Chronique

Trilok Gurtu & Arkè String Quartet

Arkeology

Trilok Gurtu (tabla, dm, perc, fl, voix), Carlo Cantini (vln, dilruka, kalimba), Valentino Corvino (vln), Sandro di Paolo (alto), Stefano Dall’Ora (b)

Label / Distribution : Promo Music

Doit-on encore présenter Trilok Gurtu ? Certains diront qu’ils en ont entendu parler dans le vaste univers des musiques du monde, d’autres que c’est un remarquable accompagnateur de grands musiciens de jazz. Les deux réponses sont, bien entendu, correctes. Mais lui-même ne se sent appartenir ni au jazz, ni à la world music (comme beaucoup de critiques ont cru pourvoir l’affirmer). D’ailleurs, il refuse toute étiquette aux musiques qu’il interprète. Ses innombrables collaborations côté jazz (John McLaughlin, Ralph Towner, Daniel Goyone, Pharoah Sanders, Jan Garbarek et le regretté Joe Zawinul, pour ne citer qu’eux) ont été pour lui l’occasion de jouer librement de ses instruments magiques, appartenant à la large famille des percussions, et de développer les nombreuses facettes sonores que permet le travail de la voix sous forme d’onomatopées, multiples et inimitables. Son univers s’inspire principalement des musiques indiennes qui, riches de rencontres, ouvrent son domaine musical à d’autres influences moins spécifiques. Un monde imaginaire que le percussionniste et vocaliste développe au gré de ses projets.

Toujours en quête de rencontres (il suffit de jeter un œil à la multitude d’enregistrements auxquels il a participé), ce percussionniste de renommée mondiale s’associe pour ce projet avec l’Arkè String Quartet, formation italienne regroupant quatre instruments à cordes (deux violons, un alto et une contrebasse). Il ne faut pas s’attendre ici à une continuité logique par rapport aux précédents albums. En effet Arkeology repose sur l’union de deux mondes que l’on pourrait croire bien différents : d’un côté les rythmiques vivantes et diversifiées de Trilok Gurtu, de l’autre le son magistral du quartet classique explorant mille possibilités harmoniques. Le tout interprété avec spontanéité et homogénéité. Le mariage des deux univers est spectaculaire. Les deux traditions millénaires se rencontrent pour mêler leurs mélodies, leurs rythmes, et créer de nouveaux contrepoints qui sonnent à merveille.

Une « archéologie » sonore fait ressurgir les immenses richesses musicales des pays que les musiciens nous invitent à traverser (l’Inde, bien sûr, mais aussi l’Andalousie, la Turquie et bien d’autres régions, entre pays d’Asie et pourtour méditerranéen). Une sorte d’incitation généreuse à un voyage imaginaire qu’il ne faut surtout pas refuser. « Balahto » pourrait rappeler la période world music d’un certain Jean-Luc Ponty. Le dialogue s’installe entre le quartet et le percussionniste, qui se positionne en retrait, sauf lors des répliques vocales. « Nanda », introduit par un thème au violon, invite à prendre son envol dans un monde empli de surprises (richesse des mélodies écrites et des harmonies des cordes). Les reprises de voix accentuent l’émotion. Puis « Kermansah » nous ramène à l’univers habituel de Gurtu et ses tablas à résonance sèche. L’accompagnement vocal abonde, ce qui ne déplaira pas aux fans du percussionniste. Les compositions, écrites en majorité par le quartet, embarquent à chaque plage l’auditeur vers une destination nouvelle. « Dea » et « Fès » rappellent la culture méditerranéenne de l’Arké String Quartet, métissée à la culture indienne que Trilok Gurtu n’a jamais abandonnée. Puis la ritournelle traditionnelle répétitive de « Taranta Suite » et son rythme soutenu donnent envie de danser. L’éventail des percussions permet d’introduire chaque morceau d’une manière différente. Le chant s’entremêle aux cordes légères. Un mélodica lointain renforce la cohésion sur « Yotagathupaga » avant de laisser place à un court solo improvisé au violon, soutenu par les tablas. « Folded Hands » est d’une tristesse planante, relevée par un magnifique solo de batterie façon Gurtu - donc aux frappes et roulements très accentués. Pour terminer, « Skopje » et « Sveva », riches en modulations harmoniques, regroupent l’ensemble des influences des cinq musiciens, dont on savoure la tendance à imiter les instruments à cordes (mandolines, sitar…).

Arkeology, né d’une recherche linguistique fascinante, fait émerger les forces pures du chant et du rythme qui sont au cœur des traditions musicales indiennes et méditerranéennes. Une vraie merveille qu’on ne se lasse pas de réécouter.