Chronique

Jason Kao Hwang / Edge

Stories Before Within

Jason Kao Hwang : v, alto ; Taylor Ho Bynum : cornet ; Andrew Drury : dms ; Ken Filiano : b

Label / Distribution : Innova

Ça commence par un glissando de contrebasse comme un écho grave de la clarinette de Rhapsody in Blue. Puis un cri, et un violon au son très particulier, inhabituel : tendu, coupant, presque sans vibrato, à quelques années-lumière des broderies grappellisantes, qui joue une mélodie âpre, entêtante, truffée de ruptures, sur une métrique qui vous fait perdre le compte. Deux autres voix en forme de contre-chants déroutants au cornet et à la contrebasse - parfois à l’unisson, parfois pas -, une batterie qui raconte autant de choses que les autres instruments, des improvisations libres au milieu, une contrebasse qui parle. « Cloud Call » n’est peut-être pas un manifeste ; c’est à coup sûr une carte d’identité.

Edge, c’est le nom du quartet formé autour du violoniste et compositeur Jason Kao Hwang, « Américain asiatique » de New York dont le parcours musical s’émaille de collaborations avec Reggie Workman, William Parker, Anthony Braxton… Des noms que l’on retrouve également dans le parcours de ses compagnons de route, comme autant de signes de ralliement. Ken Filiano le contrebassiste, collabore régulièrement avec Steve Adams et Vinny Golia, Taylor Ho Bynum est le cornettiste du grand ensemble de Cecil Taylor et a tourné en Europe en duo et en sextet avec Anthony Braxton ; Andrew Drury a été l’élève d’Ed Blackwell…

Les cinq morceaux de cet album au titre énigmatique, Stories Before Within, sont des pièces plutôt longues (de 7 à 14 minutes). Jason Kao Hwang se veut conteur : chaque titre est conçu comme une histoire composée de façon modulaire : des séquences écrites - très écrites - exposent un ou plusieurs thèmes et servent de rampes de lancement à des improvisations individuelles ou collectives, de forme libre, qui convergent à leur tour dans une reprise des modules de base. La composante jazz est omniprésente, mais on y retrouve aussi de multiples filiations : musique contemporaine, rock (« From East Sixth Street »), cinématographique (« Walking Pictures »), traditionnelle asiatique (« Third Sight »).

Taylor Ho Bynum est capable d’une infinie variété de nuances au cornet, ses improvisations sont littéralement solaires ; Andrew Drury sait se montrer à la fois précis et impérieux, structurer une improvisation collective ou jouer une partition écrite au petit point. La contrebasse de Ken Filiano parle et chante plus qu’elle ne joue. Le violon et l’alto, eux, découpent l’air pour y tracer des mélodies curieuses qui ne vous lâchent pas.

C’est sans aucun doute l’apport de la musique asiatique, chinoise et coréenne, qui a inspiré à Jason Kao Hwang ce travail si singulier sur les timbres des instruments, en particulier les cordes. Mais l’ascendance chinoise du compositeur n’explique pas tout : cet album porte la marque d’un musicien très singulier, une matière sonore qu’on ne peut prendre pour aucune autre.

par Diane Gastellu // Publié le 14 août 2008
P.-S. :

Également reçu de Jason Kao Hwang l’album Local Lingo [Euonymus, 2007], en duo avec le joueur de kayagum coréen Sang Won Park. Un travail plus traditionnel où l ’on retrouve, entre autres, deux compositions de « Stories Before Within » et un traditionnel coréen emblématique, « Ari Rang ».