Chronique

Fabian Fiorini 3iO

Something Red In The Blue

Fabian Fiorini (p), Jean-Luc Lehr (b), Chander Sardjoe (dm)

Label / Distribution : Cypres

Cypress, le label qui a déjà publié Amazir d’Aka Moon et VSPRS de Fabrizio Cassol continue dans la même orientation musicale en invitant cette fois-ci le trio de Fabian Fiorini à réaliser son premier album.

Fiorini a toujours eu un pied dans la musique contemporaine et l’autre dans le jazz. Sa réputation n’est plus à faire ni d’un côté ni de l’autre. On l’a vu ainsi chez Ictus ou Ricercar Consort, mais aussi aux côtés d’Octurn, Al Funduq, Chris Joris ou Aka Moon, justement. Avec Something Red In The Blue, le pianiste belge propose sa propre vision du jazz. Comme l’indique le titre, il tente ici de trouver une faille, un interstice, pour inoculer les germes de sa musique incandescente dans le bleu du jazz. Il est manifestement en quête d’une recherche rythmique et harmonique personnelles, et il se dégage de sa musique une certaine impertinence, une envie de bousculer quelque peu des idées parfois trop convenues. Et s’il s’appuie sur des éléments fondamentaux du jazz, c’est pour mieux en effilocher les contours.

Il injecte donc avec malice quelques références classiques en allant saluer Jean-Sébastien Bach sur un piano préparé qui rappelle le clavecin (« Praeludium » ou « Jeanne »). Puis, sous des dehors de ballades poétiques et rêveuses, « 2,00238 » et surtout « Le ventre de Paola » révèlent un jeu lyrique qui lorgne parfois du côté de Satie ou Fauré. On pourrait craindre un certain académisme, mais ce serait mal connaître Fiorini, qui s’obstine toujours à suivre un discours peu conventionnel. Il effleure ici le romantisme tout en refusant les clichés et la mièvrerie. Dans cet exercice, il est aidé par le drumming décalé, ciselé et précis de Chander Sardjoe ainsi que par le jeu tachiste de Jean-Luc Lehr à la basse électrique. Tous deux parfaits du début à la fin.

Tout au long du disque, le trio explore différentes formules et ambiances en travaillant tantôt sur l’harmonie, tantôt sur le rythme. Les structures très écrites du leader n’en sont pas moins très ouvertes. Et sur « Nabuchodonozor » ou « Tzärr Suite », le groupe s’amuse à cadenasser le thème, à le mettre sous pression voire à l’asphyxier avant de le libérer et de le laisser exploser. Puis il revient à un jeu plus recueilli, introspectif et presque sombre. Sur ces deux longues pièces aux rythmes fluctuants, Fiorini met en évidence un toucher percussif et très contemporain dans une pulsion moderne qui n’est pas sans corrélation avec ce bon vieux swing.

Ailleurs, on retrouve un esprit délibérément rebelle et très « monkien » sur des morceaux comme « Habra ‘K’ Dabrah » ou le fantastique et bien nommé « Monk Memory #1 ». Ici, le pianiste construit et déconstruit des motifs complexes pour improviser des formes musicales sur un battement interne en contrepoint d’une section rythmique inébranlable. Le groove et l’intensité sont à leur comble. Mais c’est sur « Platforms » que l’interaction se fait encore plus évidente entre les musiciens. Le trio mise clairement sur l’échange, les accélérations et la polyrythmie. Les tempos nerveux succèdent aux moments plus doux et sensuels, parfois presque soul.

Something Red In The Blue est décidément un album subtilement équilibré et bigarré. Et avec lui, un sang sulfureux coule dans les veines d’un jazz qui fait bourdonner le cœur et la tête.