Chronique

Mâäk’s Spirit

Stroke

Jean-Yves Evrard (g), Laurent Blondiau (tp), Sébastien Boisseau (b), Jereon Van Herzeele (ts, electro), Eric Thielemans (dm), Jozef Dumoulin (p, Rhodes), Samata 7 (voc), Kgafela oa Magogodi (voc), Tabuho (voc, perc)

Emballé de façon très originale dans un sachet argenté et irisé, le dernier album de Mâäk’s Spirit est à nouveau un condensé de musiques improvisées, de jazz, de groove et d’ambient étonnants. Bref, un laboratoire, en quelque sortes.

S’il s’agit du dernier album paru du collectif franco-belge, ce n’en est cependant pas l’enregistrement le plus récent : il a été conçu à Johannesburg voilà près de quatre ans (est-ce la raison de cet emballage longue conservation ?) C’est en effet en Afrique du Sud que nos aventuriers des sons ont mélangé les poèmes parlés/chantés de Samanta 7, Kgafela oa Magogodi et de Tabuho avec leur propre jazz expérimental. Mâäk’s Spirit plonge ici l’auditeur dans une étrange atmosphère faite de musiques inventées qui ne manquent jamais de tension et se révèlent d’autant plus fascinantes à mesure que l’on s’enfonce au plus profond de cet objet étrange.

Inclassable, comme le sera aussi - matériellement parlant - ce CD dans votre discothèque, Stroke vous emmène aux limites du jazz, à l’orée du trip-hop (avec le splendide et envoûtant « Being A Woman » ou « I Luss For Bliss ») ou aux confins de la musique électronique d’avant-garde (avec « Maheta Helo (H2O) » entre autres). Le groupe explore les pulsions comme pour une expérience sensorielle qui demande une attention toute particulière à qui veut en apprécier toute la beauté.

À la guitare, Jean-Yves Evrard rompt les moments de contemplation par ses riffs acérés, les souffleurs (Jereon Van Herzeele (ts) et Laurent Blondiau (tp) tentent de baliser des terrains mouvants et instables tandis qu’Eric Thielemans (dr) impose un tempo parfois clair, parfois retenu, souvent suffocant. On retrouve parfois aussi le batteur dans des échappées totalement libres, bruitistes et torturées. Il joue alors sur les collages musicaux et les rythmes déstructurés, qu’il affectionne tout particulièrement, comme sur « Broken » ou « Tabuho ». Dans l’ensemble la musique est enveloppée par les nappes brumeuses, éthyliques ou scintillantes du Fender Rhodes de Jozef Dumoulin. La voix de Samata 7, présente sur près de la moitié des morceaux, est troublante et obsédante. À la fois grave et quasi monocorde, elle impose une écoute soutenue et attise la curiosité : on a envie d’aller à la rencontre de ses textes, qui parlent du combat quotidien pour avoir droit à une vie de femme. Ou à la vie en général. On flotte de bout en bout dans cet univers comateux et rêveur à la chaleur moite, troublé de temps en temps par des soubresauts et des frissons.

Stroke porte bien son nom : c’est une cassure, une sorte de fêlure dans la musique de jazz et les musiques improvisées et ce n’est qu’un exemple de la démarche que Mäâk’s Spirit entretient depuis déjà quelques années. D’ailleurs, le groupe a également publié une série de 48 DVD sous le nom « Il n’y a pas de fraises en été ». Chacun d’eux contient une courte performance de musique spontanée filmée dans les endroits les plus incongrus (une friterie, une boucherie, les toilettes d’un bistro, une cour de récréation, etc…). Le tout est emballé séparément dans les mêmes pochettes que celle de Stroke. Tout cela est vendu directement sur le site Internet du groupe. Après Stroke, voilà donc des fraises à goûter sans crainte, si toutefois vous n’êtes pas allergique à l’idée d’y perdre vos repères…