Scènes

François Corneloup NEXT

Une création inédite qui marque une nouvelle démarche du saxophoniste dans « l’art du devenir ».


En ces temps où les hommages sont devenus fréquents dans les musiques de jazz, de nombreux musiciens se contentent de revisiter à leur manière le répertoire célèbre des jazz masters. D’autres, plus en recherche, préfèrent s’inspirer d’un courant musical (jazz ou autre) pour mieux se l’approprier et en présenter leur propre version. C’est de cette idée qu’est née la création Next, nouveau groupe du saxophoniste François Corneloup, dont la deuxième représentation en France a été donnée lors des 21èmes Rencontres Internationales de Jazz de Nevers en novembre dernier. Voyons ce que révèle cette nouvelle orientation musicale, dont le succès renferme d’ores et déjà de belles promesses d’avenir.

François Corneloup © P. Audoux/Vues sur Scènes

Reconnu aujourd’hui comme l’un des saxophonistes les plus passionnants de la scène hexagonale (et à plus juste titre européenne), François Corneloup fait partie de cette génération de musiciens qui a émergé au début des années 90, portée par l’élan de quelques piliers incontournables du jazz français dont il aime toujours à partager la scène (Henri Texier, Bernard Lubat, Louis Sclavis, Gérard Marais, Sylvain Kassap…). Ses nombreuses collaborations avec les musiciens de sa génération révèleront en lui des qualités irréprochables de soliste virtuose. Improvisateur à l’énergie exceptionnelle, Corneloup est toujours capable de repousser les limites (en témoigne sa présence indispensable dans le Grand Lousadzak de Claude Tchamitchian, le quartet d’Hélène Labarrière, aux côtés de François Raulin ou de Dominique Pifarély…). Plusieurs formations - duo, trio ou quartet - lui auront été nécessaires pour combler son désir de recherche musicale et trouver une voie bien à lui.

D’ailleurs, on en veut pour preuve l’unanimité élogieuse des critiques à la parution de ses différents albums (Jardins ouvriers, Cadran lunaire, Pidgin et plus récemment le trio Ultra Léger Musical (avec Martin France et Marc Ducret sur le label In Circum Girum). Chaque projet lui donne l’occasion d’aller encore plus loin, de se remettre systématiquement en question sur le plan formel. L’équilibre entre écriture et improvisation y est constamment maîtrisé, le relâchement contrôlé ; mais par-dessus tout, le son de Corneloup au baryton est unique - même son alter ego Tim Berne est loin de sa riche palette sonore. Chaque projet se fonde sur l’idée première de remettre en cause les formes musicales propres à chacun pour mieux les interpréter ensemble.

Passionné par l’univers des rencontres et des créations qui lui offrent une véritable liberté d’expression, Corneloup est l’un des solistes, compositeurs et rassembleurs d’idées les plus talentueux du moment. Soucieux de poursuivre cette vocation - rassembler pour mieux créer -, il change de cap, faisant place à un nouvel univers qu’il baptise « Next ». Que signifie ce terme évocateur ? « Next » peut se concevoir comme un lendemain déjà entamé, une sorte de continuité non aboutie.
C’est en mêlant ses talents d’improvisateur et de compositeur au sein du groupe Ursus Minor (sorte de cocktail explosif inclassable aux inspirations free jazz, rock progressif, hip hop et soul) que Corneloup a pensé à monter son propre quintet. Marqué par cette riche expérience partagée avec Tony Hymas et Jef Lee Johnson, il souhaite explorer les innombrables possibilités offertes par la rythmique groove dans l’improvisation. La notion de transition entre deux ères musicales est donc bien présente : les formes plutôt acoustiques mises en avant jusqu’alors sont écartées au profit d’un autre concept, celui de l’école « électrique » lancée par Miles Davis dans les années 70, l’objectif n’étant pas un simple travail de reprise, mais une appropriation et un prolongement de ce courant, dans toute sa richesse. Né à Minneapolis en octobre 2006, le projet prend forme dans cadre du festival « Minnesota sur Seine » dirigé par Jean Rochard [1]. Corneloup fait très fort en choisissant des musiciens américains, tous expérimentés dans ce que le groove et le swing peuvent apporter de mieux à l’improvisation. On retrouve pour l’occasion Dean Magraw, guitariste à l’énergie très électrique et très lyrique, et le batteur John Thomas Bates (Fats Kids Wednesday) aux côtés de Tony Hymas ou au sein d’un nouveau trio avec Bruno Chevillon). Les deux rythmiciens sont soutenus par le bassiste Chico Huff (accompagnateur de Jef Lee Johnson) succédant à Anthony Cox, présent dans la première représentation du quintet en 2006. Le cinquième élément ? Le violoniste Dominique Pifarély, collaborateur régulier du saxophoniste au sein de son ensemble Dédales ou d’un duo totalement improvisé.

Chico Huff © P. Audoux/Vues sur Scènes

Il s’agit donc d’un tournant radical, au concept musical fondé sur une section rythmique largement ouverte sur l’improvisation, tant par les palettes sonores de instrumentation originale que via la liberté d’expression de chacun. À commencer par une composition de Corneloup écrite pour Ursus Minor, réadaptée pour le quintet et servant de support à un enchaînement d’improvisations, longues mais très évolutives. L’énergie apportée par le tandem Chico Huff–Dean Magraw fait preuve d’un naturel impressionnant. Le substrat est posé, solide, à même de supporter et rythmer les envolées fulgurantes des deux compères français. Autre tandem, celui mené par Corneloup et Pifarély, qui juxtaposent leur dialogue pour mieux l’apprivoiser et se compléter l’un l’autre. Lorsqu’il reprend le soprano, Corneloup a encore un son fluide et généreux. Et l’occasion donnée à Pifarély de revenir à l’électrique comblera les mélomanes qui attendaient cela depuis des années. C’est d’ailleurs un retour en force - son jeu véloce et inspiré tire parti de tout son bagage d’aventurier aux multiples expériences et collaborations.

Du côté américain, on savoure les envolées électriques de Magraw, dont le swing charmant comblera le public, même non initié au jazz. La batterie de Bates est le support de délires rythmiques en tous genres, sans jamais quitter la ligne directrice d’une pulsation franche et concise. La basse électrique structure le magma sonore, nerveux et rigoureux, de ce projet, en recréant un univers proche du rock des plus appréciables. Les longues compositions du saxophoniste s’enchaînent par sections dont on ne se lasse pas. Les matières sonores permettent à chaque musicien de s’exprimer à fond, de repoussant sans cesse ses limites. Les envolées sont époustouflantes, les reprises magistrales. Les territoires sonores oscillent entre un fond mélodique et un soubassement rythmique toujours plus massif, et c’est bien là l’essence même du groupe : Corneloup a choisi la rythmique comme base de fonctionnement et de développement, pour aller encore plus loin, au gré des infinies possibilités de l’improvisation.

Dominique Pifarély © P. Audoux/Vues sur Scènes

Une formation à découvrir de toute urgence qui, pour les malchanceux n’ayant pu assister aux concerts, sortira dans les prochains mois un album sur le label Nato. Patience…

par Armel Bloch // Publié le 7 avril 2008
P.-S. :

Next, quelques dates à retenir :

  • Samedi 10 mai : Le Mans (72) Festival Europajazz
  • Mercredi 14 mai : Dijon (21) La Cave à jazz
  • Samedi 17 mai : Compiègne (60) Ziquodrome

[1qui a d’ailleurs été à l’origine des très beaux projets franco-américains comme le groupe « Minneapolis » de Michel Portal ou la collaboration de Gwenn Matthews avec le trio de Denis Colin