majeure, mais reprend contact avec Mary, l’Irlandaise de sa jeunesse, de retour en France. Et évidemment, il en retombe amoureux… Journaliste radio et saxophoniste amateur lui-même, peut-être l’auteur nous livre-t-il ici un conte partiellement autobiographique.

Ce roman sans prétention se laisse lire bien que l’histoire, prévisible, manque un peu de rythme dans l’écriture - ce qui est assez paradoxal pour un récit se déroulant « sur fond de jazz ». On pense a contrario à Be-bop, où l’on devine les phrasés de Parker ou de Monk dans la prose de Christian Gailly. Toutefois, la relation écriture-rythme n’est pas tout à fait absente de Deux cafés sans sucre, bien que moins évidente. Le « jazz » des phrases est essentiellement audible dans les montées en tension : lorsque Marc fait un infarctus, ou que Marie et lui… mais on n’en dira pas plus.

Est-il déraisonnable de penser que bien des hommes s’identifieront à Marc ? Les sentiments, les émotions évoqués sont crédibles. Et Marc compose un personnage touchant en perdant la raison tant il vibre pour Mary. Il essaie bien de garder les pieds sur terre via l’auto-dérision, le recul de l’humour, mais rien n’y fait : il laisse toujours ses sentiments s’envoler… avec lui.

À retenir ici, le décor : le monde du jazz, souvent exagéré, noirci ; les coulisses des concerts, les rencontres, la cigarette, l’alcool, les arrivistes, les dangereux dealers… Et surtout, les angoisses et autres états d’âme du musicien contraint de jouer en playback ou de remplacer un confrère, bon gré mal gré, au pied levé, dans un groupe de fusion dont la musique se disloque au fur et à mesure que le temps passe…

On connaît les affres de qui a trop bu et trop fumé la veille. On a froid à la place du musicien qui, ayant fini son travail, voit la ville s’éveiller, les éboueurs disparaître et les lumières des magasins se rallumer. Et l’on s’identifie à lui lorsque, par hasard, il vit un moment de magie en rencontrant une de ses idoles « sax-américaines » au Sunset … un soir.