Chronique

Chris Potter

Follow the Red Line

Adam Rogers (g), Wayne Krantz (g), Craig Taborn (kb), Nate Smith (dr), Chris Potter (s)

Label / Distribution : Verve / Universal

Adam Rogers et Wayne Krantz aux guitares, Craig Taborn aux claviers, et Nate Smith à la batterie étaient déjà là il y a deux ans derrière Chris Potter sous l’appellation Underground Band dans une énième tentative pour fondre idiome jazz et codes funky – cf. Joshua Redman ou Uri Caine -, et nous convaincre que depuis quelques années, certains jazzmen de formation classique ont la bougeotte. On n’en était pas ressorti complètement complètement convaincu, car la musique semblait un peu corsetée - par les murs du studio peut-être ?

Début 2007, le saxophoniste a réuni tout ce beau monde (sauf Wayne Krantz, qui laisse Adam Rodgers seul à la guitare) pour une date – mémorable, disons-le – au mythique Village Vanguard. C’est cette captation que publie aujourd’hui le label Verve. Aucune hésitation, aucune réserve, cette fois. La marmite jazz, funk et blues bouillonne, grâce notamment à cette section rythmique de gros calibre. Smith fait la leçon derrière ses fûts roulants, tournants, turbulents ; il frappe sans alourdir, sait être léger sans caresser. Voir « Arjuna », qui s’enflamme au bout de quelques minutes, démonstration de ce qu’un druide de la batterie sait et peut faire pour ensorceler ses petits camarades.

Surtout, tendez l’autre joue : vient ensuite la claque Taborn. Ce sideman de Steve Coleman est décidemment un incontournable des claviers du jazz actuel (avec Uri Caine, bien sûr). Ses sons acides et ses lignes de basse imparables rappellent à quel point il maîtrise un spectre allant de Herbie Hancock à Carl Craig. Bougeotte assurée sur « Pop Tune n°1 », notamment, quand il plaque une paire d’accords sur le tempo métronomique de Nate Smith.

Sans faire injure à Potter, on rêve d’une session entre ces trois gaillards seuls, qu’on verrait bien se transformer en Headhunters contemporains. Mais Potter est bel et bien là, et avec un tel groupe, il aurait pu se contenter de livrer un set impeccable. Mais il fait plus. Osons louer l’invraisemblable exploit auquel se livre ici ce saxophoniste entendu dans des contextes lyriques et mélodiques plus sages (chez Jim Hall par exemple). Après Lift (2004, déjà au Vanguard), le voici qui avance en terres plus funky, et avec le même brio.

Une performance inouïe au cours de laquelle il entre et sort avec une aisance déconcertante, entraînant ou démolissant tout sur son passage. Il signe d’ailleurs la quasi-totalité du répertoire, et clôture le set par la reprise du « Togo » d’Ed Blackwell, créé il y a 30 ans par le groupe Old and New Dreams. Signe que le jazz peut aussi vivre en effervescence chez une « Major ».